Jeudi 28 août 1980, 4 jours avant le début des cours. Jake rejoint en voiture la faculté d’Austin qu’il s’apprête à intégrer. Une caisse de disques vinyle sous le bras, il observe la grande maison à l'écart de ville, un peu délabrée, qu'il va partager en colocation avec l’équipe de Baseball. Il occupe le poste de lanceur ce qui en fait un ennemi pour ses camarades d'entraînement, joueurs de champs, qu'il est chargé d'éliminer.
Une virée en voiture suffit néanmoins à unir le groupe; d'autant plus qu'il s'agit d'inviter des filles pour la fête du soir. Alors que le groupe se prend un râteau avec deux filles que leur machisme laisse de glace, l'une d'elle désigne néanmoins Jake comme le plus sexy. Jake repère sa chambre la 307. L'entraîneur fait les présentations des nouveaux dont deux autres lanceurs : l'excentrique Jay et le très cool Willoughby. Il les informe ensuite des règles à adopter : pas d'alcool et pas de filles à l'étage. Règles violées le soir même...
Vendredi 29 août : Les membres de l'équipe de Baseball cherchent dans quel cours, ils vont bien pouvoir s'inscrire. La soirée au Sound Machine dégénère car Jay se montre irascible et déclenche une bagarre. Au lieu d'écouter de la musique disco gratuitement, l'équipe va dans un bar qui passe de la country.
Samedi 30 août. En se promenant avec Finnegan, Plummer et Coma, Jake rencontre son condisciple de lycée qui l'initie à la musique punk. Le soir pendant la grande fiesta, Jake se rend au seuil de la porte de Beverly et lui dépose des fleurs et un mot.
Dimanche 31 août. Beverly appelle Jake et l'invite à passer chez elle. Les jeunes gens se donnent rendez-vous pour la fête des arts du spectacle le soir. L'entrainement de baseball donne lieu au bizutage de Jake auquel on fait croire qu'il ne pourra se relever si on lui applique le pouce sur le plexus. Puis c'est l'ensemble des bleus qui sont accrochés par des scotches aux palissades et soumis aux tirs des battes de baseball. Jake laisse ses amis assister à la fête des arts du spectacle.
Lundi 1er septembre. Au petit matin, Jake et Beverly se retrouvent sur la rivière et s'embrassent. Apres un court passage dans la chambre de Beverly, ils vont ensemble à l'université, s'embrassent et se promettent de se revoir ce qui amuse Finnegan qui en est témoin. Jake retrouve Plummer au cours d'histoire et les deux garçons s'endorment avant que le cours commence, rêvant à la fabuleuse année qui les attend.
Le petit garçon sympathique de Boyhood, précédent film de Linklater, celui que l'on suivait de ses six ans à sa majorité s'est mué en un adolescent qui ne fait pas exception au mot d'ordre "Everybody Wants Some", titre d'une chanson du groupe de hard rock Van Halen, qui, pour Richard Linklater, résume à merveille l'esprit du film : "le sens de l'humour et l'obsession pour le sexe des garçons de 18 ans". Le film, qui commence là où se terminait Boyhood, pourrait aussi être la suite spirituelle de Dazed And Confused (Génération Rebelle) sorti en 1993, racontant le dernier jour de cours d'un groupe de lycéens.
Une accumulation de signes en souvenir de la jeunesse
Dans la filmographie très éclectique de Richard Linklater (19 films en 25 ans) un thème prédomine : comment une personnalité se construit avec et durant le temps, quels sont les moments constitutifs d'une personnalité. Sur ce plan, Everybody Wants Some relève plusieurs défis : le temps de la prise de conscience est réduit à quatre jours : du jeudi au dimanche précédant le premier jour de cours et le personnage principal a, a priori, tout de l'abruti ne pensant qu'à picoler, se défoncer, séduire, coucher, prendre des vestes, s’affronter au ping-pong et disserter sur tout et rien, certain que le futur sera radieux.
L'initiation passera aussi par quelques entrainements de base-ball et la musique, passions de Linklater avec une BO accumulant les titres, du disco au punk en passant par Rock, country, metal et new-wave en accord avec la diversité musicale du tournant des années 1970-1980
Si le film se déroule du 28 août au 1er septembre 1980, ce n'est pas par goût de la nostalgie mais pour que Linklater retrouve ses propres impressions de ces années de fac à Austin (Texas). Il ne s'agit donc pas d'une pensée sociologique abstraite et non éprouvée sur la jeunesse d'hier mais d'une plongée dans une mémoire en partant du principe bien connu des auteurs de la nouvelle vague française : c'est en étant le plus singulier que l'on peut atteindre à l'universel.
Ni cours ni championnat, il ne se passe rien en terme de suspens durant ces quatre jours hormis de savoir si Jake réussira à sortir avec Beverly. Les surprises viennent de là où on ne les attend pas : tel le refus de Beuter de prêter la chambre le temps d'une partie de jambe en l'air ou sa trouille des responsabilités quand sa copine a un jour de retard dans ses règles voir encore le concours de pichenettes ou le départ de Willoughby pour avoir dépassé 30 ans et vouloir rester étudiant.
Un levier pour soulever le monde
La bande-son très éclectique pourrait donner l'impression de garçons ballotés par le vent de la mode et le film change souvent de direction en fonction des morceaux à écouter. Pourtant Jack comme le jeune Mason de Boyhood affirme ses goûts, fussent-ils aussi étranges que le baseball. Son enthousiasme pour ce sport lui confère un point d'appui qui le rend capable de s'ouvrir à de multiples influences et en fait ainsi un personnage rayonnant. Contrairement à ses camarades qui restent figés dans leur passion et fermés au monde, Jake observe son entourage, se laisse imprégner de toutes sortes de musiques car il connaît l'absurdité probable pour les autres de sa passion.
Il confie en effet à Beverly le sujet qui lui a permis d'obtenir une bourse d'étude. Il convenait de se comparer à un dieu Grec. Jake a choisi Sisyphe qui est condamné par les dieux et doit souffrir. La tâche à laquelle il est condamné paraît absurde et, souvent, on plaint Sisyphe de ne pas s'en apercevoir. Or, pour Jake, c'est un bienfait que lui ont accordé les dieux parce qu'il croit à sa tâche sans se poser de question et ne s'aperçoit pas de son absurdité. Jake en réfléchissant sur ce point de vue se détache alors de cette aliénation liée à une passion accomplie sans recul. Sur la rivière où il flirte avec Beverly, il est sensible à la sensualité de sa compagne et de la nature au petit matin. "Les frontières sont là où vous les trouvez" écrit le professeur sur le tableau noir du cours d'histoire. Jake peut dormir en paix; il ne les a pas encore trouvées.
Jean-Luc Lacuve le 23/04/2016