Chili, 1988. Le dictateur Augusto Pinochet, face à la pression internationale, consent à organiser un référendum sur sa présidence. Le plébiscite, demandant de répondre par oui ou non sur son maintien au pouvoir dans les cinq ans à venir, doit respecter un semblant de vernis démocratique. Des temps d'antenne télévisée ont ainsi été accordés à chaque camp : 15 minutes quotidiennes, pendant 27 jours. Après quinze ans durant lesquels les médias étaient intégralement occupés par le pouvoir, et les esprits rongés par la peur, ce quart d'heure avait un caractère de farce. A droite comme à gauche, personne ne croyait à la victoire du non. Jusqu'à ce qu'un jeune publicitaire, René Saavedra, soit contacté par José Tomás Urrutia, le leader de l'opposition.
Lorsque René Saavedra visionne la bande vidéo des opposants. Elle montre avec simplicité que voter "non", c'est voter contre les milliers de morts, de torturés, de disparus, d'exilés de la dictature. René leur déclare qu'elle ne permettra pas de gagner le plébiscite. Il propose de la vider de son contenu politique pour donner une image engageante, pour créer un élan. Il faut de l'enthousiasme, de la musique pop, du rire.
Au cours d'un pique-nique sur la plage chez le mentor de René, la stratégie s'établit : pour faire gagner le camp du "non", il faut convaincre les abstentionnistes d'aller voter. Ce sont d'une part les jeunes qui sont démobilisés et sans élans face à un régime qui a fini par apporter un semblant de normalité et les plus âgés qui redoutent le retour d'un socialisme générateur de pauvreté et de privation. Pour convaincre ces deux groupes disparates il faut apporter un message joyeux et rien n'est plus joyeux que la joie. La boîte à outils de la campagne se déclinera autour de trois éléments : logo en forme d'arc-en-ciel, un hymne "jingle", et la joie comme mot d'ordre.
Cette stratégie provoque bien quelques défections chez les anciens, mais la majorité s'y rallie. Un publicitaire étranger a été retenu pour la campagne du clan Pinochet : lui faire tomber l'uniforme, le présenter comme un grand-père bienveillant.
Les premières réactions montrent que le peuple adhère à la stratégie du "non". La riposte ne tarde pas à venir. Pris de cours par la vague contestataire, le camp Pinochet recrute le patron de René, Lucho Guzmán, qui porte le duel à un niveau plus brutal. Il tente d'abord de saboter la campagne : intimide son adversaire, profère des menaces contre son fils, exploite tout l'arsenal répressif de la dictature.
Pour la première fois, René ressent la violence du régime et semble un instant gagné par la révolte. Il confie son fils Simon à son ancienne femme, Veronica, désormais remariée.
La campagne du "non" a désormais le soutien populaire et ni la répression violente de la dernière manifestation ni les tentatives d'intimider les votants en annonçant de faux résultats avant la proclamation de ceux-ci ou en coupant le courant du PC de l'opposition ne viennent à bout du triomphe du non par 53 %.
René et Lucho Guzmán travaillent toujours ensemble. En mars 1990, Augusto Pinochet cède sa place à Patricio Aylwin Azócar.
No est film politique puisqu'il décrit comment un groupe de personnes réussit à renverser un dictateur. Un publicitaire, un homme politique proche du parti communiste, un réalisateur combinent leurs efforts pour gagner les abstentionnistes mais aussi rappeler les exactions du pouvoir : arrestations arbitraires, tortures et exécutions. C'est de cet équilibre, entre jeunesse et expérience, promesse d'avenir et rappel du passé que se crée un mouvement capable de renverser une situation que tous pensaient immuable.
Un film marxiste pour une société capitaliste
No est aussi un film politique sans illusion. Le camp du "si" parait à bout de souffle, sans imagination et comme lassé de ses propres exactions. Les militaires sont dans les rues, menacent mais ne peuvent plus arrêter ceux qui sont sous les feux des projecteurs internationaux. Larrain fait répéter trois fois par René la phrase : "Ce que vous allez voir s'inscrit dans le contexte social actuel " René la prononce au tout début pour une publicité pour un coca-cola local qui doit tenir compte du gout du rock de la couleur et de la liberté des jeunes. Il la répète en présentant son clip au camp du non et son chef la redit pour présenter la publicité finale pour une série télévisée. Si un groupe d'hommes a fait basculer le referendum c'est aussi d'abord parce que l'infrastructure économique l'appelait. C'est elle qui réclame le changement. C'est l'engouement pour la liberté, la jeunesse, les micro-ondes, le coca-cola et les séries télévisées qui renverse le vieux Pinochet
No est, pour un quart de son métrage environ, un documentaire présentant des images d'archives. Le scénario adapte une courte pièce d'Antonio Skármeta, qui n'a jamais été montée. Le héros, René Saavedra, a été inspiré par deux publicitaires ayant participé à la campagne du "non" : Eugenio Garcia et José Manuel Salcedo qui ont apporté leurs témoignages. Pour mettre en scène ce moment emblématique du devenir publicitaire de la politique, Pablo Larrain a filmé avec une caméra de 1988, la même qu'utilisaient les publicitaires de l'époque, dans un format 4/3. Le mélange approximatif des trois couleurs lumière est revendiqué dès le générique avec ces cartons ou le rouge, le vert et le bleu bavent autour des noms. Ces images se fondent avec les clips tournés lors de la campagne et abondement utilisés.
Ces images sont aussi le reflet de l'esthétique cette époque.
Elles viennent donner un peu de crédibilité au personnage de
fiction qu'est René. Il a émigré et s'est séparé
de sa compagne qui s'est remariée. Il se comporte encore comme un enfant,
aimant jouer au petit train, faire du skate ou tester le nouveau micro-onde.
La société chilienne a réussi sa mue entre 1988 et 1990
; l'individu René, n'a pas bénéficié des mêmes
ressorts, simple instrument du pouvoir économique, simple instrument
de la fiction.
Jean-Luc Lacuve le 31/03/2013