Une famille avec ses deux enfants. Le père lit dans son journal un fait divers tragique ayant eu lieu à Gimcheon entre une servante et son patron. La mère trouve bien lâches les hommes qui s'en prennent à de pauvres servantes. Le père en revanche rappelle le rôle de la servante qui s'occupe de la moitié de la vie d'un ménage : "elle fait le linge, la cuisine et nous accueille". "De telles choses ne se disent pas dans un lieu sacré comme la famille" conclut la mère devant les enfants qui jouent.
Dans une usine textile, la direction offre à ses ouvrières pour se délasser de leur journée de travail le choix entre le sport et le chant. L'intérêt du premier est la distribution de nouilles, l'intérêt du second réside dans la beauté du professeur qui, comme le dit une ouvrière "consolera nos curs brisés". Mlle Cho et Mlle Kwak n'hésitent pas; la première plaçant la lettre passionnée de la seconde sur le clavier du piano de M. Kim. "Le chant est un monde paisible" dit celui-ci qui propose des cours particuliers pour, avoue-t-il, rentabiliser le piano qu'il vient de s'acheter. Kim lit alors la courte lettre d'amour et s'empresse de dénoncer immédiatement Mlle Kwak à la direction qui est obligée d'exclure Kwak Seon-young pour trois jours. Morte de honte d'avoir été découverte aimant un homme marié, Kwak préfère rentrer chez elle.
Mlle Cho est bien décidée à poursuivre M. Kim de ses
sentiments ambivalents, et lui rend visite sous prétexte de prendre
des cours de piano. Elle fait la connaissance des deux enfants du couple :
Chang-soon, le fils et Ae-soon, la fille infirme. Kim lui fait visiter la
nouvelle maison où l'étage est en cours d'aménagement.
Alors que les deux enfants se disputent, Kim exprime à Mlle Cho son
remord vis à vis de l'exclusion de Mlle Kwak et s'en ouvre même
à sa femme. Il ne réagit toutefois pas quand, il remet une lettre
de Kwak à Cho mais celle-ci lui cache la détresse de son amie.
Elle écrit sans lui rapporter les remords de M. Kim.
Mlle Cho revient une seconde fois visiter les Kim. La mère, effrayée par un rat s'évanouit et demande l'aide d'une servante pour la nouvelle maison trop grande. Lors du cours de chant suivant, M. Kim demande ainsi à Mlle Cho de lui trouver une servante. Mlle Cho propose à l'une des femmes de ménage de l'usine de servir chez M. Kim et lui offre pour cela 1000 wons supplémentaires par mois en plus de son salaire qui sera de 4000 wons.
Chez les Kim, le père cuisine du riz au curry et s'effraie de trouver de la mort aux rats dans un placard. Mlle Cho survient, accompagnée de la servante, qui s'en va immédiatement fouiller dans la cuisine. Elle s'amuse d'y découvrir un rat qu'elle tue d'un coup de planche bien ajusté. Fière de sa prise, elle montre le rat à M. Kim et ses enfants. M. Kim lui demande d'utiliser de préférence la mort aux rats du placard et la servante verse un peu du poison sur un plat de riz. M. Kim lui montre sa chambre et s'en va dans la pièce adjacente donner son cours de piano à Mlle Cho. La servante franchit la baie vitrée, traverse le balcon pour regarder, dans la pièce de musique, M. Kim et Mlle Cho, ce qui suscite chez elle le désespoir de rester à l'écart de cette situation romantique.
La mère se réveille d'un cauchemar de rats empoisonnés aux figures humaines. M. Kim la rassure et plus tard offre un écureuil qui tourne dans la roue de sa cage à sa fille qui comprend le message d'encouragement à l'effort que constitue le cadeau. Mme Kim s'épuise à coudre pour gagner l'argent de la télévision et son mari propose qu'elle parte avec les enfants se reposer chez sa mère.
A l'usine est arrivée l'annonce de la mort de Mlle Kwak. Kim se rend à l'enterrement et reçoit pour lui les violents reproches de la mère de la jeune femme vis à vis de l'abandon dont sa fille a été victime. De retour, Cho Kyung-hee lui avoue son amour et menace de l'accuser de viol s'il la repousse. M. Kim la chasse pourtant. La servante, qui a tout vu depuis la baie vitrée, revient, les vêtements trempés de pluie et le harcèle de ses avances. Comme elle se déshabille devant lui, M. Kim cède et se laisse entrainer vers le lit. La foudre détruit l'arbre protecteur de la maison.
A l'usine, les ouvrières se révoltent contre l'attitude de M. Kim qui est, selon elles, responsable de la mort de Mlle Kwak. Mlle Cho, invitée à parler comme meilleure amie de la défunte, retourne pourtant la situation en rappelant la droiture dont a toujours fait preuve M. Kim pour protéger sa famille et qui ne peut être tenu pour responsable de la frivolité de Mlle Kwak. M. Kim renonce à chasser la servante qui fait preuve de docilité et d'humilité lui promettant le silence au retour de sa femme.
M. Kim demande conseil à son ami, Lyu qui lui dit que "L'adultère est parfois moins grave qu'une contravention. Si la femme l'accepte l'homme est acquitté". Lyu lui conseille l'attitude du meurtrier qui n'avoue jamais sa faute : mieux vaut se taire et ne rien dire à sa femme.
Mme Kim découvre bientôt que la servante est enceinte. Celle-ci ne tarde pas à le révéler à M Kim et lui demander protection. M. Kim n'a alors que faire de la télévision qui vient d'arriver. La servante devient incontrôlable et joue du piano au milieu de la nuit. Kim avoue sa faute à son épouse. Celle-ci pour protéger son " petit bonheur qui lui a tant couté" promet d'élever l'enfant en secret. La servante tombe dans l'escalier et le médecin, appelé d'urgence, confirme que son enfant est mort. La femme soigne la servante pendant les complications dues à l'accident et la fausse couche. Mais, lorsque l'enfant des Kim nait, la servante se met à jalouser l'enfant qui lui rappelle celui qu'elle a perdu. De rage, elle menace même de tuer le bébé.
En découvrant à nouveau la mort aux rats, la servante fait croire au garçon qu'elle a mis du poison dans son verre. Celui-ci, affolé, court vers ses parents mais fait une chute mortelle dans l'escalier. La servante nie avoir mis de la mort au rats et répond seulement à la fille : "Tes parents m'ont appris à mentir" puis à ceux-ci : "Tous les enfants sont égaux. Si le mien est mort, pourquoi pas le vôtre". M. Kim, éperdu de douleur et de rage, veut la dénoncer à la police. Sa femme l'en empêche de peur du scandale pour leur famille qui provoquerait le renvoi de son mari de l'usine. La servante comprend alors immédiatement sa nouvelle position de force dans la famille et exige que ce soit avec elle que M. Kim couche désormais.
Mme Kim, qui subit cette humiliation devant sa fille, décide d'empoisonner la servante avec de la mort aux rats. Mais la servante avait remplacé le poison par une mixture sucrée et déjoue le plan de Mme Kim tout en l'humiliant encore davantage de ses intentions meurtrières devant sa fille. C'est cependant celle-ci qui tente à nouveau de la tuer. Elle est surprise, elle aussi, par la servante. Celle ci s'empare du flacon et fait constamment peser sur la mère et la fille la menace de leur rendre la monnaie de leur pièce.
Comme Mlle Cho prend une nouvelle leçon de piano, la servante la blesse avec un couteau et lui fait comprendre qu'elle est la maitresse du professeur. Après cette dernière humiliation, la servante présente à M. Kim le suicide comme la seule façon d'en finir dignement. Ce qu'il accepte. Il boit la mort aux rats en premier et elle en second. Elle lui promet un amour éternel dans l'au-delà. En agonisant, il déclare toutefois vouloir mourir auprès de sa femme. Il la retrouve épuisée devant sa machine à coudre et lui déclare un amour eternel pendant que la servante git, morte, sur les escaliers. Mme Kim lui ferme les yeux et regrette : "Sans la nouvelle maison, rien ne serait arrivé".
Le cadre s'élargit pour saisir le train qui passe devant la fenêtre... et retour à M. Kim devant la fenêtre pendant que sa femme finit la lecture du journal narrant le fait divers. M. Kim tente d'expliquer l'adultère par le désir masculin d'en revenir aux origines du monde. Mme Kim, ironique devant cette explication ampoulée, voit alors arriver la jeune servante et s'empresse de l'accompagner faire les lits en lâchant : "Employer une jeune servante, c'est comme introduire le loup dans la bergerie". Ce que confirme seul, face à la caméra, M. Kim en s'adressant aux spectateurs : "Plus un homme vieillit, plus il s'en prend aux jeunes filles. Il ne faut pas le nier, sans quoi, on court le risque de déshonorer sa famille."
La servante
est un drame social terrible et cruel qui met en scène la chute d'une
famille, exterminée dans son désir d'ascension, par une jeune
femme qui ne supporte pas de se voir exclue des douceurs de la vie bourgeoise.
Bien plus que le désir d'adultère, auquel l'épilogue
renvoie comme à une explication convenue et rassurante, ce sont les
pulsions naturalistes qui ne demandent qu'à se déchainer dans
un jeune corps que le film met en scène. Presque entièrement
tourné en huis-clos dans le décor d'une maison, la servante
est l'un des plus grands films naturalistes dont les rapport avec Susana
la perverse (Luis Bunuel, 1950) et The
servant (Joseph Losey, 1963) suffisent à montrer la grandeur et
l'universalité du cinéma dans la compréhension et la
mise en scène de nos pulsions les plus noires.
Le monde dérivé de la bourgeoise coréenne
Mari aimant et attentionné, père droit et exigeant, rien ne destinait M. Kim à devenir l'instrument et la victime de la plus affreuse destruction qui soit, aussi bien physique que morale. Ce n'est pas la passion pour sa jeune servante qui va le détruire. Il va plier sous le poids d'une double contrainte : celle de l'avidité économique de la cellule familiale et celle du désir de possession de la servante.
M. Kim est fragilisé par l'achat dune grande maison dont il achève d'aménager l'étage et qui sera l'instrument de sa chute, par l'achat d'un piano qui servira de prétexte à Mlle Cho pour venir chez lui et lui présenter la servante. Il ne peut empêcher sa femme de coudre sans arrêt, s'illusionnant dans son désir de repos ("grâce à ce rat, je vais pouvoir me reposer") alors qu'elle se remet à travailler pour acheter une télévision et craint plus que tout le renvoi de son mari de son emploi à l'usine.
La servante s'insinue, dès son arrivée, dans la cuisine dont elle prend possession. Elle fume comme un homme ou comme les ouvrières de l'usine lui ont appris. Mais ce vice ne la destinait en rien à la cruauté acharnée dont elle va faire preuve. Elle s'amuse à tuer le rat d'un coup de planche mais c'est M. Kim qui lui apprend à se servir de la mort aux rats tout comme elle saura rappeler à la fille qui l'accuse d'avoir provoqué l'affolement de son frère en lui disant avoir mis de la mort aux rat dans son verre: "Ce sont tes parents qui m'ont appris à mentir." Pour emprisonner M. Kim dans ses filets, elle va attendre qu'il soit fragilisé par l'enterrement de Mlle Kwak et le harcèlement amoureux de Mlle Cho. Son effeuillage sensuel n'est que l'ultime, mais irrésistible arme qu'elle utilise pour entrainer M. Kim au lit.
Le monde originel des pulsions
La mise en scène, extrêmement précise, n'a de cesse de travailler le décor comme la métaphore d'une prison avec le motif obsessionnel des barreaux de la cage, de l'escalier mettant la cellule familiale, au rez-de-chaussée, sous la domination de la servante à l'étage et du balcon du premier étage rendant très proches la chambre de l'exclue et le salon de musique bourgeois.
La maison ressemble à la cage d'un écureuil dans laquelle s'agite vainement la famille. L'escalier est gravi comme un chemin de croix par Mme Kim lorsqu'elle va tenter de convaincre la servante de ne pas faire de scandale. Il est l'instrument causant la mort du bébé de la servante et de la chute. Le balcon à l'étage reliant la chambre de la servante au salon de musique est le lieu privilégié d'observation de la servante, celui qui ne peut que causer le drame en rapprochant deux mondes dont l'un tente trop facilement l'autre. Lorsque la servante revient du balcon, les vêtements mouillés de pluie, elle n'a plus qu'à se déshabiller pour piéger M. Kim.
La récurrence de l'orage dans les moments les plus paroxystiques (L'aveu de Mlle Cho et la chute dans les bras de la servante, le double suicide) et le fait qu'il soit enserré dans un prologue et un épilogue donnent au film la dimension d'un conte cruel.
Un cinéaste progressivement sorti de l'oubli
Kim Ki-young a fait l'objet d'une rétrospective à la cinémathèque française du 29 novembre au 24 décembre 2006. Grâce au soutien de la World Cinema Foundation fondée par Martin Scorsese en 2007, le Korean Film Archive a réussi à restaurer la copie du film en 2008 et à rétablir toutes les parties abimées. Le film restauré (présenté dans son format d'origine, 1.55, un peu moins allongé donc que le 1.85, standard américano japonais de l'époque) est présenté en France lors du festival de la Rochelle 2012 puis en salles à partir d'août 2012.
Kim Ki-Young tournera deux remakes de La servante : La femme de feu (1970) et La Femme de feu-82 (1982). En 2010, le film a également inspiré le réalisateur sud-coréen Im Sang-soo qui en a fait un troisième remake, intitulé The Housemaid comme l'original. La servante est interprétée par Eun-shim Lee qui signe ici son seul et unique rôle.
Jean-Luc Lacuve le 11/08/2012.
Avec : Lee Eun-shim (La servante), Kim Jin Kyu (M. Kim), Ju Jeung-nyeo (Mme Kim), Um Aeng-ran (Mlle Cho), Go Sun-ae (Mlle Kwak), Kang Suk-jae (Ae-soon, la fille), Ahn Sung-ki (Chang-soon, le fils), Ok Gyeong-hee, Choi Nam hyeon, Cho Seok-geun (l'ami de M. Kim). 1h50.