Prague, 1968. C'est le printemps, celui de la Nature mais aussi celui des idées. Tomas, chirurgien réputé, profite pleinement de cet air de liberté et de sa passion pour les femmes. Elles sont si belles ! Sabina, par exemple, avec son drôle de chapeau, et qui apprécie autant que Tomas l'amour et ses jeux, Tereza aussi, cette petite serveuse rencontrée en province, qui est venue le relancer chez lui et se jeter à son cou avec la fougueuse naïveté de son amour tout neuf. Un amour trop exclusif pour Tomas, qui consent pourtant à l'épouser mais continue à fréquenter Sabina, comme si c'était normal. Tereza, jalouse, ne l'entend pas ainsi et fuit le domicile conjugal.
Dans la rue, elle est prise dans le faisceau des phares d'un char soviétique. Ces masses d'acier et de mort viennent d'envahir la Tchécoslovaquie pour y écraser le printemps de la liberté. Au milieu de la foule en colère, Tomas et Tereza, qui s'arment d'un appareil photo crient leur révolte... en vain.
Le couple s'est réfugié en Suisse, à Genève, où Sabina est déjà installée. Tomas renoue avec celle-ci. Tereza, après une troublante séance de photos avec Sabina toujours aussi jalouse, rentre à Prague où Tomas, qui ne supporte pas leur séparation, la rejoint bientôt.
En Tchécoslovaquie, l'ordre règne, celui qu'imposent l'intimidation et la délation. Tomas refuse de se résigner et de faire allégeance aux autorités nouvelles : en représailles, il ne sera plus médecin, mais laveur de carreaux! Quant à Tereza, redevenue serveuse dans un café minable, elle est soumise aux provocations politiques et sexuelles. Un jour, les deux jeunes gens quittent Prague et s'installent à la campagne, chez leur ami Pavel. Le bonheur semble, à nouveau, à leur portée. Mais, au matin d'une belle nuit de fête et d'amour, tous deux périssent dans un accident de la route.
Adaptation de Jean-Claude Carrière en collaboration avec l'auteur lui-même, Milan Kundera. Celui-ci fut professeur de musique et de cinéma à Prague, où il eut par exemple Milos Forman comme élève.
Le scénariste Jean-Claude Carrière a compris que pour être fidèle à un roman au cinéma, il fallait le démanteler, puis le reconstruire sur des critères exclusivement cinématographiques. Les quatre parties du roman - et du film - ont des ambiances visuelles et sonores très différentes : romantisme et gaieté au début ; puis arrivée des Soviétiques et fuite à Genève ; ensuite, Tereza laisse un mot à Tomas lui disant que comme elle est "lâche", elle retourne au "pays des lâches" ; après leur retour, où leurs passeports sont confisqués, l'ambiance devient très sombre et kafkaïenne, enfin, la fin buccolique semble un peu naïve et superflue, mais rappelle le romantisme profond de ce roman, où Kundera a voulu mêler curieusement mais admirablement un mélodrame et une réflexion sur le destin tout aussi poignant d'un "petit" peuple d'Europe.
La mise en scène n'a pas grand-chose à voir avec la "nouvelle vague" tchèque des années 60-70 (le Milos Forman des Amours d'une blonde ou d'Au feu les pompiers , mais les seconds rôles sont plein de naturel, comme Lena Olin pour la sensuelle Sabina- avec une scène torride où elle se fait photographier nue par sa rivale Tereza-, ou Daniel Olbrychski toujours impeccable, ici en membre de la police politique plus vrai que nature, plus une foule d'acteurs inconnus directement sortis des univers de Kundera ou Bohumil Hrabal.
Daniel Day Lewis est convaincant en Tomas, Don Juan sympathique, puis dissident lors de la "normalisation" soviétique, qui "s'est fait tout petit devant la poupée" Juliette Binoche, qui incarne de manière stupéfiante la naïve Tereza. Dans la version originale en anglais, l'actrice prend même un accent slave délicieux.
La bande-son constituée des oeuvres de musique de chambre de Leos Janacek, le plus grand compositeur tchèque du début du XX s. Cette musique romantique et inspirée du folklore, mais déjà contemporaine -aussi proche de Brahms que les Tchèques le sont des Allemands... - est à la fois émouvante et âpre, parfois dissonnante, ce qui convient parfaitement à cette histoire d'amour sur fond de tragédie historique.
Les décors, fondamentaux pour une histoire qui a lieu pour l'essentiel à Prague, "ville dorée et baroque", "la perle de l'Europe", comme disent les guides touristiques... En 1987, la Tchécoslovaquie est encore fermée, et Kundera se souvient qu'il y a une autre ville qui ressemble étrangement à Prague : Lyon (une grande partie du vieux Lyon "rose" a d'ailleurs été construit à la même époque et avec le même esprit italien que Prague !). La reconstitution du printemps de Prague, puis de son écrasement, est donc possible, et elle est saisissante, les images en couleur se mêlant aux images d'archives, vraies ou fausses.
Philip Kaufman n'est peut-être qu'un réalisateur commercial, mais il sait traduire à merveille le fait que les grands enjeux de l'Histoire ne se réalisent qu'à travers de petites histoires, comme dans L'étoffe des héros.
Eric Barbot le 9/05/2007