Marguerite Duras livre à Benoit Jacquot le récit de la mort d'un jeune aviateur anglais dont elle a découvert la tombe à Vauville à proximité de Trouville.
C'étaient les derniers jours de la guerre mondiale. Le dernier peut-être, c'est possible. Il avait attaqué une batterie allemande. Pour rire. Comme il avait tiré sur leur batterie, les Allemands avaient répliqué. Ils ont tiré sur l'enfant. Il avait vingt ans. Un vieil homme est venu le pleurer pendant six ans. Les habitants avaient extraient le corps su petit avion météore, l'avaient veillé une nuit et un jour et s'étaient occupé de la tombe.
Cette mort l'a touchée, elle raconte l'histoire, attend des éclaircissements mais n'en trouve jamais. Peut- être cette mort évoque-t-elle celle de son petit frère, Paul, tué par les Japonais pendant la guerre du Japon, mort sans sépulture, jeté dans une fosse, sans cérémonie. Cette mort évoquerait pour elle, l'amour des hommes, le communisme du sang. Elle a découvert ensuite l'arbre mort et l'école communale à dix mètres de la tombe d'où l'on peut entendre le chant des enfants. Tout cela lui est voué. Un inconnu, c'est quelqu'un. La mort baptise aussi. C'est la mort de n'importe qui. Parce que, n'importe qui, c'est la mort justement et ce n'importe qui prenait une forme, une forme délicieuse d'enfance. Cette mort c'est la plantation du Siam aussi, pleine de morts, bêtes mortes, poissons morts et des mendiants morts de faim. Elle n'aime pas le cimetière nouveau avec ces grandes gerbes riches, ses couleurs blanches de Prisunic : personne n'est mort là-dedans.
"Je ne veux pas l'écrire, je ne peux pas l'écrire, ce n'est pas un récit, c'est un fait". Il est possible de suggérer les arbres morts, le ruisseau, l'école communale, les chats mais pas l'intérieur de l'église qui ne la concerne pas mais. Filmer cela mais pas filmer l'événement. C'est impossible ça. Photographier les faits : le fait de la tombe.
40 secondes de panoramique circulaire, du chat qui fuit le cimetière en passant par l'église, l'école et l'arbre brûlé tout à côté. Faire un film pour exprimer la totalité de l'émotion. Correspondance entre l'arbre, fou, détruit, et la jeunesse de la tombe. Passer par la tombe d'abord puis l'arbre, après. Et rester dans le vert comme si la tombe était oubliée.
Pourquoi un film de ça qui n'est rien, à peine visible. Pourtant
elle est étonnée par le fait de la mort à ce point-là.
L'écriture là-dedans elle est inaccessible. Le vieux monsieur,
ce n'était pas son père, un professeur peut être un amant.
C'est une banalité cette douleur que j'éprouve mais à
son sommet. Donc, c'est une grandeur
C'est curieux jamais l'idée de Dieu ne s'est posée ni autour
de moi, ni en moi bien sûr. Ce mot facile qu'est le mot Dieu qui est
le plus facile de tous il n'a jamais été prononcé. Tombe
faite sans permission, cérémonie populaire
La naissance d'un culte, dieu remplacé c'est assez plaisant à
penser. Jamais été émue par la moindre cérémonie
catholique. Elle est restée communiste. On le reste toujours
Il n'y a plus la guerre dans le village, l'enfant victime a tout remplacé. La guerre est enfermée dans le tombeau. Il y a un archaïsme énorme dans tout ce que je dis mais ça ne me déplaît pas. S'il n'y avait pas des choses comme ça, l'écriture n'existerait pas. Même si on ne l'écrit pas. C'est des émotions de cet ordre, très subtiles, très profondes, très charnelles, essentielles qui peuvent couver des vies entières dans le corps. C'est ça l'écriture.
Les plans de l’écrivain dans son appartement alternent avec ceux des alentours de l'église de Vauville : la tombe, l'église et son cimetière, l'école communale et plus loin l'arbre mort.