Sadako, dans la première partie du film, nous est présentée comme une victime : rabaissée (et trompée) par son mari, personnage mollasson et affable qui entretient une liaison depuis dix ans avec une collègue bibliothécaire brutalisée par sa belle-mère, sans aucune indépendance matérielle, elle n’est que l’esclave d’un cadre domestique. Quotidiennement, et parce qu’ils habitent en bordure de voie, le train qui passe (direction Tokyo) la ramène à sa propre pesanteur. Cette angoisse, si communicative, est adoucie par la nourriture : bonbons, riz parfumé, restes du dîner...C’est donc parce qu’elle n’est aimée par personne (à l’exception du fils de son mari, qui la considère comme sa mère) que Sadako réagira avec tant d’ambivalence à sa rencontre avec Hiraoko. Celui qui nous apparaît, lors de la scène du cambriolage (qui débouchera sur la scène du viol), comme un être abject et uniquement motivé par l’appât du gain se révélera bien plus complexe. Littéralement rendu fou par la personnalité (et le physique) de sa victime, il en deviendra l’esclave. Comprenant, en même temps que son agresseur, qu’un réel plaisir a émergé d’un acte aussi humiliant et criminel, elle tentera de se suicider (ce qui donnera, génie imamurien, une scène très drôle).Au dernier moment, pensant à son gamin qu'elle laisserait derrière elle, elle interrompt ce geste fatal - le ralenti sur l'action étant au passage relativement impressionnant. Ce moment de bascule scénaristique (l’échec du suicide, l’arrivée d’un Hiraoko implorant) conduira le film dans une toute autre direction : désormais, Sadako va s’efforcer de reprendre le contrôle sur sa vie (et sa condition objective). Celui qui était fort uniquement parce que Sadako s’estimait faible, c’est-à-dire le mari, devra désormais composer avec une égale : elle l’a trompé, elle est capable de l’attaquer en justice (comme toute citoyenne japonaise)... Cet épisode douloureux, qui s’est conclu par la mort d’Hiraoko, l’a libérée. Bien joué, Sadako !
On retrouve une nouvelle fois la trajectoire d'une femme, marquée par des antécédents peu favorables - une sorte de malédiction héritée de sa grand-mère -, qui va peu à peu éclore de son cocon. La scène du viol, par exemple, n’a rien de "simplement" érotique : les flashback s’entremêlent aux scènes de violence, les voix-off interrogent le spectateur et les jeux de caméra interdisent tout point de vue. Il y a une part de didactisme dans ce récit, mais il y a aussi une part d’onirismeet distille quelques notes de musique toujours au bon moment pour faire monter la pression ou souligner l'incongruité d'une situation.
Il y a entre autres cette sublime scène du train - double travelling latéral en plan séquence qui suit les deux individus montant dans le train avant de repartir dans l'autre sens au départ du train - où les deux personnes s'affrontent lors d'un étrange corps à corps pouvant aussi bien les faire basculer vers la mort que vers l'union : Imamura filme magistralement cette séquence d'une tension quasi hitchcockienne.
Sadako ne sait plus vraiment comment se défaire de ce personnage encombrant mais dont l'amour semble provoquer en elle quelques éclairs de lucidité quant à sa situation "maritale" (elle n'est d'ailleurs point mariée "officiellement" ): prenant de plus en plus d'initiatives, elle se rend ainsi compte que son gamin n'est pas déclaré sous son nom et va se battre contre la famille de son mari pour retrouver ses droits.
Imamura ouvre quasiment son film sur deux souris dans une cage (on pourrait forcément y voir une transposition de la situation de Sadoko) et le clôt sur cette image troublante, déjà montrée au cours du film, d'un ver à soie remontant sur le haut de la cuisse d'une Sadoko qui l'attire avec une feuille : cette dernière a-t-elle appris à "apprivoiser" les pulsions sexuelles masculines ?