L'étau

1969

Genre : Espionnage

(Topaz). Avec : Frederick Stafford (André Devereaux), Danny Robin (Nicole Devereaux), Karin Dor (Juanita de Cordoba), John Vernon (Rico Parra), Roscoe Lee Browne (Philippe Dubois), John Forsythe (Michael Nordstrom), Michel Piccoli (Jacques Granville), Philippe Noiret (Henri Jarré), Claude Jade (Michèle Picard), Michel Subor (Francois Picard), Per-Axel Arosenius (Boris Kusenov), Tina Hedström (Tamara Kusenov) Donald Randolph (Luis Uribe), George Skaff (René d'Arcy). 2h07.

1962. Boris Kusenov, un haut fonctionnaire du KGB, profite de vacances avec sa femme et sa fille à Copenhague pour passer à l'Ouest. Michael Nordstrom est chargé de l'opération et conduit Kusenov et les siens à Washington.

René d'Arcy, l'ambassadeur de France à Washington, apprend à André Devereaux, l'un des agents des services secrets, le passage d'un transfuge à l'Ouest. André se demande si ce ne sont pas les Russes eux-mêmes qui ont prévenu les Français. D'Arcy aimerait que Devereaux profite de ses bonnes relations avec les américains pour connaitre l'identité du transfuge. Devereaux invite Michael Nordstrom à déjeuner chez lui et ce dernier, au nom de leur amitié transnationale, lui donne l'information demandée.

Un peu plus tard, Michael Nordstrom apprend de Kusenov que les Russes accumulent des conseillers techniques à Cuba et que l'un des hauts dirigeants du parti, Rico Para, le délégué cubain aux Nations Unies actuellement à New York, possède avec lui le traité donnant les détails de ces accords militaires entre Russes et Cubains. Rico Para est incorruptible mais ce n'est pas le cas de son secrétaire, Luis Uribe. Celui-ci ne pourra toutefois pas se laisser approcher par un agent américain car il les hait depuis que son fils a été tué dans la baie des cochons.

Michael Nordstrom retrouve donc André Devereaux à New York où celui-ci a enfin réussi à consacrer quelques jours pour une visite familiale, profitant de la venue de sa fille, Michèle, et de son gendre, François Picard, journaliste spécialiste de l'Otan dont il est venu couvrir une session. André abandonne sa famille pour quelques heures et rejoint Philippe Dubois, un Martiniquais, qui se sert de son activité de fleuriste pour camoufler toutes sortes de missions spéciales avec Devereaux. Celui-ci lui montre un dessin de Uribe, croqué par son gendre afin que Philippe puisse reconnaitre Uribe et le corrompre. Avec une fausse carte de presse du magazine Ebony, Philippe entre dans l'hôtel loué par la délégation cubaine et parvient à convaincre Uribe de dérober la valise en cuir rouge contenant le traité de Rico Parra pendant qu'il l'occupera en lui demandant une interview. La manœuvre réussit mais Rico Parra découvre vite que la valise a disparu et surprend Philippe en train de photographier le contrat. Celui-ci a juste le temps de s'échapper sous les balles de Para, de remettre l'appareil photo à André... et de rejoindre son magasin.

Les informations parcellaires recueilles suffisent pour inquiéter les Américains. Ils persuadent Devereaux de se rendre à Cuba, où eux-mêmes sont interdits de séjour pour obtenir des informations complémentaires. Nicole fait alors une scène à son mari. Elle désapprouve la proximité idéologique d'André avec les Américains. Elle voudrait qu'il rentre en France et ne s'expose plus dans des missions dangereuses. Elle sait aussi, par madame d'Arcy, que lors de ses voyages à Cuba, André va chez une certaine Juanita de Cordoba, connue pour sa grande beauté. André peine à la rassurer en affirmant que Juanita de Cordoba n'est pour lui qu'un agent acquis à la cause de la démocratie.

Lorsqu'André arrive chez Juanita de Cordoba, il a la mauvaise surprise d'y croiser Rico Parra. Juanita l'embrasse dès le départ du cubain mais ne lui cache pas qu'il est aussi son amant... ce qui ne l'empêche pas de l'aimer passionnément même si elle le sait marié. Le lendemain, les deux amants préparent le pique-nique de Pablo et Carlotta Mendoza, un couple de Cubains de leur réseau, chargé de prendre des photos lors des débarquements de matériel sur le port.

Pablo et Carlotta Mendoza se font repérer et arrêter par la police militaire juste après avoir eu le temps de cacher les photos. Rico Parra fait une entrée menaçante chez Juanita et ordonne à André de partir dès le lendemain. Il l'avertit qu'il serra soigneusement fouillé. Carlotta Mendoza, torturée à mort avec son mari, finit par avouer à Rico Parra le nom de sa cheffe. Alors qu'André a dit adieu à une Juanita en larmes, celle-ci voit débarquer Rico Parra et ses hommes qui découvrent son laboratoire secret de développement de photos, preuve de sa traitrise. De crainte que Juanita ne soit torturée, Rico Parra la tue d'une balle de revolver. André apprend la mort de Juanita juste avant que son avion ne décolle. Il découvre que, s'il a pu échapper à la fouille à l'aéroport, c'est parce que Juanita avait caché les photos dans un carnet qu'elle lui avait donné et non dans l'habituelle cachette des lames de rasoir.

A peine arrivé à Washington, Devereaux reçoit la visite de D'Arcy qui le réprimande pour son voyage à Cuba et le somme de se rendre à Paris dès le lendemain où il est convoqué par ses chefs. Michael Nordstrom lui apprend que les photos prisent confirment l'installation des missiles nucléaires à Cuba. Devereaux aimerait faire partager cette information à ses chefs mais Nordstrom lui révèle que Kusenov leur a prouvé l'existence d'un réseau d'espionnage nommé Topaz, constitué de hauts fonctionnaires français qui transmettent toute les informations aux Russes. Si Devereaux transmet ce qu'il sait, les américains ne pourront bénéficier de l'effet de surprises lorsqu'ils entameront, d'ici trois jours, leur bras de fer diplomatique pour faire plier les Russes. Kusenov connait le nom du responsable en second du réseau d'espionnage français : Henri Jarré.

A Paris, Devereaux a rassemblé ses amis espions dans un restaurant et leur fait part de l'existence du réseau Topaz. Devereaux surveille Jarré qui ne dit mot d'abord puis, lorsqu'est évoqué le nom de Kusenov, affirme que celui-ci est mort depuis deux ans.

C'est une grosse bourde qu'a commis Jarré et son chef, Jacques Granville le lui reproche vertement. Jarré exige l'assassinat de Devereaux car il sent l'étau des soupçons se resserrer autour de lui ; un journaliste doit venir le voir à 21 heures le soir. Granville se refuse à tuer Devereaux et congédie Jarré car il attend une visite importante. C'est Nicole Devereaux, sa maitresse. Elle voit Jarré sortir.

Le soir, c'est François Picard qui vient interviewer Jarré avec une demi-heure d'avance. Jarré comprend qu'il est percé à jour et accepte de parler à Devereaux. François Picard téléphone à son beau-père. Celui-ci n'a pas le temps de se réjouir : la communication est brutalement coupée. Devereaux et sa fille Michèle se rendent chez Jarré et le découvre défenestré, étendu ensanglanté sur le toit d'une voiture.

Ils craignent pour la vie de François Picard qui a disparu. Celui-ci les rejoint bientôt ayant réussi à échapper à la vigilance de ses geôliers qui cherchaient un endroit discret pour l'abattre. François picard a entendu quel numéro ils composaient pour joindre leur chef. Ce numéro, Nicole épargne à son mari la peine de le retrouver: c'est celui de leur ami de la résistance, Jacques Granville dont elle avoue bien connaitre la petite maison blanche qu'il occupe.

Le jour de la réunion officielle franco-américaine, Jacques Granville est exclu du sommet. Comprenant qu'il est découvert, il rentre chez lui et se suicide.

Les promeneurs des Champs Elysées lisent sur le journal que Kroutchev a plié face à la diplomatie de Kennedy dans la crise des missiles à Cuba. Ils ne savent pas ce qu'il en a couté aux Mendoza, à Juanita et même à Devereaux et Jarré dont les visages se succèdent en transparence avec ce journal.

Tourné en extérieur à Paris, Copenhague, New-York et dans des décors extrêmement élaborés recréés à Hollywood, L'Etau est d'une facture étincelante. Suite à plusieurs preview jugées catastrophiques, il est amputé de plus de vingt minutes par Hitchcock lui-même qui tourne deux fins nouvelles. Celle choisie s'avère la plus banale mais aussi la plus cohérente par rapport aux scènes supprimées qui portaient sur le triangle politico-amoureux entre André, Nicole et Jacques, entre le mari, la femme et l'amant, entre l'atlantiste, la gaulliste et le communiste.

De grandes séquences hitchcockiennes

Le film comporte trois grandes séquences muettes où Hitchcock fait preuve de toute sa virtuosité. Elle consiste à enlever un élément inutile, ici le son, afin de faire participer le spectateur. La première scène muette a lieu dans le magasin de porcelaine où Tamara Kusenov et ses parents sont surveillés par les agents Russes. Pour faire diversion, Tamara s'empare d'un couple en porcelaine et le lâche. Le bruit assourdissant n'est dû qu'au long silence qui le précède mais génère une accélération de l'action. La seconde séquence muette à lieu dans la boutique de fleuriste de Philippe Dubois. Celui-ci conduit André dans la chambre froide et c'est au travers de la vitre qu'André sort le portait de Uribe afin que Dubois puisse, plus tard, l'identifier et le corrompre. La troisième scène muette lui succède presque immédiatement. Devereaux observe, depuis l'autre côté de la rue, la manœuvre de Dubois pour approcher Uribe puis son indication comme quoi il a réussi et montra tenter de voler la valise dans cinq minutes.

La séquence de l'exécution de Juanita par Rico Parra, filmée en plongée totale est l'une des plus belles jamais filmée. La robe de Juanita qui s'étale telle une corole quand elle s'écroule évoque une mare de sang. Notable aussi, le premier plan séquence du film, la sortie sous surveillance des Kusenov.

Un film d'espionnage froid et glaçant

Topaz, le roman de Leon Uris, est adapté par Samuel Taylor pour en faire un grand film d'espionnage contemporain transposition de la crise des missiles, survenue en octobre 1962. Hitchcock voulait coupler cette histoire avec le drame sentimental vécu par André, Nicole et Jacques, le mari, la femme et l'amant. Après son retour à Washington, André découvre son appartement vide où le courrier s'est accumulé. On comprend que Nicole est revenue à Paris mais Hitchcock avait prévu de développer leur rupture par une grande scène de réception à Paris où, après être allé chercher sa fille et son gendre à l'aéroport, André constatait qu'il n'était pas le bienvenu. Jacques Granville y expliquait que, durant la résistance, il formait un trio avec Nicole et André, qu'il aimait la première mais qu'elle lui avait préféré le second.

Amputée aussi la séquence où Nicole prend le café avec André et Michael Nordstrom. Celui-ci demandait pourquoi un fusil était accroché au mur. André déclarait fièrement qu'il s'agissait de l'arme de sa femme durant la résistance. Dans une scène à transparence très visible sur le tarmac d'Orly, André explique à Michael Nordstrom qu'il n'a aucune preuve contre Granville. La fin, où celui-ci se suicide est donc en grande partie artificielle. Dans la version initiale, Granville défiait André en duel avec la certitude de le tuer. Mais c'est un tueur russe qui l'exécutait dans le stade de Charléty. Après ce coup de feu unique, Nicole voyait apparaitre avec soulagement son mari sortant des vestiaires.

Cette fin ayant été boudée par les spectateurs de l'époque, Hitchcock en proposa une autre plus ironique. Alors que le couple réconcilié s'embarquait pour les Etats-Unis, il voyait monter dans l'avion d'à côté, à destination de l'URSS, un Granville grillé comme espion mais accueilli par le pays pour lequel il avait travaillé.

La fin retenue est plus abrupte et sérieuse. Abrupte parce que la scène du suicide de Granville ne pouvait plus être tournée avec un Piccoli pris sur un autre tournage et est bricolée à partir d'une prise antérieure, une image figée d'une porte extérieure et sur un coup de feu off. Sérieuse car elle opte pour la grandeur des services secrets qui protègent le monde et se sacrifient alors que le grand public est ignorant de ce qui se trame.

Il est grand temps aujourd'hui d'appeler à la réévaluation du film; film d'espionnage froid et glaçant, moderne jusque dans son refus des stars.

Jean-Luc Lacuve, le 17/06/2011.

Source : documentaire Topaz, an appreciation by Leonard Maltin, en Bonus DVD Universal.