Family Romance, LLC

Un homme attend sur un pont dans la grande ville. Il se nomme Ishii Yuichi. Il identifie l'adolescente de 12 ans, Mahiro. Elle écoute ce père qu'elle ne connaît pas. Ils vont voir les cerisiers en fleurs au parc Yoyogi. Il est gentil et attentionné; ils font des selfies, elle est contente. Plus tard, l'homme reçoit de la mère de Mahiro sa rémunération pour avoir joué le rôle du père, selon les règles du contrat en bonne et due forme passé entre eux deux.

Ishii Yuichi donne des instructions à l'un de ses employés qui doit jouer le rôle du père de la mariée. Celui-ci n'est pas souffrant, comme le prétend sa femme, mais, comme le révèle un peu plus tard la mariée elle-même alcoolique et sa présence gâcherait la cérémonie.

Ishii retrouve Mahiro devant le lac. L’adolescente semble un peu boudeuse. Ishii l'entraîne dans une promenade en bateau-cygne, puis la fait prendre en photographie par un passant qui s'avère un mime très doué et qui fait rire Mahiro. Ils prennent un distributeur d'oracles et accrochent la prédiction déjà réalisée d'une rencontre importante au portique dédié. Le soir, ils regardent les lanternes en papier déposées sur l’eau par les passagers des barques. Le lendemain Ishii félicite le mime: Mahiro était très contente et n'a pas vu que c'était une opération préparée pour elle.

Ishii rejoint Mahiro au pied de la tower tree. Elle est avec Airi, une enfant métis, dont elle prend soin car elle est rejetée par tous. Ils grimpent au sommet pour observer la ville. Ils vont ensuite chez un marchand de hérissons pour apprendre comment les élever en captivité.

Ishii Yuichi passe un contrat avec une cliente qui veut reproduire son sentiment d'exaltation lorsqu'elle apprit avoir gagné à la loterie. Ishii Yuichi présente à genou des excuses à la place d’un employé qui ne peut se résoudre à cette humiliation devant son chef de gare.

Une autre fois, Ishii et Mahiro se promènent dans le parc, la jeune fille étant fière de montrer son tout nouveau costume de lycéenne à son père. Elle lui confie avoir un amoureux qui ne la regarde même pas. Ishii la réconforte. Elle lui montre une photo d'elle faisant du Yoga et prétend qu'elle a été prise à Bali

Le dépassement de soi, thème cher à Werner Herzog, trouve au Japon une terre où le simulacre s'achète. Pour filmer cela, Herzog n'a pas hésité à lancer une opération commando : filmer quasiment seul sans autorisation. L'ensemble donne un film où la fiction approfondit la captation documentaire par des instants de grande émotion.

Location de proches dans une société normée

La puissance des réseaux sociaux incite l'aspirante actrice à se payer une fausse séance de photos afin de se montrer sur Instagram suivie par une foule de paparazzi, signe d'une célébrité à laquelle elle veut accéder. Plus largement, avec les agences de rentaru furendo (littéralement «location de proches»), comme il en existe des dizaines au Japon, telle Family Romance que dirige Ishii Yuichi, il s'agit aussi de combler les manques d'une société où tout est ritualisé, normé, où les apparences doivent toujours être sauves. Il s'agit d’apporter de la présence, de l’humanité – ou des ersatz d’humanité – auprès d’êtres qui souffrent de solitude ou du rejet de la part des autres – ainsi l’enfant métis dont Mahiro prend soin.

Herzog s'attache aux traditions du Japon : Le « Hanami » (« Regarder les fleurs ») principalement les fleurs de cerisier (sakura), lorsque, à partir de fin mars ou début avril, elles entrent en pleine floraison; les samouraïs du parc Yoyogi ; les lanternes en papier sur l’eau : Tōrō nagashi ; les distributeurs d'Oracle : Omikuji , bandes de papier que l'on tire au sort ; Les sanctuaires shinto de la déesse Inari gardés par des renards (kitsune) ornées de yodarekake, dossards votifs rouges; La femme oracle aveugle d'Osaka, Shigeno Nakai ou sa remplaçante ; le téléphone relié au vent. Herzog montre aussi un japon moderne : les trains à grande vitesse, Shinkansen; La tower tree, L’hôtel de chaîne Henn Na et ses réceptionnistes robots tout comme les poissons dans l’aquarium.

Une opération commando

Le journaliste Roc Morin a parlé de la société Family Romance à Werner Herzog après avoir réalisé l’interview de Ishii Yuichi. Herzog dit avoir tout de suite voulu réaliser un film sur le sujet. Roc Morin, qui parle japonais, en est devenu le producteur. Le tournage à relevé de l'opération commando; six heures de tournage Petite caméra, tout seul (producteur et son fils) / Alain Cavalier

«LLC» signifie Limited Liability Company, ce qui correspond en français à SARL: Société à responsabilité limitée et il est bien établi dans le contrat qu'aucun sentiment ne doit intervenir entre l'acteur et la personne auprès de qui il interprète son rôle. Herzog s'est basé sur les confidences de Ishii Yuichi qui joue un rôle de père parfois depuis près de huit ans auprès d'adolescents qui sont stigmatisés par l'absence de leur père. Les excuses qu’il présente à genou à la place d’un employé qui ne peut se résoudre à cette humiliation est en partie inventée de même que la séquence de la loterie jouée une seconde fois. La séquence du cauchemar en noir et blanc est aussi un élément ajouté par Herzog.

Le film a été présenté au festival de Cannes 2019, mais sa sortie officielle en salle a été retardée par la pandémie.

Du sentiment au sein du simulacre

Ishii Yuichi s’interroge sur son métier : à force de passer sa vie à jouer un rôle, à mettre en scène des simulacres de réalité, il n'en était pas lui-même entouré : ses proches, sa famille même, ne seraient-ils pas des acteurs ? Ishii Yuichi ne joue pas de rôle dans le cadre de son métier, mais vient observer des humanoïdes ayant à peu près la même fonction que lui.

Herzog sensible au nom de la société qui contient le mot « romance » a ajouté Le Notturno de Schubert (1827) qui teinte le film de romantisme sur ses séquences les plus sentimentales : le câlin au ralenti demandé par Mahiro après celui de son "père" à Ari au sommet de la Tower tree, la séquence du hérisson, ou la fin derrière la vitre où Ishii s'interroge sur la réalité de sa famille alors que son enfant semble l'appeler, les mains derrière la vitre.

Jean-Luc Lacuve, le 13 septembre 2020