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Je verrai toujours vos visages

Jeanne Herry
2023

Genre : Drame social

Avec : Suliane Brahim (Fanny), Jean-Pierre Darroussin (Michel), Élodie Bouchez (Judith), Adèle Exarchopoulos (Chloé Delarme), Dali Benssalah (Nassim), Birane Ba (Issa), Leïla Bekhti (Nawelle), Gilles Lellouche (Grégoire), Miou-Miou (Sabine), Pascal Sangla (Cyril), Anne Benoît (Yvette), Fred Testot (Thomas), Denis Podalydès (Paul), Raphaël Quenard (Benjamin Delarme). 1h58.

Fanny et Michel écoutent une femme exprimer le souhait de revoir la mère de son compagnon alors qu'ivre, elle a tué celui-ci dans un accident de voiture. La discussion s'interrompt : c'était un atelier de Justice Restaurative. Instaurée en France depuis 2014, elle est menée par des bénévoles, dûment formés. Paul, un responsable expérimenté leur fait quelques reproches. Michel ne peut pas dire qu’il comprend. Fanny ne doit pas interrompre si souvent. Il faut soutenir en écoutant, respecter les silences, ne pas faire de commentaires. Il y avait trop de questions fermées, trop de suggestions adressées à Judith. Fanny ne doit pas essayer de "tirer les vers du nez", sortir de sa position de spip. "On ne parle pas à leur place, on n'essaie pas de les transformer : on écoute et on accueille inconditionnellement. Il faut leur laisser un espace pour réfléchir sans quoi ils vont dire ce qu'ils ont toujours dit à tout le monde et ils vont taire ce qu'ils ont toujours tu. Tu prends trop de place, laisse leur la place! Suis la sans jugement, sans diagnostic, en mode avion, en mode avion ! Paul conclut pour tous les membres du groupe en affirmant : la Justice Restaurative, c'est un sport de combat".

Un an plus tard, Fanny et Michel vont visiter en prison, Nassim qui s'est déclaré volontaire pour suivre des séances de Justice Restauratrice. Très renfermé, voulant plutôt oublier le passé pour se projeter dans l'avenir, il semble en attendre un jugement favorable pour une sortie de prison anticipée. Fanny et Michel lui expliquent que ce n'est pas en leur pouvoir.

Chloé Delarme reçoit un appel téléphonique qui  la plonge dans l'angoisse. Le matin, elle va voir Judith. Chloé a appris que son frère contre lequel elle a gagné son procès pour viol il y a trois ans allait venir habiter la même ville qu'elle. Elle veut établir des règles claires pour n'avoir pas à le croiser. Judith lui demande de lui dire ce qu'elle croit qu'elle a besoin d'entendre pour l'accompagner au mieux dans la démarche qu'elle a entreprise. Elle a été agressée sexuellement par son demi-frère quand elle avait sept ans et lui treize. Il a tenté de la sodomiser quand elle avait douze ans. Elle a habité seule avec son père à treize ans quand ses parents ont divorcé. Il y a douze ans, à dix-sept ans, elle a porté plainte. Son frère a reconnu les faits mais il a dit qu'il ne savait pas qu'elle ne voulait pas. Il s'est dit immature à l'époque des faits ne sachant pas ce qu'il faisait. Après la prison, il est parti vivre ailleurs mais il revient désormais dans la même ville qu'elle.

Durant des mois, Fanny et  Michel voient Nassim en prison, savoir s'il est prêt à entendre des victimes d'actes de vol avec violence comme il en  a commis. Judith contacte  Benjamin Delorme pour savoir s'il est prêt à entendre les demandes de sa sœur et dans quelles conditions; questions écrites auparavant ou pas, demandes de pardon. Chloé durant ces mois revit avec angoisse ses années d’enfance où chaque nuit est vécue dans la terreur. Fanny, Michel et Judith sont amis et se soutiennent, notamment quand Judith se sépare de son compagnon, notamment parce qu’il trouve son bénévolat top chronophage.

Un premier rendez-vous est donné en prison à trois victimes qui vont rencontrer trois coupables d'agressions semblables à celles qu'elles ont vécues. Il y a Nawelle, caissière qui s'est fait mettre un révolver sur le front lors du braquage de son épicerie. Depuis elle  a sombré dans la dépression, incapable de retravailler. Cela fait cinq ans qu'elle demeure traumatisée sans pouvoir s'occuper vraiment de ses enfants. Il y a Grégoire, qui s'est fait braquer chez lui avec sa fille et qui a sombré tout pareillement avec le sentiment de n'avoir pas tout fait pour protéger sa fille qui n'a pas même été crue quand elle a affirmé avoir été menacée d’un couteau. Il y a Sabine victime d'un vol de sac à l'arraché qui a été rouée de coups par son agresseur. Depuis sept ans, terrorisée et phobique au moindre bruit, elle ne sort pas de chez elle.

Fanny énonce les règles des réunions qui auront lieu chaque mardi pendant cinq semaines pour des rencontres de trois heures, puis deux mois plus tard pour une rencontre bilan. Chaque personne qui parle doit tenir le bâton de parole qu'elle repose une fois qu'elle a terminé. Le cercle comprend, Fanny, Michel et deux autres bénévoles, Yvette et Cyril, les trois victimes, Nawelle, Grégoire et Sabine et trois condamnés pour agression avec violence: Nassim, Issa et Thomas

Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée… Et au bout du chemin, parfois, la réparation.

Le titre, "Je verrai toujours votre visage", que l'on croit d'abord être une parole de victime subissant un long traumatisme se révèle être celle d'un agresseur, en l'occurrence Nassim. Celui-ci affirme qu’il ne recommencera pas ses vols avec violence car il verra alors les visages de ceux dont il a compris qu’ils souffraient. Une telle rédemption apparaît difficilement crédible.

Elle est hélas caractéristique de la construction du film en autant de petit suspens pour la résolution des problèmes de chacun. Issa comprend qu'il est non seulement coupable mais responsable. Nawelle reprend confiance en comprenant que les braqueurs sont trop minables pour remarquer la victime même en l'ayant regardée droit dans les yeux. Grégoire se met à espérer qu'il pourra aider Thomas à faire des dossiers lui permettant de rentrer dans la vie active. Thomas est aussi touché par la sollicitude d'Yvette qui recoud sa chemise. Sabine qui se désespère d'avoir gâché ses sept ans de réclusion volontaire reprend confiance avec le soutien chaleureux de tous. Chloé Delarme mettra huit mois pour poser les bonnes questions à son demi-frère qui ne peuvent que le renvoyer à sa culpabilité d'agresseur. Celui-ci semble ne plus se leurrer en attendant une demande de pardon de sa victime pour l'avoir mis en procès. Mais cela sera-t-il suffisant pour que Chloé ne soit plus hantée par les cauchemars récurrents issus de son enfance ?

La Justice Restaurative, dont les principes sont énoncés au début du film, met en évidence le besoin de s'exprimer des victimes pour sortir de l'isolement dans lequel ils se sont enfermés sans pouvoir en sortir. L'échange permet de mieux accepter l'autre de créer des solidarités. Mais Jeanne Herry qui veut boucler ses histoire, les terminer toutes par un happy-end, s'éloigne alors des principes de cette justice Restaurative : "on écoute et on accueille inconditionnellement. Il faut leur laisser un espace pour réfléchir sans quoi ils vont dire ce qu'ils ont toujours dit à tout le monde et ils vont taire ce qu'ils ont toujours tu".

Jean-Luc Lacuve, le 28 février 2024.

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