1965

Dans l'Espagne du XVIIIe siècle, durant les guerres napoléoniennes, un officier français découvre un manuscrit. Il est tellement fasciné par les gravures, une potence et surtout deux jeunes femmes lascives, qu'il ne voit pas approcher un groupe d'ennemis espagnols. L'officier qui les commande est tout aussi fasciné par les gravures. Mieux même, il découvre que le mansucrit parle de son grand-père, le comte d'Olavidez.

Celui-ci n'est encore que le jeune Alfonse Van Worden. Il traverse la sierra Morena entre l'Andalousie et La Manche. Le roi Philippe V l'a nommé capitaine des gardes wallonnes et il doit rejoindre Madrid au plus vite. Il dédaigne les mises en garde de ses deux serviteurs au sujet des bandits et fantômes qui hantent cette région et décide de prendre au plus court entre le puits des deux chênes verts et l'auberge la Venta Quemada. Aux chênes verts, il fait tomber le seau du puits et s'aperçoit que non seulement Moschito, qui avait déjà fuit, mais son second serviteur qu'il vient de quitter, sont pendus sur une potence sous laquelle s'accumulent crânes et serpents. C'est donc seul qu'il rejoint la Venta Quemada. Il se précipite sur une amphore dont il boit le contenu avant de somnoler. Il est réveillé par une servante noire qui lui indique que deux étrangères souhaitent l'inviter à diner. Elle le conduit alors dans un somptueux palais islamique caché au creux de la caverne. Là, deux sœurs, les princesses Emina et Zibelda de Tunis qui n'ont jamais connu d'hommes l'appellent leur cousin et s'offrent à lui. Elles ne pourront l'épouser que s'il devient musulman.

Au matin, Alfonse se réveille à l'extérieur de l'auberge où ont été conduits les deux corps de ses serviteurs, déjà mangés par les corbeaux. L'auberge ne contient plus dans sa grotte souterraine que des squelettes et des rats. Alfonse poursuit sa route jusqu'à une église où il est accueilli par un ermite et un possédé qu'il tente de guérir, Pascheco. Alfonse raconte l'histoire de son père, colonel aux gardes wallonnes, gentilhomme fort courtois et féru d'honneur.

Apres un duel perdu, il s'était dit prêt à vendre son âme contre un peu d'eau. Une femme lui en avait apporté. Elle devint sa femme. Lors de son mariage à Saragosse, il apprend que le maire de Bouillon l'invite à rejoindre les Ardennes, prendre possession de son héritage. Il quitte alors l'Espagne pour ce rendre dans ce pays pluvieux où fut conçu Alphonse. Celui-ci devenu adulte, son père décide de le renvoyer en Espagne pour y devenir officier dans les gardes wallonnes. C'est ainsi qu'Alphonse débarqua à Grenade, à la veille du début du récit, pour se rendre à Madrid.

Pascheco, moins possédé qu'il n'en avait d'abord l'air, raconte son histoire. Son père avait épousé Camille qui était venue vivre à Cordoue avec Inesille, sa jeune sœur qui ne laissait pas son mari insensible et surtout pas Pascheco qui voulait sa main. Son père refusa que son fils devienne son beau-frère. Camille se proposa d'aider Pascheco à devenir l'amant d'Inesille. Elle lui demanda de l'attendre à la Vanta Quemada alors qu'elle rentrait de Madrid avec son mari et Inesille.....

... Alfonse est sauvé de l'Inquisition, répond à un cabaliste et entend diverses histoires d'amour. Von Worden rencontre, Avadoro,un gitan peu avare en récits étranges. Sa vie en est un mais aussi celle de Lopez Suarez, Don Roque ou Fraquista....

Manuscrit trouvé à Saragosse (Rekopis znaleziony w Saragossie), réalisé en 1965, est une adaptation du roman fleuve du même nom, écrit par le Comte Jean Potocki, grand seigneur polonais d'éducation française, né en 1761. Il fut savant, artiste et homme politique. Fondateur des études de langues et civilisations slaves, il publia une série de travaux importants étayés par des recherches ethnologiques, historiques et linguistiques effectuées "sur le terrain". Les récits de ses voyages en Europe, en Afrique du Nord et en Asie nous montrent un observateur extrêmement attentif à la condition humaine et aux systèmes de gouvernement. En 1789, il fonde à Varsovie un club politique progressiste et une "imprimerie libre". En 1804, la situation politique ayant profondément changé et le partage de la Pologne étant consommé, il offrira ses services au tsar, préconisant la conquête, dans un but civilisateur et commercial, d'une grande partie de l'Asie (dont l'Afghanistan).

Après avoir dans sa jeunesse écrit un Recueil de Parades, une opérette (Les Bohémiens d'Andalousie) et quelques contes et apologues, il travaille dès 1797 au Manuscrit trouvé à Saragosse, son chef-d'oeuvre, achevé peu avant sa mort, mais resté inédit. Il se suicida en 1815 dans des circonstances entourées de légendes. Du vivant de Potocki, seules furent imprimées les Journées 1 à 13, sous forme de placards non mis dans le commerce, et des extraits (Avadoro et Dix journées de la Vie d'Alphonse Van Worden) dont l'authenticité est controversée, en tout environ la moitié du texte. En 1847, Edmond Chojecki publia à Leipzig une traduction intégrale en polonais, d'après un manuscrit qu'il tenait des archives de la famille Potocki et qu'il aurait ensuite détruit. Cette version connut quelques réimpressions. Le public français ne découvrira l'auteur qu'en 1958, grâce à la publication par Roger Caillois d'une partie (un quart environ) du roman. L'édition de José Corti en 1992 basée sur la totalité des sources accessibles (les imprimés, les autographes et copies manuscrites de fragments de l'oeuvre et la traduction de Chojecki), restitue l'ensemble de l'oeuvre dans sa langue originale, le français.

 

Roman à tiroirs où s'accumulent plus de cent histoires différentes : histoires de pirates, de bandits, de guerres, récits semi-autobiographiques, légendes surnaturelles, il est jugé inadaptable... sauf par Has. Le film sort en 1965 sur les écrans. La version initiale, prévue pour être projetée en deux parties séparées par un entracte, dure 178 minutes. C'est cette version qui est projetée en Pologne lors de la sortie du film. Elle est également projetée le 23 mai 1965 à Cannes, en marge du festival, le film n'ayant pas eu l'honneur d'être retenu pour représenter la Pologne puis à Paris au Ranelagh. Après ces deux projections, un distributeur français qui se dit intéressé par le film demande qu'il soit raccourci. Has se met aussitôt au travail et monte une version de 124 minutes avec une majorité de coupes dans la deuxième moitié du film. C'est cette version courte qui est envoyée dans les festivals internationaux et distribuée hors de Pologne. Le film sort en salle à Paris en 1966. Malgré le peu d'enthousiasme de la critique, le bouche-à-oreille fonctionne si bien que les séances sont prolongées. Il n'y a qu'en France que le film obtient cette adhésion du public ordinaire du cinéma et la version courte, qui ne reste jamais très longtemps absente des écrans français, est diffusée en 1977 à la télévision.

Au début des années 90, aux Etats-Unis, Jerry Garcia, futur membre des Grateful Dead, qui n'hésitera jamais à rendre hommage au film de Has, soulignant l'influence considérable que ce dernier avait eue sur sa musique se met en quête avec l'aide de la Pacific Film Archive de la fameuse version intégrale. Il croit l'avoir decouverte et fait éditer une copie de 152 minutes qui, selon Anne Guérin-Castell, n'est qu'une seconde version courte, censurée, avec des raccords laborieusement travaillés à la manière de Has, afin que les coupes passent inaperçues, faite en 1984, sur ordre du Ministère de la Culture. Par chance, une "lavande" – contretype peu contrasté du négatif –, dont les mutilateurs ignoraient l'existence, est retrouvée. La restauration de ce matériel semble malheureusement trop coûteuse. C'est alors que Martin Scorsese décide de restaurer le film. Présenté en 1997 par Martin Scorsese et Francis Ford Coppola pour la première fois au New York Film Festival en 1997 , le film ressort dans le circuit des salles arts et essais en France en 2004 puis en DVD.

"Manuscrit" vs "Le manuscrit"

Anne Guérin-Castell note que, dès la projection du film en marge du festival de Cannes 1965, une certaine confusion règne quant à son titre français. On trouve aussi bien "Le Manuscrit trouvé à Saragosse" que "Manuscrit trouvé à Saragosse". Pourtant, selon elle, seul ce dernier titre peut être attribué au film de Wojciech Has. C'est d'ailleurs le titre qui figure sur les copies de la version courte avec sous-titres français, dans la version établie en 1966 par Anna Posner comme dans celle établie en 1987 par Gilberte Crépy et Zygmunt Szymanski.

Et comment pourrait-il en être autrement ? Chaque film du cinéaste, à l'exception de "Zloto" ('L'or de mes rêves"), est une adaptation d'une œuvre littéraire, et Has a chaque fois donné à son film le titre exact de l'œuvre adaptée. Certes, la traduction du polonais au français autorise quelques modifications, d'autant plus qu'il n'y a pas d'article, défini ou indéfini, en langue polonaise. Oui, mais le roman a été écrit directement en français, une langue que Potocki connaissait admirablement. Ce n'est donc pas par hasard qu'il a intitulé son œuvre "Manuscrit trouvé à Saragosse", titre que l'on retrouve dans l'édition de la version intégrale du roman publiée chez Corti.

   

Manuscrit trouvé à Saragosse allie la puissance visuelle du surréalisme aux audaces narratives d'un Bunuel. Celui-ci dira dans son autobiographie : "J'ai vu ce film trois fois. Ce qui, dans mon cas, est absolument exceptionnel". La fin des épisodes réelle souvent qu'il s'agissait en partie d'un rêve mais à partir de quel moment ?

La deuxième partie abandonne pour un temps son personnage principal mais les récits du gitan Avadoro semblent faire écho aux aventures que vient de vivre le jeune Von Worden. Ainsi, certains lieux, personnages ou signes se répondent d'une partie à l'autre. Si bien que la frontière séparant la fiction de la réalité devient de plus en plus floue. C'est que Manuscrit trouvé à Saragosse est avant tout un récit initiatique. Il s'agit là de mettre Von Worden à l'épreuve en maltraitant le réel, en le tordant jusqu'à ce qu'il plie sous les assauts du fantasme (rêves, mensonges, légendes…).

Source : L'indispensable site de Anne Guérin-Castell, spécialiste de Wojciech Has

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Manuscrit trouvé à Saragosse
(Rekopis znaleziony w Saragossie). D'après le roman éponyme de Jan Potocki. Avec : Zbigniew Cybulski (Alfonse Van Worden), Iga Cembrzynska (Princesse Emina), Elzbieta Czyzewska (Donna Frasquetta Salero), Gustaw Holoubek (Don Pedro Velasquez), Stanislaw Igar (Don Gaspar Soarez). 3h00.
Voir : Photogrammes