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Meurtre dans un jardin anglais

1982

(The Draughtsman's Contract). Avec : Anthony Higgins (Mr. Neville), Janet Suzman (Mrs. Herbert), Anne-Louise Lambert (Mrs. Talmann), Hugh Fraser (Mr. Talmann), Neil Cunningham (Mr. Noyes), Dave Hill (Mr. Herbert), David Gant (Mr. Seymour), Michael Feast (La statue), Alastair G. Cumming (Philip),Suzan Crowley (Mrs. Pierpont), Steve Ubels (Mr. van Hoyten). 1h48.

Août 1694. Réception chez Les Herbert à Anstey. Les discussions vont bon train entre, Mr Seymour, Mrs. Clement , Mr Noyes et Mme Pierpont, et les frères Poulencs. Mme Herbert interroge sa fille pour savoir si Mr Herbert va commander des dessins à Mr Neville, un jeune et beau dessinateur anglais. Comme Mr Herbert a d'autres projets, libertin à Southampton ainsi qu'il le confie à Mr Seymour, c'est Mrs Herbert qui tente d'engager Neville pour réaliser douze dessins représentant sa propriété. C'est, dit-elle, pour offrir en cadeau de réconciliation à son mari qui aime sa propriété plus qu'elle. Comme la somme proposée n'est pas assez élevée, Mrs Herbert propose que sur le contrat rédigé par Thomas Noyes, l'intendant du domaine, en plus du gîte et du couvert pour son assistant et Neville, que celui-ci pourra profiter à sa guise, chaque jour une heure durant, de la maîtresse des lieux.

Neville détermine les emplacements d'où il accomplira ses six premiers dessins. Il exige des domestiques et des habitants de ne troubler en aucune façon le paysage ou la demeure, de sorte à ce que ceux-ci restent scrupuleusement identiques chaque fois qu'il retournera sur les lieux à la même heure, afin que rien ne perturbe son agencement. Pendant des périodes précises chaque jour, les vues qu'il a choisies doivent être dégagées des calèches, des animaux, des cheminées fumantes et des personnes - à l'exception de celle qui oblige M. Talmann à rester immobile et à porter les mêmes vêtements pendant plusieurs jours d'affilée.

Néanmoins, il observe avec perplexité qu'un élément étrange s'immisce dans chacun de ses paysages ; voulant d'abord les exclure, il intègre ces différences curieuses dans ses dessins, sans s'interroger sur leur mystérieuse signification. Mme Herbert est affligée par la partie sexuelle de son accord tant Neville est brutal et essaie de rompre le contrat ; Neville refuse.

Les six premiers dessins achevés, Mrs Talmann, la fille des Herbert, suggère à Neville que les éléments étranges de ses dessins pourraient être interprétés comme les indices d'un corps disparu qui pourrait très bien être celui de M. Herbert puisque aucune nouvelle de lui n'est parvenue depuis Southampton. Neville réfute qu'on puisse l'accuser de complicité dans un meurtre mais, intrigué, accepte qu'en échange de sa protection contre un éventuel complot dont il pourrait être victime, il puisse être l'objet des demandes sexuelles de Mrs Talmann qui fait rédiger un second contrat en ce sens par Thomas Noyes.

Neville est ainsi soumis aux désirs de Mrs Talmann puis soumet Mrs Herbert aux siens propres. Intrigué par les curieux objets étranges qui s'insinuent dans ses dessins il tente vainement de faire interpréter l'Allégorie de la théorie de l’optique de Newton de Januarius Zick que son mari possède à Mrs Herbert.

Cette fois, c'est Mrs Talmann qui dispose sciemment des indices creux pour brouiller les pistes (son chien à la porte, ses vêtements dans une allée, le cheval sans selle de M. Herbert) tout en s'amusant de la perplexité du dessinateur et de ses services sexuels.

Une fois les douze dessins terminés, Neville demande à attendre le retour de M. Herbert afin de savoir s'il est satisfait de son travail. Ce n'est du goût de personne tant il a exaspéré son entourage par son mépris envers leurs préjugés de classe. C'est alors que M. Clark intervient. Le corps de M. Herbert est repêché dans les douves du château devant la statue équestre, ce qui intrigue Neville Noyes vient solliciter la protection de Mrs Herbert, persuadé qu'il va être accusé du meurtre de son mari tant on connaît sa position d'amoureux éconduit. Il propose de lui restituer le contrat contre 700 guinées ou, finalement, les douze dessins dont il compte tirer un bon prix. Puis il entraîne, Mrs. Pierpont auprès de M Seymour pour convaincre celui-ci d'acheter l'un des dessins. Il participe ainsi à l'édification d'un monument à la mémoire de M. Herbert. Puis c'est aux deux frères Poulencs de contribuer aussi  au futur monument et enfin  à M. Talmann. Noyes lui révèle que ces dessins pourrait bien révéler l’adultère de sa femme. En les achetant, il ferrait disparaître d'eventuelles preuves de l'adultère de sa femme. C'est un choc pour Mr Talmann qui vient en colère reprocher son infidélité à sa femme qui se moque de son impuissance aussi bien de jour que de nuit. Elle détourne le sens des dessins pour en faire la preuve que Neville pouvait en savoir long sur la mort de son père.

A l'automne, Neville, jusque-là à Radstock, revient voir Mrs Herbert à l'instigation de M. Seymour. Il discute avec Mrs Talmann qui est en compagnie de Mr. van Hoyten qui se propose d'adoucir les allées rectilignes du jardin et d'apporter davantage de souplesse dans le domaine. Neville offre trois grenades, à Mrs Herbert, fruits alors rares ne sachant qu'elle sera son état d'esprit ayant bien conscience d'avoir abusé d'elle. Mais Mrs Herbert désire une nouvelle relation sexuelle libre de tout contrat étant veuve et en mesure de jouir comme elle l'entend. Après l'amour, Mrs Herbert révèle à Neville que la grenade fut le don d'Hadès (Pluton) à Perséphone. Lorsqu'elle la mangea, elle fut obligée de rester trois mois avec lui aux enfers, ce qui désespéra Déméter qui refusa durant cette période l'éveil de la nature. Elle-même interprète le jus de la grenade comme celui du sang du nouveau né ou du meurtre. Elle lui avoue qu'elle avait besoin d'un héritier mâle pour conserver le domaine dans la famille. Grâce à lui, il y a des chance que le but soit atteint, ce que Mrs Talmann, intervenant à l'improviste, confirme.

Neville demande à dessiner un treizième lieu, celui où a été retrouvé le corps de Mr Herbert, près du monument au cheval, et que Mrs Herbert lui avait déconseillé comme emplacement pour ses douze premiers dessins. A la tombée du jour, Mr. Talmann s'avance près de Neville qui s'est endormi et demande à voir son dessin. C'est alors que s'approchent Mr. Noyes, Mr. Seymour et les deux frères Poulencs. Les cinq hommes accusent Neville d'avoir conclu deux contrats qui en les voyant ont entraîné la mort de . Herbert ce que réfute Neville accusant chacun d'eux tout comme Mrs Herbert et Mrs Talmann d'avoir tout manigancé. Le ton monte et Neville accuse le coup lorsque M. Talmann lui reproche d'avoir une nouvelle fois profité des faveurs de Mrs Herbert. Les cinq lui révèlent qu'ils ont un nouveau contrat envers lui : ils lui brûlent les yeux, le frappent et le noient.

L'homme statue descend du cheval qu'il avait occupé tout l'après-midi et que personne pas plus Neville que ses assassins n'avaient vu. Il s'empare de l'ananas dédaigné par Neville et le mange.

Cette tragi-comédie en cinq actes est un réquisitoire implacable contre la masculinité bornée, arrogante, méprisante et brutale. Le dessinateur Neville, au cœur du récit, n'est pas exempt de ces défauts mais, il est non seulement roturier mais aussi trop artiste pour comprendre ce qui se trame autour de lui. Cette position de l'artiste, c'est aussi celle que Greenaway s'attribue et attribue au spectateur : il ne peut tout comprendre car il se contente de voir ce qu'il a sous les yeux. Seules les femmes supérieurement intelligentes que sont Mrs Herbert et sa fille Mrs Talmann ont la clé de l'énigme.

Une tragi-comédie en cinq actes


Produit à l'origine pour Channel 4, le film est une forme de film de détective, se déroulant dans la maison et les jardins de Groombridge Place dans le comté de Wiltshire, en Angleterre, en 1694. Le cadre d'époque se reflète dans la musique de Michael Nyman, qui emprunte largement à Henry Purcell, et dans les costumes élaborés, exagérant légèrement ceux de l'époque. Les références picturales sont nombreuses : les éclairages aux bougies évoquent George de La Tour; ceux par une fenêtre sur la gauche évoquent Vermeer et l'on peut même trouver une réminiscence des Ménines de Velazquez.

Les Ménines (Diego Vélazquez) tableau plus ou moins cité

La tragi-comédie se déroule en cinq actes. Il y a d'abord la signature du contrat. Neville se croit en position de force et obtient de Mr Noyes l'établissement d'un contrat qui, outre la rémunération de huit guinées pour chacun des douze dessins, lui accorde de jouir comme il l'entend d'une heure par jour de Mrs Herbert. Le second acte est constitué de l'exécution des six premiers dessins dans lesquels il finit par intégrer un élément étrange : chemise déchirée, bottes, redingote, échelle. A la fin de l'acte, on apprend que ces éléments étranges pourraient être les indices du décès, voire du meurtre de Mr Talmann. Le troisième acte est constitué de l'exécution des six dessins suivants où c'est Mrs Talmann qui exige par contrat et pour protéger Mr Neville qui pourrait être la victime d'un complot de jouir de ses faveurs. Le quatrième acte semble marquer l'affolement des personnages pour se débarrasser du contrat et des dessins et le cinquième acte se conclut sur le retour et la mort de Neville.

Une charge sévère contre le patriarcat

Neville est particulièrement mordant vis-à-vis des aristocrates hautains qu'il se plaît à mépriser ouvertement. Il déteste leurs préjugés envers les écossais (des étrangers) et les irlandais (des catholiques auxquels on enlève leur enfant pour l'éduquer dans la tradition anglicane). Il déteste surtout leur balourdise. Il déteste tout autant Noyes de n'être qu'un valet au service de sa patronne qu'il aima autrefois mais est prêt à faire chanter. Mais lui-même est assez brutal, il exige que la maisonnée se plie à ses caprices d'avoir le champ libre pour ses dessins et surtout se montre brutale dans ses exigences sexuelles envers Mrs Herbert qu'il se plaît à l'humilier. Cette arrogance n'est que l'un des traits de son caractère comme le souligne Sarah Talmann, l'autre étant l'innocence. En effet Neville ne voit rien venir mais c'est le propre du peintre ainsi qu'elle le lui fait remarquer :

J’ai acquis la conviction qu’un homme véritablement intelligent fait un piètre peintre. Car la peinture commande un certain aveuglement, le refus partiel de voir l’objet sous toutes ses facettes. L’intelligence d’un peintre l’informera plus sur ce qu'il dessine que son observation. Ainsi, pris dans l’espace entre son savoir et sa vision, le pauvre se trouvera sans cesse gêné, inapte à mener une idée avec vigueur par la crainte de la clairvoyance de ceux à qui il a décidé de plaire et ainsi de n'avoir pas dessiné ce que son public sait. Ainsi monsieur Neville si vous êtes intelligent et par la sorte un peintre quelque peu médiocre, vous vous apercevrez que la construction dont je vous ai parlé s'agence parfaitement grâce aux preuves contenues dans vos dessins. Mais si vous êtes, selon ce que l'on s’accorde à dire un bon peintre, je serai conduite à penser que dans votre esprit, les objets ne faisaient nullement partie d'un stratagème ou d’une accusation.

Piqué au vif par cette déclaration, Neville tente de faire interpréter à Mr Herbert le tableau que possède son mari et qu'il n'a acheté dit-elle pour la simple raison qu'il y a un jardin. Neville doit se rendre à l'évidence la clé pour comprendre l'Allégorie de la théorie de l’optique de Newton de Januarius Zick échappe aussi bien à Mrs Herbert qu'à lui-même.

Allégorie de la théorie de l’optique de Newton
Januarius Zick
Le tableau tel qu'il apparait dans le film

L'artiste, ici en l'occurrence un dessinateur, dessine ce qu'il voit sans chercher à expliquer. La clé de l'énigme est ainsi à trouver du côté de Mrs Herbert et de sa fille Sarah Talmann, les véritables héroïnes de cette histoire. Pour contrer leur mari et père, elles ont manigancé le prétexte des dessins pour retenir Mr de Neville afin qu'il mette enceinte au moins l'une des deux. Car, selon le testament de Mr Herbert, dont elles ont connaissance, le domaine restera dans la famille qu'à condition d'avoir un descendant mâle. Mr Herbert pense que les femmes sont incapables de gérer ses affaires et préférait les voir dans les mains du voisin, l'intelligent Mr Seymour. Il est possible que la rédaction du contrat par le gérant du domaine, Mr Noyes, a pour but de le faire les monter à M. Herbert qui, désarçonné au propre comme au figuré, s'est noyé dans les douves du château. La métaphore de la grenade, indique qu'elles n'ont pas l'intention que Neville s'attarde. En révélant leur relation sexuelle au groupe des cinq, elles complotent son élimination. C'est ce que Neville, interloqué, comprend un peu tard.

Reste les mystérieuses et iconoclastes apparitions de l'homme-statue : sur le toit, confondu dans le mur du jardin, posant en statue dans le jardin, escaladant le proche et enfin sur la statue du cheval et que l'on remarque à peine. Ce n'est pas le jardinier, Mr. Porringer, qui apparaît brièvement portant des culottes rouges mais possiblement le bouffon du domaine, voir l'homme du peuple ou le témoin muet. En tous les cas, c’est celui qui s'amuse de cette sarabande mortelle et profite de l'ananas dédaigné par le dessinateur.

Jean-Luc Lacuve, le 28 février 2025

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