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Armageddon Time

2022

Cannes 2022 Deauville 2022 Avec : Anne Hathaway (Esther Graff), Jeremy Strong (Irving Graff), Banks Repeta (Paul Graff), Jaylin Webb (Johnny Davis), Anthony Hopkins (Grand-Père Aaron Rabinowitz), Ryan Sell (Ted Graff), Andrew Polk (M. Turkeltaub), Tovah Feldshuh (Grand-Mère Mickey Rabinowitz). 1h55.

1979, dans le Queens, quartier excentré de New York. Le jour de sa rentrée scolaire au collège, Paul Graff, garçon turbulent et rêveur, dessine une caricature de son professeur qui lui vaut d’être envoyé au piquet. Il est bientôt rejoint par Johnny, qui redouble et qui est le seul Noir de la classe, d’office dans le collimateur du professeur principal. Les deux insolents sympathisent. Paul, Juif d’origine ukrainienne, rêve d’être artiste alors que Johnny voudrait travailler pour la Nasa. Ils partagent tous les deux la passion pour la musique, les fusées et s’échangent des autocollants de la mission Apollo. Ils sont sermonnés pour avoir fumé un joint dans les toilettes du lycée. Paul se sent protégé par sa mère, présidente du conseil des parents d’élèves alors que Johnny, livré à lui-même, vivant seul chez sa grand-mère frappée d’Alzheimer, est renvoyé pour quelques jours. Les élèves visitent une exposition Kandinsky au musée Guggenheim et Paul et Johnny en profitent pour s’offrir une virée dans Central Park.

Paul Graff aime son grand-père dont il est très proche. A la maison, Paul fait preuve de la même insolence : sa mère a préparé des spaghettis ; il commande des raviolis chinois. Il se heurte aux rêves d’élévation sociale de ses parents qui menacent de l’envoyer, comme son frère aîné, Ted dans la prestigieuse Kew-Forest School, une école privée sous subsides de la famille Trump.

Paul et Johnny, sous le coup d'un placement en famille d'accueil, décident de fuguer en car à Houston. Pour cela, ils volent un ordinateur mais se font attraper au moment de la vente. Paul est envoyé à la Kew-Forest School. Maryanne Trump, la sœur de Donald, délivre à la tribune un discours libéral sur l’air de la méritocratie. Paul ne que constater qu'elle entérine de fait une société inégalitaire. Son père plombier, faible vis à vis de sa femme mais parfois adepte des châtiments corporels, délivre à son fils la morale de l’histoire : "La vie est injuste". Lui-même malgré les conseils de son grand-père n'accepte qu'à contrecœur que Johnny se cache dans l’abri de jardin et est soulagé d'être débarrassé de sa présence après quelques jours.

Contrer l’ordre et l’autorité est le ciment de l'amitié naissante entre Paul et Johnny Mais ils sont sans doute trop jeunes pour l'assumer.

Paul et Johnny font ensemble Les quatre cents coups. Comme dans le film de François Truffaut, qui a fortement marqué Gray et auquel il rend un hommage explicite, à travers la séquence du vol de l'ordinateur qui remplace celle du vol de la machine à écrire est astucieusement remplacé par celui d’un ordinateur. Mais les contextes sont bien différents. Entre tablées avec grands-parents, grands-oncles et tantes d’une famille juive ashkénaze, se détache la figure du grand-père qui veille sur son petit-fils et le conseille, raconte des histoires, éclaire l’histoire familiale, en remontant jusqu’aux pogroms, en Ukraine, au début du XXe siècle. Mais rien ne va empêcher l'exclusion de Johnny. Paul fait défaut à son camarade afro-américain : il le laisse prendre une punition à sa place devant toute la classe, il le laisse derrière les grilles de l’école Trump, et ne lui accorde qu'avec réticence un refuge dans un cabanon du jardin. Reste quand même une fantomatique mauvaise conscience.

On se souvient alors que le précédent film de James Gray, Ad Astra, Brad Pitt allait jusqu'aux confins de l'espace pour être enfin libéré de la loi du père. Mais c'était pour mieux en revenir, changé. Ici, dans ce film largement autobiographique, l'initiation semble avoir germé pour n'avoir lieu que plus loin dans la vie de James Gray. Peut-être est-ce ce que suggère la séquence dans un terrain vague de Flushing Meadows où Paul regarde la fusée offerte par son grand-père s’envoler dans le ciel et retomber lentement, au loin, muni d’un parachute miniature.

Le morceau de Clash, Armageddon Time, mélopée rugueuse de rock et reggae mêlés, revient plusieurs fois, agit comme un écho impuissant face à l’exclusion sociale (Beaucoup de gens n’auront pas de souper ce soir/Beaucoup de gens n’obtiendront pas de justice ce soir). La chanson alerte sur la menace du chaos mais c'est un antidote encore plus puissant qui va l'étouffer. Ronald Reagan est sur le point d’être élu président des États-Unis. Dans son débat télévisé, il alerte sur la Russie qui vient d'envahir l'Afghanistan. Pour lui aussi un Armageddon Time menace. La guerre froide va prendre le pas sur la justice sociale ... et la famille Trump monte en puissance.

Jean-Luc lacuve, le 21 novembre 2022

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