Paul a 21 ans. C'est un garçon plutôt timide, maladroit, mais soucieux de s'intégrer, de communiquer par tous les moyens possibles. Son camarade Robert est engagé politiquement, sûr de la légitimité de ses convictions, militant enthousiaste qui se trouve mal à l'aise avec les autres dès qu'il ne s'agit plus de changer le monde.
Madeleine, qui veut devenir chanteuse, a le même âge que les deux garçons; elle est un produit parfait de la société de consommation dont elle suit aveuglément les modes et à toutes les sollicitations de laquelle elle se conforme. Plus effacée, Élisabeth est un peu le double de Madeleine, qu'elle jalouse pour son aisance et l'attrait qu'elle exerce sur les garçons. Quant à Catherine-Isabelle, elle apparaît par son sérieux assez proche de Robert, qui a un faible pour elle. Mais c'est Paul qui l'attire alors que celui-ci n'a d'yeux que pour Madeleine. Ces jeunes, ces "enfants de Marx et de Coca-Cola", sont confrontés aux problèmes du monde des années soixante : la violence quotidienne, la guerre du Vietnam, la révolution sexuelle, le racisme, la confusion des valeurs.
La vie leur pose plus d'inquiétantes questions qu'elle
ne leur propose de réponses rassurantes. Et lorsque Madeleine, après
la mort, accident ou suicide, de Paul dont elle est enceinte, répond
: "J'hésite... j'hésite " au policier qui lui demande
si elle gardera son enfant elle reflète alors l'angoisse de toute une
jeunesse face à son avenir.
Le film prétend montrer "15 faits précis" annoncés par des cartons. Ces derniers sont aussi utilisés à des fins de commentaire et l'un d'entre eux livre la célébrissime formule qui servira de définition à toute une génération hésitante entre une conscience politisée et l'insouciance : "Les enfants de Marx et du coca cola. Comprenne qui voudra." Un autre dit : "Le philosophe et le cinéaste ont en commun une certaine manière d'être, une certaine vue du monde qui est celle d'une génération". Perce là l'idée de Godard selon laquelle le monde n'est beau que si on arrive à le penser. Le philosophe pense en donnant du sens, le cinéaste pense en donnant une forme. Le but est de présenter la trace de l'effort vers la saisie de ce réel. Il faut "faire rendre gorge à la réalité" comme le dit Godard à cette époque.
L'expression des sentiments est donc passé à la moulinette des questions :"Et à quoi vous pensez là ?", "Qu'est ce que c'est pour vous le centre du monde ?". Ces deux phrases sont extraites d'un dialogue amoureux entre Paul et Madeleine. Paul est le questionneur du film : il interwieve "Mademoiselle dix neuf ans", il fait son éducation politique auprès de Robert, son ami syndiqué et sonde la population française. Les commentaires qu'il porte sur cette activité peuvent se rapporter au film :
"Peu à peu (...) je m'aperçu que toutes ces questions au lieu de refléter une mentalité collective la trahissait et la déformait. A mon manque d'objectivité même inconscient, correspondait en effet la plupart du temps, un inévitable défaut de sincérité chez ceux que j'interrogeais."
La perplexité du cinéaste par rapport aux moyens d'investigation mis en oeuvre dans les films est ici évidente. Le constat de Paul est bien celui de Godard quand, juste avant l'interrogatoire où l'on apprend sa mort, il conclura sa confession par ses mots: "La sagesse, ça serait si on pouvait vraiment voir la vie, vraiment voir. Ca serait ça la sagesse."
Scènes remarquables : "Le palais des sports, s'il vous plait ? " C'est à l'autre bout de Paris." "Qu'est-ce que tu fais ?" "Je me mets à sa place. On dit que pour comprendre les gens, il faut se mettre à leur place, la preuve que c'est faux." Paul n'arrivant pas à se déclarer à Madeleine dans un café plein de gêneurs, le bombage de la voiture américaine, la voiture pour le général Doinel.
Jean-Luc Godard s'est inspiré de La femme de Paul, la nouvelle de Maupassant. "C’est l’histoire d’un garçon qui est amoureux d’une fille et ça ne marche pas parce que cette fille est amoureuse d’une autre fille. Et finalement ça a dévié comme toujours quand je prends un « mur » sur lequel je me hisse. Ensuite je découvre autre chose et j’oublie le mur qui m’a servi", racontait alors le réalisateur. "Je l’avais lue et puis elle me servait à proposer quelque chose au producteur. Pour avoir une autorisation de tournage, il faut bien donner un résumé de quelque chose. Je me suis dit qu’avec ça je trouverais bien. Il me faut toujours un canevas, un tremplin. Ensuite on regarde où on arrive puis on oublie, on saute du tremplin"... Il ne rest en effet plus que les prénoms des deux personnages principaux.