Un visiteur se souvient d'une voix et d'images. Un violoniste lui répond par La partita en ré de Bach. Le visiteur se souvient : ici en Haute-Savoie, à la fin de 1945, un prisonnier est fusillé par trois officiers allemands dont une femme. Le prisonnier marche dans les sous-bois jusqu'au petit mur de l'usine abandonnée.
L'officier allemand cite des auteurs français : Nerval, Hugo, Musset, Turenne (à lui-même : tu tremblerais davantage si tu savais où je t'emmène), les ponctuant de "ma poule". On n'entend pas les questions mais le violoniste répond et le visiteur comprend que l'officier est son père et que le violoniste est le fils du prisonnier français.
L'officier lui propose une dernière
bouffée de cigarette, et demande s'il a encore quelque chose à
dire. II ricane : les Français veulent toujours avoir le dernier mot.
Le prisonnier réfléchit pendant que les autres qui lui font
face préparent leurs armes. II revoit comme en rêve des visages
et des paroles, les uns et les unes célèbres, les autres humbles
comme lui (et ta victoire ce sera ma délivrance ; tu trembles
carcasse). On va l'exécuter. II sourit et crie : "Imbéciles c'est
pour vous que je meurs" (paroles dites par Valentin Feldman, fusillé à 33
ans).
Cette année-là le Figaro Magazine fête ses dix ans et confie pour loccasion à cinq cinéastes (Jean-Luc Godard, Luigi Comencini, Andrzej Wajda, David Lynch, Werner Herzog) le soin de dresser un portrait des français. Comme toujours dans ces cas-là, Godard pervertit le projet, décide de tourner son court-métrage en Haute-Savoie et choisit la maison de ses grands-parents, à laspect dévasté, comme décor.
A lorigine le scénario aurait dû illustrer le gout immodéré
des francais célèbres à avoir le dernier mot face à
la mort :
« Dormir !
Enfin, je vais dormir » De Musset.
« Tu trembles, carcasse, mais tu tremblerais bien davantage si tu savais
ou je vais te mener. » Turenne.
« Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut bien la peine »
Danton.
« La garde meurt, mais ne se rend pas ! » Cambronne
Mais au fil du temps, le projet satyrique cède la place à toute autre chose. Valentin Feldman (1909-1942), fut un jeune philosophe communiste auteur en 1936 dun essai, LEsthétique française contemporaine, et fut aussi professeur de philosophie. Engagé volontaire en 1939 malgré une grave maladie de cur, cité en 1940 pour sa conduite au feu, il sétait engagé dans la résistance dès lété 1940. Arrêté au début de 1942, il fut condamné à mort, refusa de solliciter sa grâce et fut exécuté au Mont-Valérien en juillet 1942.
Pour filmer ce passé, Godard a besoin dun présent où résonne ce souvenir porté par le bruissement des feuilles dans les arbres, le souffle du vent, les pas qui recherchent des sentiers, de la présence deau Ainsi, quarante ans plus tard, le fils de lofficier allemand savance vers la maison doù sort un homme qui tient un violon Une dizaine de minutes sécoulent, le passé et le présent ne font plus quun, la voix off peut seffacer, « des accents plus doux de Jean-Sébastien Bach » peuvent reprendre le dessus et la réinvention des « Outrages du Christ » De Fra Angelico disparait au profit de « En souvenir de Valentin Feldman » (Voir : Synopsis Dans JLG par JLG tome 2).