Vienne 1822. Antonio Salieri s'accuse d'avoir tué Mozart et, dans un acte de démence, tente de se trancher la gorge. Dans l'asile où il a été admis, il raconte sa vie à un prêtre en visite.
Originaire d'une petite ville d'Italie, le jeune Salieri aime passionnément la musique mais ne peut assouvir sa passion que grâce à la mort miraculeuse de son père. Après d'austères études, il est nommé compositeur officiel de l'empereur Joseph II d'Autriche. En 1781, le prince archevêque de Salzbourg, en voyage à Vienne, donne un concert de la musique de son protégé, Wolfgang Amadeus Mozart. Salieri n'en croit pas ses yeux en découvrant que le génie, qu'il avait vu enfant prodige est ce jeune homme mal élevé et licencieux qui soulève les jupons de la jeune fille qu'il courtise. Le concert est un triomphe. Salieri est bouleversé par les jeux successifs du hautbois et de la clarinette mais le prince archevêque de Salzbourg est irrité de la mauvaise conduite de son protégé et lui ordonne de revenir à Salzbourg.
Par goût de la musique autant que par rivalité politique, Joseph II décide de retenir Mozart à Vienne en lui commandant un opéra en langue allemande, L'enlèvement au sérail. Salieri avait écrit une petite marche en l'honneur de Mozart qu'il admire. Celui-ci l'ayant apprise par cœur en une seule écoute et l'ayant allégrement améliorée, Salieri ne peut que s'incliner devant son génie. Il constate que la cantatrice dont il est amoureux, Katerina Cavalieri, est déjà la maitresse de Mozart et l'admiration restante se transforme en rivalité. L'opéra est un triomphe mais Joseph II trouve qu'il y a "trop de notes" et sa logeuse impose Constanze comme la fiancée de Mozart que l'empereur incite à épouser pour qu'il reste à Vienne. Le père de Mozart supplie son fils de ne pas épouser Constanze et de revenir à Salzbourg. Wolfgang passe outre.
Les dettes s'accumulent et Constanze s'en va supplier Salieri d'obtenir un poste pour son mari. En découvrant les partitions qu'elle lui a apportées, Salieri est suffoqué par le génie de son rival et ferme sa porte à Constanze. Il s'en prend alors à Dieu qui a dédaigné en lui un serviteur dévoué et a fait de Mozart sa créature. Il met son crucifix au feu et décide de ruiner l'incarnation de Dieu sur terre.
Le père de Mozart, Léopold, tel le commandeur, vient reprocher à son fils son train de vie dispendieux ; Mozart l'entraine dans un bal masqué où il suscite sa colère et celle de Salieri, humilié dans un jeu. Celui-ci fait embaucher à ses frais une servante pour surveiller Mozart. Constanze accepte cette aide, entrainant la colère de Léopold, offusqué par la vie débridée de son fils.
La servante laisse entrer Salieri chez Mozart qui découvre qu'il prépare une adaptation du Mariage de Figaro, pièce interdite par Joseph II qui craint pour sa sœur Marie-Antoinette en France. Mozart plaide sa cause auprès de l'empereur arguant que, dans les tragédies antiques, les héros sont tellement loin de nous "qu'ils chient du marbre". Il réussit même à imposer un air chanté en solo, duo et jusqu'à trente personnes qui dure plus de vingt minutes ainsi qu'une danse paysanne alors que l'empereur avait interdit les ballets dans ses opéras. Salieri ne perçoit que trop bien l'innovation des Noces de Figaro, mais miraculeusement pour lui, l'empereur baille. Il déclare à Mozart qu'il a certainement eu tort d'imposer une œuvre de quatre heures à l'empereur. La sanction est sévère. Ce ne sera que neuf représentations.
Un soir en rentant d'une fête, Constanze annonce à Mozart que son père est mort. Salieri triomphe dans son opéra. Il intrigue pour seules cinq repensassions soient donnée de Don Juan mais il assiste à chacune d'elles. En voyant Don Juan, Salieri comprend que Mozart pense à son père dans la figure du commandeur. Il prend l'idée de tuer Mozart en lui commandant un requiem sous l'apparence du masque que portait Léopold lors du bal masqué. Il réclame le secret pour pouvoir s'approprier sa musique et la faire jouer à l'enterrement de Mozart.
Le stratagème fonctionne car Mozart, harcelé par Salieri mais redoutant de finir le requiem, meurt d'épuisement en composant en parallèle La flûte enchantée commandé par Emanuel Schikaneder pour un théâtre populaire de Vienne. Suite à une nuit de répétition trop arrosée, Constance quitte Mozart. Celui-ci s'écroule sur scène lors d'une représentation de La flûte enchantée. Salieri le reconduit chez lui et prend sous sa dictée les notes du requiem. Le retour inopiné de Constance empêche Salieri de voler la partition car elle la met sous clé avant de constater, éplorée, la mort de Wolfgang. Mozart est enterré dans une fosse commune.
Salieri raconte à son confesseur qu'il a ensuite connu trente-deux ans de vie torturée entre remords et absence de reconnaissance de sa musique. Salieri, oublié de tous, se considère maintenant comme le saint patron des médiocres.
La pièce de Peter Shaffer (1979) est montée en France en 1981 avec Roman Polanski (Mozart) et François Périer (Salieri), puis en 2005 avec Lorànt Deutsch (Mozart) et Jean Piat (Salieri). Entre-temps, la pièce est adaptée avec succès au cinéma par Milos Forman.
L'idée de faire commenter la musique de Mozart par un personnage extérieur, fut-il son pire ennemi, est très pédagogique et émouvante. Les meilleurs moments du film sont ceux où Salieri découvre la partition et la commente alors qu'elle se fait entendre off. Les opéras, L'enlèvement au sérail, Les noces de Figaro, Don Juan et La flûte enchantée bénéficient ainsi de quelques extraits et commentaires permettent de mieux les écouter et apprécier la richesse de l'orchestration.
Cette pédagogie en acte comporte un sommet : la dictée à Salieri du Confutatis du Requiem par Mozart sur son lit de mort. Chaque indication de Mozart, d'abord incomprise de Salieri, est doublée off par la musique dès qu'il la note. Ainsi La confession des méchants voués aux flammes de l'enfer en La mineur par les basses et les ténors. Dans l'orchestre, le second basson et les trombones jouent avec les basses sur notes identiques et même rythme. Le premier basson et les trombones font de même avec les ténors : les instruments doublent les voix. Puis trompettes en ré et, pour le grand brasier, les cordes à l'unisson, ostinato en La.... Ensuite avec "voca me benedictis", les sopranos par dessus les altos et les violons en arpèges...
Forman insiste sur la force blasphématoire du comportement de Salieri, finalement en accord avec l'impudence diabolique de Mozart. Salieri se réjouit de la mort de son père et déclare la guerre à Dieu qui a dédaigné en lui un serviteur dévoué et fait de Mozart sa créature. Il décide de détruire Mozart et met son crucifix au feu. La mort de Mozart est planifiée comme le blasphème absolu : "Dieu impuissant à empêcher Salieri de triompher. Et dieu forcé à écouter, impuissant à rien empêcher et cette fois, moi me riant de lui dans l'ombre". Cette destruction créatrice justifie le jeu que certains pourront trouver excessif de F. Murray Abraham (Salieri) et Tom Hulce (Mozart).
Jean-Luc Lacuve, le 27/12/2011