Pasolini

2014

Première française Avec : Willem Dafoe (Pier Paolo Pasolini), Ninetto Davoli (Epifanio), Riccardo Scamarcio (Ninetto Davoli), Valerio Mastandrea (Nico Naldini), Adriana Asti (Susanna Pasolini), Maria de Medeiros (Laura Betti), Roberto Zibetti (Carlo), Andrea Bosca (Andrea Fago), Giada Colagrande (Graziella Chiarcossi), Damiano Tamilia (Pino Pelosi), Francesco Siciliano (Furio Colombo). 1h26.

31 octobre 1975. Stockholm. Pasolini monte Salo ou les 120 jours de Sodome. Il est interviewé par un journaliste Français. Pasolini déclare : "scandaliser est un droit et être scandalisé un plaisir". Il se voit d'abord comme un écrivain, métier inscrit sur son passeport. Il rentre en avion vers Rome qu'il regagne la nuit dans le quartier de l'UR.

Le matin du 1er novembre, Pasolini est réveillé par sa mère, Susanna, et déjeune avec elle, sa secrétaire, Graziella Chiarcossi, ainsi que Nico Naldini. Laura Betti, de retour d'un tournage avec Mikloz Jancso, vient leur rendre visite. Elle porte un cadeau à chacun. Pour Pier Paolo, c'est un disque de musique traditionnelle hongroise. Lorsqu'il le passe, Laura et Graziella dansent. Leurs pas rappellent à Pasolini ses matches de foot avec les gamins de banlieue de sa jeunesse d'éducateur.

L'après-midi, Pasolini écrit Pétrole avec en tête que c'est la forme qui doit rendre compte de ce qu'il a à dire sur la société italienne. Celle-ci est ravagée par la corruption économico-politico-maffieuse. Le narrateur erre dans une fête où dirigeants de l'ENI et politiciens acquis à Andreotti s'entendent comme larrons en foire. Le narrateur écoute un écrivain commentant comment un vol d'affaire ordinaire allait tourner au crash. L'homme d'affaire de l'avion avait accepté les avances érotiques de l'hôtesse de l'air quand, soudain, l'avion s'était écrasé en plein désert. Sur le sable rose de Mauritanie surgirent bientôt des jeunes hommes africains.

Pasolini crayonne aussi un dessin en forme de la planète terre et pense au scénario de Porno-Teo-Kolossal qu'il s'apprête à soumettre à son acteur favori, Ninetto Davoli. Il l'invite à diner pour le soir même. En fin d'après-midi, le journaliste Furio Colombo vient l'interroger. Il lui demande si, une fois que l'on aura retiré de l'Italie tout ce que Pasolini n'aime pas, la société de consommation, il restera encore quelque chose ? Pasolini n'est pas nihiliste : ce qu'il lui restera, c'est tout ce qui compte pour lui : ses amis, ses romans et ses films. Pasolini n'aime pas cette société qui uniformise tout à commencer par le système éducatif qui forme tout le monde sur le même moule. Cela aboutit obligatoirement à une lutte dominée par l'appât du gain avec l'esprit de compétition et de destruction qui y est attaché. Cette lutte âpre entraine une atmosphère de mort dont Pasolini est terriblement conscient. Il est las de parler de lui et demande à Colombo de lui laisser ses questions auxquelles il promet de répondre le lendemain.

Pasolini prend son Alfa Romeo et se rend dans son restaurant familier, non sans passer devant le bar fréquenté par de jeunes prostitués. Chez son ami restaurateur, Pasolini attend Ninetto Davoli en relisant le début de son scénario : Epifanio, est marié à une femme difficile qui abuse du café. Pour la calmer, Epifanio lui propose d'attendre qu'il aille en chercher avec son employé, joué par Ninetto. Mais, sur le marché, tout le monde affirme que le Messie est revenu. Epifanio et son employé reviennent à la maison, incrédules. Soudain, l'employé fait remarquer à Epifanio une étoile-comète dans le ciel ; c'est la révélation pour Epifanio : le Christ est revenu. Il décide se suivre l'étoile sur le champ, laissant là sa femme désespérée.

C'est alors qu'arrive Ninetto Davoli, accompagné de sa femme et de leur bébé. Pasolini ne semble pas aigri que son ancien amant se soit ainsi rangé. Il propose de raconter son scénario alors qu'ils mangent. Epifanio et l'employé doivent prendre le train pour suivre l'étoile. Une fois arrivés à Rome, on leur demande leurs papiers et ils rencontrent un homme étrange qui leur indique qu'aujourd'hui c'est une fête spéciale, les gays et les lesbiennes s'unissent pour perpétuer la race humaine. Epifanio assiste ainsi à l'accouplement de gays et de lesbiennes, encouragés par leurs amants et amantes respectifs. Ninetto Davoli est enthousiasmé par ce scénario.

Pasolini repart alors en direction du bar des prostitués et emmène avec lui le jeune Pino Pelosi. Celui-ci a faim et, dans le nouveau restaurent sur la route d'Ostie dans lequel ils arrêtent, Pasolini raconte la suite de ce qui sera Porno-Teo-Kolossal Après leur départ de l'orgie, l'employé est certain de pouvoir conduire Epifanio au paradis. Mais, plus ils marchent et plus le paradis semble loin. Finalement, ils décident de s'arrêter et d'attendre.

Pasolini et Pino arrivent à la plage et, après une fellation sans enthousiasme, ils sortent tout deux de la voiture. Alors que Pasolini commence à déshabiller Pino arrivent un trio de jeunes homophobes qui prennent le couple à parti. Pino se range de leur coté et frappe Pasolini à coups de bâton et participe aux coups de pieds violents que reçoit son amant. Il prend ensuite sa voiture et écrase Pasolini.

Le 2 novembre 1975 à l'aube, des passants découvrent la dépouille de Pasolini. C'est Laura Betti qui vient annoncer à Susanna la mort de son second fils. Elle crie d'effroi et sanglote alors.

Grand admirateur du cinéaste italien, Abel Ferrara s'est documenté auprès des proches de Pasolini pour connaitre la chronologie la plus exacte possible des dernières heures qu'il a vécues. Ferrara choisi ensuite de privilégier le travail d'écriture de Pasolini, sur son livre inachevé, Pétrole, qui traite de la corruption dans l’industrie pétrolière italienne, et sur son scénario inachevé, intitulé Porno-Teo-Kolossal. La dimension politique est traitée pour elle-même, comme une autre facette de Pasolini, ainsi que sa mort. Ferrara fait ainsi de Pasolini un être multiple dont aucune des facettes n'est rabattable sur une autre.

Mettre en scène la vie et l'œuvre

La mise en image de l'art pasolinien donne lieu aux morceaux de bravoure du film, notamment avec l'interprétation de Ninetto Davoli, principal amant et acteur de Pasolini, qui joue Epifanio après s'être proposé de-lui-même pour jouer dans le film de Ferrara. C'est par ailleurs Riccardo Scamarcio qui joue le rôle de Ninetto Davoli auquel Pasolini ne confit plus qu'un second rôle dans Porno-Teo-Kolossal, celui du serviteur d'Epifanio (vengeance peut-être pour s'être rangé avec femme et enfant). Aujourd'hui pourtant, l'art toujours illuminé de Ninetto Davoli concourt grandement à la force naïve et puissamment mystico-catholico-érotique des trois séries de séquences de Porno-Teo-Kolossal mises en scènes par Ferrara.

Se retrouvent aussi dans la mise en image de Pétrole les contrastes violents qu'affectionnait Pasolini entre la façon sophistiquée de raconter une histoire (le personnage principal dont on narre, off, qu'il écoute les convives puis se rend dans une pièce où un écrivain raconte le crash d'un avion) et celle-ci : après la scène d'avion, un simple trucage avec une tête de mort et apparition d'éphèbes noirs sur le sable rose de Mauritanie.

La politique et la mort

La dimension politique de l'œuvre de Pasolini n'est pas oubliée avec l'interrogation du journaliste Colombo sur la situation de l'époque son esprit de concurrence, de course à la consommation et de violence. Ferrara prouve surtout par son film que Pasolini a raison de ne pas se reconnaître comme nihiliste. Lorsque Colombo lui demande si, une fois que l'on aura retiré de l'Italie tout ce que Pasolini n'aime pas, à savoir la société de consommation, il restera encore quelque chose ? Pasolini répond que ce qu'il lui restera, c'est lui, ses amis, ses romans et ses films. Tout ce qui compte.

Et c'est justement ce que montre Ferrara et non pas la société italienne de l'époque. Certes Pasolini est réfugié dans son quartier pourtant petit bourgeois de l'UR avec son architecture et ses sculptures exaltant la grandeur et pureté antique pour fuir ce qui est pour lui plus insupportable encore : la société de consommation sans contrastes. Mais la répétition de plans d'une arrête de façade d'immeuble et d'une sculpture héroïsante suffisent à dire qu'il s'agit d'un retrait, d'une protection. La superstructure politico-économique n'est que réfractée dans la mise en images de Pétrole.

Affrontant les différentes facettes de la biographie ramassée du cinéaste en 48 heures, Ferrara en donne une vision joyeuse et créatrice. La fin n'est tragique que parce sexe et violence ont alors partie liée (voir la séquence des jeunes gens du début). En refusant la théorie du complot, Ferrara ne fait peut être pas œuvre d'enquêteur (la police s'en charge de nouveau en Italie) et choisit une fin brutale et contrastée comme l'œuvre de Pasolini.

Jean-Luc Lacuve le 29/11/2014