Magaye Niang conduit un troupeau de zébus qui traversent une route de Dakar et un terrain à l'abandon pour atteindre l'abattoir où des hommes hilares travaillent dans le sang.
Rentré chez lui, Magaye s'habille et reçoit les reproches de sa femme parce qu'il va encore s'habiller de ses vieux vêtements baba-cool pour la soirée où il sera pourtant l'invité d'honneur. Il est en effet invité à la projection de Touki-Bouki, le film de Djibril Diop Mambety réalisé quarante ans plus tôt et dont il fut l'acteur principal. Magaye quémande à sa femme 20 000 francs CFA pour prendre le taxi qui le conduira au centre de Dakar mais celle-ci refuse sans doute. Il doit négocier une course avec un taxi d'occasion pour 1 500 francs. Son conducteur, amateur de rap qu'il écoute fort, reproche à sa génération d'avoir "dormi" alors que lui-même a fait la révolution contre le socialisme qui n'a mené à rien.
Magaye, ébranlé par cette conversation, erre de bar en bar pendant que commence la projection de Touki-bouki. C'est ainsi qu'il n'arrive qu'à la fin du film, échouant à convaincre des enfants que c'est lui plus jeune qui court sur l'écran alors qu'Anta embarque sur le paquebot Ancerville pour la France. Ses amis parviennent à lui faire dire quelques mots devant le maigre public mais Magaye s'enfuit. Il est toutefois vite rattrapé par ses amis qui lui disent qu'il était un grand acteur. S'il n'a pas persévéré, il n'a qu'à s'en prendre à lui-même. Pendant qu'à Dakar les femmes de ménage nettoient les bars désertés, Magaye est encore dans une boite de nuit à tenter de convaincre des jeunes femmes qu'Anta fut son premier et unique amour et qu'elle seule pris le bateau pour la France à son grand désespoir. L'une de jeunes filles interroge Magaye : n'a-t-il jamais cherché à revoir Anta ? Un plan de mer bordée de falaises de glaces surgit alors à l'écran.
Magaye s'est procuré numéro de téléphone de Mareme, qui jouait Anta dans le film. Il sait qu'il l'appelle aux Etats-Unis mais ignore dans quelle ville elle se trouve. Il a peu d'argent pour téléphoner. Mais Mareme lui répond tout de suite : elle est agent de sécurité sur une plateforme pétrolière en Alaska. Il lui avoue ne jamais avoir quitté Dakar et s'enquiert de savoir quand elle rentrera. Elle hésite. Il la comprend : "Tu n'es pas de chez toi jusqu'à ce que tu t'en ailles. Et une fois que tu es parti, tu ne peux plus revenir".
En sortant de la maison de téléphone, le regard de Magaye croise celui d'un motard coiffé d'un turban rouge qui fonce en moto et atteint... une lande gelée sur laquelle marche Anta indifférente à la neige alors que se fait entendre la chanson Plaisir d'amour ne dure qu'un moment.
Magaye sort de sa rêverie. Il a encore des troupeaux de zébus à conduire.
En hommage au film de son oncle, chef-d'uvre du cinéma africain, sa nièce réalise quarante ans plus tard un documentaire de fabulation qui interroge l'héritage personnel et universel que représente Touki-Bouki.
Un documentaire de fabulation
Le film prend prétexte un hommage rendu au film 40 ans après pour faire déambuler son personnage au cours d'une nuit. Prenant conscience que quelque chose s'est perdu, il téléphone ensuite à sa partenaire du film et s'imagine la retrouver en Alaska avant de conduire, comme au début, son troupeau de zébus.
Magaye Niang joue son rôle. Il s'agit bien ainsi d'un documentaire. Mais ce que la réalisatrice lui demande faire, être assailli de doutes au moment de la projection du film, téléphoner à sa partenaire, rêver qu'il revoit Anta et reprendre son travail, relève d'une situation de fiction.
Les spécialistes reconnaitront dans le chauffeur de taxi le joueur de rap Djily Bagdad qui pourrait, à la limite, jouer son rôle. Mais l'interprète de l'actrice qui joue Anta et que Magaye voit dans la neige n'est pas Mareme Niang.
Un bel hommage à Touki-Bouki
Le documentaire est d'autant plus fort que l'on a vu, avant ou après, Touki-Bouki. Diop repend en effet la structure linéaire du film, la déambulation du personnage, corespondant au temps chronologique, incluse dans un temps cyclique où l'image du début reprend celle de la fin, la conduite des Zébus. Les références à Touki-Bouk constituaient un sous-texte omni-présent : la séquence de l'abattoir, la moto, la course de l'homme en turban rouge, le plan de mer paisible, les chansons : Paris-Paris et Plaisir d'amour.
Même amour aussi, même distancié pour la culture occidentale. Si Tarzan a disparu il est remplacé par la chanson Do Not Forsake Me Oh My Darling empruntée au Train sifflera trois fois (1952).
Le film est fait avec peu de moyens, la caméra numérique donne une image souvent spectrale des scènes de nuit. Comme si les fantômes de Touki-Bouki hantaient encore les nuits de Dakar.
Jean-Luc Lacuve le 15/05/2014.