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Vitalina Varela

2019

Thème : Les exclus

Avec : Vitalina Varela, Ventura, Manuel Tavares Almeida, Francisco Brito, Marina Alves Domingues, João Baptista Fortes, Nilsa Fortes, Lisa Lopi. 2h04

Quartier de Cova da Moura, à la périphérie de Lisbonne. A la nuit tombée, une procession d'hommes défile dans une rue le long du mur du cimetière. Dans la cabane du mort, on enlève les draps tâchés de sang.

Vitalina Varela débarque à l'aéroport. Ses compatriotes capverdiens lui disentqu'lle arrive trop tard; son mari est déjà enterré. Vitalina Varela a toutefois emporté ce qu’il faut pour le rite funéraire privé, son turban blanc qu'elle défait bientôt de sa tète pour l'enrouler autour du crucifix installé sur la table entre deux bougies qui éclairent une photo d'elle en robe de mariée et de son mari, Joachim. Elle avait épousé par procuration, Joaquim, un garçon de son village, Figueira das Naus, déjà parti au Portugal. Avec ses premières économies, Joaquim acheta une baraque de briques et de tôle dans le quartier. Il écrivit une ou deux lettres à Vitalina, lui téléphona en lui promettant un billet d’avion pour venir le rejoindre au Portugal. En 35 ans, Joaquim ne fera que deux voyages au Cap-Vert. Lors du premier, Joaquim et Vitalina commencèrent à construire une maison, non loin de la chapelle de leur village natal. Lors du deuxième, à peine arrivé, Joaquim prétendit qu’il devait aller rendre visite à un cousin et attrapa le premier avion pour retourner à Lisbonne. Ce fut la dernière fois que Vitalina le vit. Jamais plus il n’écrivit ni ne téléphona. De cette dernière visite, Vitalina resta enceinte d’un garçon, Bruno, que Joaquim ne connaîtra jamais. Vitalina et Joaquim avait déjà une fille, Jessica.

Dans le quartier déshérité de Cova da Moura, la vie est dure et la baraque laissée à l’abandon par Joachim semble même la rejeter; une pierre tombe du plafond quand elle prend sa douche et le les bâches du toit s’envolent quand le vent se fait trop fort. Dans le quartier, personne ne la connaît, personne ne la réconforte, les voisins se méfient d’elle et chuchotent derrière son dos: qui est cette femme qui n'est pas celle qui assista à l'enterrement de Joaquim. L'un des voisins prétend avoir aidé Joachim sur la fin alors qu'il était malade et avoir nettoyé le sang dans sa maison après sa mort. Vitalina voit bien qu’il cherche à profiter d'elle et reprend les clés qu'il possède et le chasse.

Le jeune Ntoni est plus sympathique, ancien compagnon de cellule de Joachim, il vient chez Vitalina vendre des pots de haricots, des boîtes de thon, des cubes de bouillon, du shampoing et d'autres trucs qu'il "trouve" au supermarché. Il vient dîner avec la belle Marina, sa petite amie, qui se plaint d'avoir toujours froid.

Elle rencontre enfin Ventura, un prêtre du Cap-Vert qui a perdu la foi, dans son église. Elle le connaît pour un accident tragique survenu dans leur village. Il lui dit d'apprendre le portugais si elle veut rester et pouvoir "parler" avec son mari. Elle se rend aussi dans son jardin potager où elle cultive des betteraves en passant par le tunnel sous l'autoroute avec ses conduites d'eau qui alimentent ces jardins mi-clandestin, mi-tolérés.

Tandis que Vitalina travaille la terre, Ventura, assis à ses côtés, entreprend de réciter une histoire en langue portugaise, lui laissant le temps de répéter les vers afin qu'elle apprenne la langue du pays où elle a décidé de s'installer. Peu de temps après, Vitalina apprend que la petite amie de Ntoni, Marina, est morte, brûlée vive. Elle se rend au cimetière de jour fleurir la tombe de son mari; Elle a convié les hommes du quartier à rénover son toit. Elle rêve qu'elle ira rejoindre le jour venu ses enfants au Cap vert qui, comme elle et Joaquim autrefois, s'affairent à monter des parpaings sur leur maison.

En faisant jouer à Vitalina Varela un rôle proche de son vécu mais en lui faisant rencontrer le personnage fictif de Ventura, qui lui donne des moyens de s'affirmer au Portugal qui furent autres que ceux de sa vie réelle, Pedro Costa réalise un magnifique documentaire de fabulation. Il délivre in fine un message d'espoir d'intégration en cassant la domination masculine et en donnant au prolétariat capverdien, la beauté des héros tragiques de l'antiquité.

Un documentaire de fabulation

Le dossier de presse donne de nombreuses indications sur Vitalina Varela. Elle fut jusqu'à 55 ans une paysanne des montagnes de l’ile de Santiago, au Cap-Vert. Elle est la plus jeune d’une fratrie de 8 enfants. Elle épousa son premier amour, Joaquim, un garçon de son village, Figueira das Naus. Comme la majorité des hommes du Cap-Vert, Joaquim partit à l’étranger, en 1977, avec en poche une promesse de travail comme maçon. Comme toutes les femmes cap-verdiennes, Vitalina resta à l’attendre, rêvant à une vie plus heureuse. Avec ses premières économies, Joaquim acheta une baraque de briques et de tôle dans le quartier de Cova da Moura, à la périphérie de Lisbonne. Il écrivit une ou deux lettres à Vitalina, lui téléphona en lui promettant un billet d’avion pour venir le rejoindre au Portugal. En 35 ans, Joaquim ne fera que deux voyages au Cap-Vert. Lors du premier, Joaquim et Vitalina commencèrent à construire une maison, non loin de la chapelle de leur village natal. Lors du deuxième, à peine arrivé, Joaquim prétendit qu’il devait aller rendre visite à un cousin et attrapa le premier avion pour retourner à Lisbonne. Ce fut la dernière fois que Vitalina le vit. Jamais plus il n’écrivit ni ne téléphona. De cette dernière visite, Vitalina resta enceinte d’un garçon, Bruno, que Joaquim ne connaîtra jamais. Vitalina et Joaquim avait déjà une fille, Jessica.

Certaines nuits, on pouvait le voir titubant par les ruelles de son quartier lisboète. On raconte qu’il avait poignardé un camarade lors d’une bagarre à cause d’une affaire louche. Il commença à manquer à son travail, ses collègues perdirent sa trace, il ne répondait pas quand ils frappaient à la porte de sa baraque. Il meurt le 23 juin 2013 et est enterré le 27. Vitalina arrive au Portugal le 30 du même mois. Dans le quartier, personne ne la connaît, personne ne la réconforte, les voisins se méfient d’elle. Vitalina passe des jours et des nuits de chagrin et d’angoisse, cloîtrée dans la maison de Joaquim. Après plusieurs mois, elle réussit à trouver des petits boulots comme femme de ménage. Dans le quartier de Belém, dans une demeure bourgeoise, on la renvoie sans la payer. Elle est finalement engagée pour nettoyer les boutiques Zara d’un grand centre commercial. On la paye 5 euros de l’heure. Un matin on frappe à sa porte : elle pense que c’est la police ou le service de l’immigration. C’était Pedro Costa qui cherchait une maison dans le quartier pour une scène de son film Cavalo Dinheiro (2014).

La fiction déplace l'action en 2019 ou en tout cas omet de la remplacer en 2013. Varela a raconté à Pedro Costa, de quoi donner consistance au personnage de Ventura. Il est indirectement responsable au cap Vert d'une tragédie : son refus du mariage ayant entraîné un terrible accident mortel. Mais Ventura n'est jamais venu à Lisbonne, alors qu'il a ici une importance prépondérante sur Varela. C'est lui qui se fait le porte-parole de Pedro Costa dans le message d'intégration destiné à Vitalina en lui conseillant d'apprendre le portugais pour pouvoir poursuivre l'œuvre inachevée de son mari. Vitalina s'essaie ainsi à un extrait de journal résumant de manière très romantique les amours précoces de la reine Victoria. Mais c'est surtout le dernier épisode de nuit du film qui lance Vitalina sur le chemin de l'intégration. Tandis que Vitalina travaille la terre, Ventura, assis à ses côtés, entreprend de réciter une histoire en langue portugaise, laissant un temps après avoir prononcé quelques mots afin que Vitalina, à sa suite, les répète, comme une façon pour elle d’apprendre le portugais.

Splendeur de la nuit.

La mise en scène simple et rigoureuse dans ses cadrages, toujours en plans fixes, se fait souvent lyrique dans le choix des couleurs ou la position des personnages. Même rigueur dans le choix des éclairages qui laissent dans l'ombre une grande partie du cadre pour magnifier par une diagonale de lumière la fierté d'un visage ou d'une posture. Vitalina sort ainsi de l'avion les pieds nus dans un aéroport de Lisbonne reconstruit dans un studio improvisé qui fut un ancien cinéma qui sera bientôt détruit. Elle est accueillie par ses compatriotes, agents d'entretien : "Tu arrives trop tard. Ton mari est enterré, tu n'as pas de vie ici, retourne au Cap-Vert, c'est mieux pour toi. Ici, au Portugal, il n'y a rien pour toi. Rentre chez toi !". Dans cette nuit de l'aéroport, ces paroles semblent celles d'un chœur antique qui refuse au héros l'entrée sur un territoire. Et bientôt les compatriotes de Valentina vont se manifester dans l'ombre pour la suspecter ou tenter de profiter d'elle.

C'est avec une autre grande figure tragique, le prêtre déchu, que Vitalina va trouver les moyens de sortir de la prostration et du chagrin. Montée sur le toit de sa maison au Portugal, elle devient figure héroïque. Et si elle apprend la portugais c'est au travers de la poésie qu’énonce Ventura, le long poème « Entre sombras » (« Entre les ombres ») du poète Antero de Quental, très connu au Portugal, qui raconte à sa façon la trahison du Christ par Judas mais aussi comment on peut espérer de la face sombre de Judas. La nuit zébrée de poésie met ainsi en marche un prolétariat capverdien qui n'a peut-être pas dit son dernier mot face à la domination économique de l'ex-puissance coloniale.

Jean-Luc Lacuve, le 18 janvier 2022.

Sources :

 

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