Mes provinciales

Étienne, natif de Lyon, monte à Paris pour faire son master de cinéma à l’université Paris VIII. Il promet à Lucie qu’une fois qu’il sera installé, ils pourront vivre ensemble dans la capitale. Lucie doute : Paris lui semble trop grise.

Etienne habite en collocation avec Valentina, étudiante aux beaux-arts qui a déjà de nombreux amis sur Paris. Etienne rencontre à Paris VIII Mathias et Jean-Noël qui nourrissent la même passion que lui pour un cinéma d’auteur exigeant. Ils forment un groupe un peu à part vis à vis des autres étudiants, plus intéressés par la technique et l’efficacité narrative. Etienne se sent de plus en plus attiré par Valentina, tout en séduisant Solange, étudiante de cinéma. Tout juste avant que Valentina s’en aille étudier à Berlin, il fait l’amour avec elle.

La nouvelle colocatrice est Annabelle. C'est une militante d'extrême gauche très engagée dans la défense des migrants et des ZAD. Sa première rencontre avec Mathias et Jean-Noël est houleuse. Suite à la vision de La porte d'Illich de Marlen Khoutsiev, elle leur fait remarquer combien le cinéma est hors de la vie réelle. Mathias réfute son argumentaire en faveur des films engagés. C'est le regard qui doit être engagé et donner une vision noble du monde et des gens ; ceux-ci ne doivent pas servir de simple prétexte à un discours.

Etienne a pour professeur Paul Rossi qui le prend sous son aile en grande partie parce qu'il est fils d'ouvrier. Etienne se trouve un petit boulot de relecteur de scénarios de séries télévisées. Sa collègue, Barbara, est amoureuse de lui au premier regard.

La situation est de plus en plus tendue entre le groupe de Mathias et les autres étudiants qu'il accuse volontiers de la simple envie de plaire. Il en appelle à l’art de la préhistoire où les chamanes dessinaient sur les parois par magie pour se protéger de forces qu'ils admiraient sans les comprendre. Mathias se montre aussi sans pitié pour le court-métrage d’Etienne : "c'est de la littérature, tu restes un peu dans ton confort". Seule, Héloïse, une étudiante qui tourne un film sans scénario trouve grâce à ses yeux. En dépit des encouragements de Jean-Noël, Etienne détruit son film.

Etienne suit alors Annabelle dans ses réunions d’aide aux migrants. Un après-midi, elle s’écroule dans ses bras : son regard d’enfant sur elle lui a fait mal. Elle lui avoue gagner sa vie sans travailler.

Jean-Noël finit par se lasser du mépris inconscient qu’Etienne a pour lui alors qu'il en est amoureux. Il rejoint l’équipe technique de William. Le professeur Rossi apprend à Etienne, le suicide de Mathias

C’est Héloïse qui devient son assistante. Elle vient tirer Etienne du lit, le premier matin du tournage, tant celui-ci ne croit plus à son talent.

Deux ans après, Etienne croise Annabelle dans un café.  Elle n’a pas changé. Lui est devenu plus mur et plus paisible. Son court-métrage n’a pas eu de succès, il s'est reconverti dans les séries télévisées. Barbara est sa compagne mais il ne perd pas espoir ; il se connait désormais mieux et selon les préceptes de Pasolini dans les Lettres luthériennes ; c’est, en dépit de ses échecs, de maintenir son être fidele à lui même qui importe le plus.

Les Provinciales, sont un recueil de lettres de Pascal écrites pour s'insurger contre les petits arrangements des jésuites avec l’amour absolu de Dieu qu'ils professent et plus généralement contre ceux dont les actes qui ne sont pas en conformité avec les paroles. Alors qu'Etienne, qui a étudié la philosophie avant le cinéma, a lu Les Pensées de Pascal, ces lettres l'affectent plus profondément. C'est en effet d'abord à la recherche de lui-même, de sa place au sein de ses amours, de ses amis et de son métier qu'il va se livrer et, pour cela, abandonner ses discours dogmatiques. Ainsi, peu à peu, Etienne apprend à ne pas se mentir à lui-même, à ne pas s'illusionner sur ses propres capacités, artistiques et sentimentales.

En noir et blanc, découpé en chapitres (un petit château en bohème, une fille de feu, deux ans après), le film atteint pourtant difficilement le point d'équilibre entre la fascination pour l'exigence incandescente, amoureuse et artistique, et le bonheur de vivre au quotidien. Coté exigence on a surtout des noms : tout le cinéma Italien des années 60 -70 (Pasolini, Rossellini, Argento, Carmelo Bene...), Vigo, Paradjanov, Mahler, Satie, Bach, Novalis, Flaubert, Nerval.

En dépit d'une belle formule, "Ce ne sont pas les images qui m'intéressent, c'est le cinéma", le film échoue, notamment au travers des court-métrages des étudiants, à faire sentir l'écart entre le cinéma contemporain qui serait commercial et un cinéma historique reconnu. Pire, aucun cinéaste contemporain ne trouve grâce aux yeux de ces jeunes gens. Verhoeven, le seul cité est "surestimé".

Sur le versant amoureux, Valentina fait remarquer à Etienne que les petits arrangements sont souvent plus vrais, proche de la vérité que l’on se doit à soi même que les grandes idées qui sont un voile de mensonge sous lequel s’abriter pour refuser de vivre.  Du coup, la relation avec Barbara apparait bien prosaïque.

Jean-Luc Lacuve le 21/04/2018.