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"Il y avait beaucoup de mots qu'on ne pouvait plus tolérer et, en fin de compte, seuls les noms des lieux avaient conservé quelques dignité". L'adieu aux armes. Ernest Hemingway, 1929.
Bors, un soldat ukrainien, bravache, fait le beau dans sa tranchée alors qu'un tir de mortier tombe tout près puis c'est un drone qui approche. Il le mitraille mais le drone change d'objectif et s'abat sur la tranchée de deux camarades. ils sont tués. L'évacuation en blindée est imminente mais, les soldats montés à bord, il ne redémarre pas, obligeant à une fuite à pied. Bors est blessé au bras, des camarades sont tués.
À 2000 mètres d’Andriivka : une étroite bande d'arbres est le seul couloir d'accès, entre deux champs de mines, à Andriivka, en périphérie du village de Bakhmout dans l'oblast de Donetsk
16 septembre 2023. La 3e brigade d'assaut dirigée par Duda a confié au sergent Feydia la mission de nettoyer des soldats russes qui l'occupent deux kilomètres d'une étroite bande de forêt afin d'atteindre Andriivka, de libérer le village et participer ainsi à la contre-attaque ukrainienne débutée en juin. Les journalistes Mstyslav Chernov et Alex Babenko souhaitent le rejoindre là où il est, à un kilomètre du village pour en filmer la libération. C'est le soldat Freak, 22 ans, qui sera leur guide pour rejoindre Feyda, lui remettre un drapeau et un message pour l'attaque finale. Lors de cette avancée, ils doivent affronter la défense de deux soldats russes retranchés dans un tunnel: l'un est tué, l'autre fait prisonnier. Freak raconte son engagement volontaire, son désir de revenir vivre dans un pays libéré, sa foi dans la victoire finale. Mstyslav Chernov informe qu'il sera blessé dans une autre bataille cinq mois plus tard et laissé pour mort. Le drapeau et le message sont remis à Feyda, 34 ans,qui a mené l'avancée jusqu' ici.
À 1000 mètres d’Andriivka. Dans une nouvelle escarmouche avec des soldats russes embusqués, Feyda est touché par un éclat de grenade au postérieur. Le soir beaucoup de blessés sont ramenés de l'offensive à tel point que l'on s’inquiète de savoir si elle pourra être menée jusqu'au bout.
Feyda est revenu au front. Sheva, 46 ans, fume une cigarette roulée. Il s’inquiète pour sa femme et ses enfants. Cinq mois plus tard, il sera blessé au combat et mourra à l'hôpital.
À 300 mètres d’Andriivka. Nouvelle journée d'attaque. Gagarine remplace Feyda, 24 ans, venu de Pologne, chauffeur routier. Il est tué. Cérémonie en son honneur. Son compagnon d'arme, Kobzar, sera tué aussi cinq mois plus tard par un drone. Une femme s'offusque : on a tort de dire que les héros ne meurent pas. Ceux qui ne meurent pas sont ceux qui ne combattent pas.
La bataille d’Andriivka. Commencée en juin, la contre-offensive est un échec : 262 km2 seulement ont été récupérés. La libération d'Andriivka est néanmoins décidée. Les Russes résistent encore mais fuient. Il ne reste que des ruines et des cadavres. Les soldats doivent se protéger des tirs de mortiers des Russes qui bombardent à distance. Le village rasé, n'existe plus au point où Feyda se demande où planter le drapeau qu'il laisse flottant au vent avant de rejoindre le quartier général. Cette guerre finira-t-elle un jour ?
Les journalistes Mstyslav Chernov et Alex Babenko suivent un peloton ukrainien en mission, en septembre 2023, durant la deuxième année de la guerre d'agression russe, alors que l'armée ukrainienne tente une contre-attaque pour libérer Andriivka, village occupé par les Russes. Le film est principalement composé de conversations avec des soldats volontaires et d'images filmées par des caméras corporelles de soldats ukrainiens au combat, enregistrant en temps réel les affrontements sur le champ de bataille et les attaques aériennes.
Le ton est élégiaque car presque tous les soldats filmés trouveront la mort cinq mois plus tard dans d'autres batailles. Leur courage contraste avec le ton défaitiste des images d'actualité qui insistent avec froideur sur l'échec de la contre-attaque. Mstyslav Chernov double alors ce discours d'un plan en plongée sur les milliers de tombes d'un cimetière militaire tout en ayant le pressentiment que les ukrainiens sont condamnés à un combat sans fin face à l'idéologie russe. Ce qui est encore plus tragique que la mise en place d'un fragile drapeau ukrainien sur un village entièrement détruit jonché de cadavres russes et ukrainiens
Jean-Luc Lacuve, le 25 octobre 2025