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(G)rêve général(e)

2007

Coréalisé avec Daniela de Felice. Avec : les étudiants de l'université de Caen. 1h37.

Dès l'annonce de la création du CPE (Contrat Première Embauche) par le Premier ministre Dominique de Villepin le 16 janvier 2006, un mouvement de contestation se développe. Pendant une période d’essai de deux ans, ce nouveau contrat peut être rompu sans motif. Alors que le gouvernement vante la souplesse du CPE, une partie de la jeunesse française se révolte contre la précarisation de ses conditions de vie.

Mars 2006. Dans l’université de Caen, une assemblée générale s'est réunie dans l’amphithéâtre Tocqueville. Ceux qui sont pour le blocage demandent aussi l'abrogation de l'intégralité de la loi dite "Pour l'égalité des chances" dont fait partie le CPE, et également le retrait du contrat nouvelles embauches (CNE), plus ancien. Ceux de l'UNI disent respecter la grève mais refusent que 700 étudiants sur 15 000 imposent le blocage. L'assemblée générale ne s'en laisse pas compter et vote le blocage à une écrasante majorité : construction des barricades devant les accès : amas informes de chaises, tables, palettes, manches à balais. A l’intérieur des bâtiments occupés, les grandes baies vitrées sont occultées, badigeonnées avec du blanc de Meudon, filtre visuel entre l’extérieur et l’intérieur. Le jour, la lumière naturelle n’entre que par de hauts vasistas.

Les jeunes s'organisent, récupèrent des draps transformés en banderoles, auprès du CHU, rédigent des tracts. Ils sont conscients d'apprendre sur le tas plus de choses que dans les livres, du moins en sociologie, en terme d'organisation d'un mouvement. La joie devant l'aura des gauchistes galvanise aussi certains. Des commissions, logistique, santé se mettent en place.

"Greve générale ou on sera tous à poil" proclament les étudiants en slip qui descendent manifester dans les rues de Caen. La nuit, les néons des plafonds hauts illuminent les lieux de vie. Durant l'occupation, la musique se repend dans les bâtiments et on ne se nourrit parfois que de pain avec de la confiture. Le drapeau noir des corsaires flotte sur l'université en grève. Un étudiant en histoire de l'UNI proteste contre l'occupation et tente d'organiser une AG des anti-bloqueurs.

Après une autre AG, les étudiants bloqueurs descendent dans la rue et s'en vont bloquer l'entrée de la préfecture de région. Ils sont délogés par les CRS. Un étudiant bloqueur se réjouit d'avoir enfin le tems de réfléchir sur les mouvements sociaux tout en agissant. Les bloqueurs s'inquiètent du vote consultatif organisé par la présidente de l'université. Elle a convié les étudiants à se prononcer sur le blocage. La majorité se prononce contre le blocage mais les responsables de l'université ne peuvent rouvrir car les conditions de sécurité ne sont pas réunies. Devant ce déni de démocratie, les étudiants de l'UNI se mettent en colère et menacent de contrattaquer. Un étudiant en art du spectacle s'offusque de l'atteinte aux libertés que constitue le blocage et trouve les bloqueurs mauvais perdants. Il sait que l'AG à suivre, qui va légitimer le blocage, durera suffisamment longtemps pour décourager ceux qui sont contre. "C'est des jeunes en mal de révolution" conclut-il. Des échauffourées se multiplient sans dégénérer alors qu'un bloqueur optimiste imagine déjà un potager pour tenir jusqu'à l'été.

Mardi 4 avril, lors de la manifestation dans la rue, les étudiants demandent à se porter en tête du cortège, devant la CGT. Aurélien, souvent aux avant-postes du mouvement, déguisé en Jacques Chirac et accompagné d'une complice déguisée en bourgeoise, se moque du pouvoir. Au conseil régional, une élue socialiste prétend lutter politiquement conter le retrait du CPE. Jour de gloire de la manifestation, les étudiants bloquent le périphérique, du CHU jusqu'au pont de Calix. Du coup, les étudiants galvanisés craignent la fin du mouvement et le banal retour à l'ordre. L'AG regonfle encore les troupes. Au matin, une tentative de convergence des luttes se met en place : des tracs sont distribués aux automobilistes pour convaincre les actifs de rejoindre le mouvement.

Le 31 mars, Jacques Chirac, président de la République, avait annoncé lors d'une intervention radiotélévisée qu'il promulgue la loi mais demande une nouvelle loi pour modifier les clauses qui "posent problème". Ce trop petit pas renforce la mobilisation des étudiants

Les anti-bloqueurs tentent une action. Les barricades tiennent mais tristesse que la volonté de radicalisation éteigne la joie.

Mais en ce jeudi 6 avril, c'est la préparation pour la grande mobilisation. De fausses informations sont données aux journalistes et c'est finalement vers la gare que se regroupent les manifestants. Mais, entre la gare et la police, un groupe de manifestants décidés à en découdre occupent le parking et jettent des pierres sur les CRS. Ceux ci en tirent prétexte pour attaquer l'ensemble des manifestants à coups de matraques et de gaz lacrymogène. Le découragement gagne les bloqueurs : la grève générale en se dessine pas ; l'essoufflement du mouvement est prévisible.

Le 10 avril, Dominique de Villepin annonce le retrait du CPE, remplacé par des mesures en faveurs des jeunes les plus en difficulté. Mais la loi dite "sur l'égalité des chances" est, pour le reste, maintenue. Les bloqueurs maintiennent portes closes mais savent que c'est fini.

Le mercredi 12 avril, l'AG vote la reprise des cours à une écrasante majorité. Les bloqueurs savent qu'ils ont perdu et procèdent au nettoyage et remise en ordre des tables et chaises des barricades. Les personnels de l'université terminent la remise en ordre.

Le lendemain, sur le toit de l'université le drapeau de corsaire est descendu au son d'un air de jazz par le dernier carré des bloqueurs.

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