Quelque part dans les majestueux paysages enneigés de la Cappadoce avec ses rochers lunaires et ses maisons troglodytes, se trouve l'hôtel Othello. Aydin, son propriétaire, est un ancien acteur qui vit avec sa femme, Nihal ; sa sœur, Necla, et son homme à tout faire, Hidayet. Sa fortune, qu'il tient de son père, lui permet de posséder des biens partout dans la région.
Ce matin là, il part vers le village, écoutant avec ennui Hidayet lui parler d'un de ses locataires qui a plusieurs mois de loyer en retard et qu'il n'a menacé que d'un procès. Soudain, un petit garçon balance un caillou dans une vitre de la voiture d'Aydin. L'accident est évité de justesse. Revêche et silencieux, le petit garçon est rattrapé par Hidayet qui le ramène trempé à la voiture, l'enfant ayant glissé dans un ruisseau. Hidayet et Aydin ramènent l'enfant chez son père, Ismail, qui est justement le locataire endetté. Apres avoir giflé son fils qui a reconnu du bout des lèvres avoir lancé le caillou, Ismail s'en prend à Hidayet auquel il reproche de s'acharner encore contre lui après que son fils ait rudement ressenti, comme lui d'ailleurs, la honte de la saisie d'huissier. La discussion dégénérerait encore davantage si n'intervenait le frère cadet d'Ismail, Hamdi. Celui-ci est un imam pauvre qui promet de payer la vitre cassée mais demande encore un peu de temps pour payer les arriérés de loyer de la maison.
De retour chez lui, Aydin s'installe dans son bureau et discute avec sa sœur, Necla, qui trouve ses éditoriaux pour La Voix de la steppe, l'hebdomadaire local, intéressants mais inoffensifs. Nul regret de ne pas écrire dans des journaux de plus grande notoriété chez Aydin : "Mon royaume est certes petit, mais j'y suis roi." réplique-t-il. Aydin reçoit ensuite son ami Suavi, un paysan devenu veuf récemment. Il veut lui parler d'une lettre d'une lectrice à laquelle il ne sait répondre. Suavi lui conseille de demander aussi l'avis de sa femme, la jeune et jolie Nihal. C'est ainsi que Aydin, révèle un peu naïvement avoir été flatté par les compliments d'une des rares lectrices de ses éditoriaux qui lui demande de l'aide pour lever des fonds pour la construction d'un foyer socio-éducatif. Nihal n'y va pas par quatre chemins : elle trouve démesurée cette demande alors que l'argent serait bien mieux employé à la réparation des écoles du village. Nihal partie, Suavi laisse entendre à Aydin que sa femme a sans doute raison.
Hamdi vient ensuite proposer de payer le carreau cassé tout en évoquant les difficultés d'Ismail et les siennes. Aydin, irrité par ses atermoiements, lui indique le montant de la réparation, somme qu'Hamdi n'avait pas même envisagée. Devant son incrédulité, Aydin téléphone à Hidayet qui indique une somme encore deux fois supérieure. Hamdi est effondré et promet de revenir s'excuser avec le jeune Ilyas. Aydin, en dépit des petits gâteaux offerts et d'une politesse de façade, l'enjoint à ne plus s'adresser à lui et de tout traiter avec Hidayet.
Aydin rejoint le hall de l'hôtel qui, en cette période hivernale n'est fréquenté, que par deux touristes japonais et un motard voyageur qui se dit déçu de ne pas trouver de chevaux à louer comme semblait le suggérer le site internet de l'hotêl. Avec Suavi, Aydin décide donc de trouver un cow-boy turc capable de lui capturer un jeune cheval anatolien dans la semaine.
Dans son bureau, Aydin de nouveau installé dans son bureau discute avec sa sœur, Necla, de son nouvel éditorial consacré à la tenue morale et financière que devraient avoir les imams. Il avoue avoir été irrité par les demandes de Hamdi au sujet des retards de loyer. Necla lui reproche de parler de choses qu'il connait mal et lui conseille de reprendre un ancien projet, une histoire du théâtre turc. Elle voudrait aussi savoir s'il juge utile de s'opposer au mal. Aydin répond avec toute sa bonne conscience à ce qui lui parait être une question parfaitement inutile.
Pourtant, lors du repas du lendemain, Necla repose la question sur l'opportunité de s'opposer au mal. Nihal, une fois la surprise passée, accepte en partie ses arguments comme quoi, le fautif, voir le criminel ne peut se repentir que si l'on ne s'oppose pas à lui mais en faisant lui-même l'expérience de l'inconvenance de son attitude qui le poussera à la regretter. Aydin doute que les criminels regrettent quoi que ce soit et juge toujours utile de les combattre. C'est alors que survient Hamdi et Ilyas ayant fait un long chemin a pied. Ilyas refuse de s'excuser comme le lui demande son oncle et s'évanouit.
Suavi et Aydin voient le cow-boy attraper le cheval sauvage, plein de fougue près d'un ruisseau.
Nihal et Necla discutent et la seconde avoue à sa belle-sœur qu'elle regrette d'avoir divorcée de son mari, violent et alcoolique, et s'être refugiée dans la maison paternelle avec son frère. Si elle était restée à Ankara, peut-être son mari, en la voyant souffrir, se serait amendé. Elle se demande même si elle partait aujourd'hui même, lui demander pardon, il n'accepterait pas de vivre de nouveau avec elle. Nihal s'insurge : de nombreuses fois, elle et Aydin l'avaient plaint d'être maltraitée par son mari et celui-ci, devenu alcoolique au dernier point, n'a certainement aucune chance d'avoir changé et d'accepter de nouveau l'amour de son ex-femme. Necla s'emporte alors contre sa belle-sœur lui reprochant sa morale bien pensante et sa façon de lui faire sentir sa supériorité alors qu'elle n'a jamais rien fait de sa vie. Nihal en reste interdite.
Aydin, de nouveau installé dans son bureau, discute une troisième fois avec sa sœur, Necla, qui lui reproche cette fois sans détour son article sur la religion à laquelle il ne connait rien. Elle l'incite à écrire seulement sur ce qu'il connait : l'histoire du théâtre turc. Piqué au vif, Aydin réplique que si elle n'a jamais trouvé un bon mari c'est qu'elle est vraiment trop méchante, toujours insatisfaite et irritée.
Un soir, rentrant, chez lui tard. Aydin surprend sa femme à la tête d'une réunion dont il ne connait qu'à peine les invités, si ce n'est son ami Suavi. Nihal lui demande de partir au plus vite. Cette réunion est importante pour elle, elle travaille depuis des mois à rassembler des gens capables de donner des fonds pour rénover les écoles. Elle craint que le scepticisme naturel de son mari ne douche l'enthousiasme des participants en ce moment crucial. Aydin est choqué d'être ainsi traité par sa femme et se sent humilié d'être ainsi rejeté devant les invités. Seul dans la nuit, il libère son cheval sauvage.
Au matin, la discussion entre les époux est inévitable. Aydin se venge de l'humiliation passée en montrant à sa femme à quel point, elle ne connait rien aux règles élémentaires de la comptabilité et du droit n'ayant ni tableur pour résumer les comptes ni de reçus des sommes versées. Nihal lui demande de cesser de la disputer, de lui laisser être quelqu'un alors que, l'ayant épousé trop jeune, elle n'a jamais rien pu faire de sa vie. Elle menace de le quitter et de partir vivre à Ankara. Aydin propose d'abord de l'aider puis, sans doute devant l'ampleur de la tache, renonce. Il lui fait néanmoins don d'une grosse somme d'argent pour son association et lui indique que c'est lui qui va partir vivre quelques temps à Ankara.
Alors que la neige recouvre le paysage, Aydin demande donc à Hedayat de le conduire à la gare. Après avoir espéré en vain que le train soit annulé par la tempête, Aydin demande à Hedayat de le conduire chez son ami Suavi. Celui-ci lui sert un bon alcool et reçoit Levent. Celui-ci, ancien bègue, est devenu très bavard. Après une soirée bien arrosée, il met en cause "certains qui ne font rien contre la misère des autres". Ce qui met en colère Aydin qui y voit une attaque personnelle. Levent reconnait s'être fourvoyé mais cite Shakespeare en s'en allant approuvant ceux qui, au lieu de discuter, prennent vaillamment les armes. Aydin réplique avec une autre citation concernant ceux qui se lèvent plein d'entrain pour ne rien faire de leur journée.
Cette même nuit, Nihal rend visite à Hamdi sous prétexte de prendre des nouvelles d'Ylias. Elle réussit plus ou moins à amadouer l'enfant puis propose à Hamdi tout l'argent que lui a donné son mari, somme qui dépasse largement les mois de loyers en retard. Hamdi est gêné et s'apprête à refuser quand arrive Ismail qui exige une explication et humilie Nihal en lui jetant à la figure son irréalisme face à sa détresse morale et financière. Par défi, il jette l'argent au feu. Il provoque ainsi honte et sanglots de Nihal et son propre désarroi quand il voit que son fils a vu la scène.
Le lendemain, Aydin, Suavi et Levent vont à la chasse. Aydin, penaud, ramène un lapin à la maison. Mentalement, il fait acte de contrition, se reprochant de n'avoir pas suffisamment songé au devenir de sa femme mais sachant en revanche désormais qu'il a absolument besoin d'elle. Nihal, qui l'observe de la fenêtre, reçoit mentalement cette prière et semble l'accepter. Aydin commence son histoire du théâtre Turc.
Winter sleep vise à être une grande fresque psychologique où la profondeur des sentiments humains fait écho aux magnifiques paysages. Il n'est pourtant pas certain que les thèmes débattus, l'intérêt des personnages et la mise en scène discrète justifient 3h16 de film.
Une psychologie lourdement explicative
Aydin semble indifférent à la fortune qui lui vient de son père et aimerait n'être pas confronté à la misère qui l'entoure. Il s'est ainsi triplement refugié hors du monde : dans un hôtel perdu au milieu de magnifiques paysages, loin d'Ankara et de sa carrière d'acteur et avec une femme à laquelle il ne demande pas grand chose si ce n'est d'être douce et jolie et une sœur qui tente d'oublier un divorce douloureux. Il met sa plume sans doute encore un peu aiguisée au service d'éditoriaux sur tout et n'importe quoi. Ce qui se joue dans le film lui fera tout juste comprendre qu'il n'est plus grand-chose, vieillissant, et a besoin (mais est-ce si certain ?) de l'amour de sa femme. On a du mal à croire qu'il a compris la leçon pleine de bon sens de sa sœur : n'écrire que sur ce que l'on connait bien. Jamais au cours du film il n'est fait référence au théâtre turc et à ses auteurs. Et ce ne sont pas les deux affiches au mur de son bureau, l'une du Caligula de Camus, l'autre d'Antoine et Cléopâtre de Shakespeare qui indiquent quoi que ce soit sur la spécificité des mises en scènes turcs. Le client de l'hôtel avait beau dire que le plus dure dans un ouvrage est de le commencer, on a du mal à croire que Aydin en commençant son histoire du théâtre turc fasse autre chose que de s'enfoncer un peu plus dans le sommeil d'hiver du titre, loin du monde et des vivants.
Nihal, qui semble d'abord si vive et à l'écoute des autres pourrait être l'un des ces jeunes personnages de Tchekhov auquel se réfère Ceylan dans son générique de fin. Mais pourquoi donc lui faire accomplir ce geste stupide de l'offrande excessive à Hamdi ? Ceylan dans la scène finale où elle semble comprendre l'acte de contrition muet de son mari n'en fait alors qu'une garde-malade d'un vieil acteur espérant encore un dernier tour de piste avec son livre. On est bien loin des élans généreux et sentimentaux de Tchekhov.
Necla a besoin de trois longues confrontations avec son frère plus une avec Nihal pour faire éclore le thème qui lui teint à cœur : est-il utile de s'opposer au mal ? La question, posée d'abord de manière abstraite, s'incarne ensuite dans son cas personnel et Ceylan nous laisse penser qu'elle est partie retrouver son ancien mari pour la mettre en pratique. Mais, un peu comme les sursauts de Aydin ou de Nihal, aucune scène un peu dense ou risquée vient étayer ou contredire sa thèse et son combat.
Pour n'en rester qu'à la surface des choses
De fait, Ceylan s'évertue à créer des personnages complexes mais assez vite transparents sans leur faire prendre d'autre risque que de les rendre plus piteux encore, mais sans leur faire atteindre à la moindre grandeur dans l'échec.
Ceylan esquive les vraies scènes de confrontation, les remplaçant pas une symbolique animale assez bébête (le cheval libéré quand il se sent prisonnier du monde dans lequel il s'est enfermé, le lapin tremblant qu'il abat mais s'identifie en rentrant penaud chez lui). L'articulation entre les deux problématiques posées dans le film n'est guère assurée. La première question, comment assumer le fait d'être riche lorsque l'on vit au milieu de gens en grande difficulté ? est remplacée par Faut-il combattre le mal ou se courber devant lui ? sans qu'une réponse ou une expérience humaine ne soit vraiment donnée.
Seules quelques variations psychologiques supplémentaires autour des personnages secondaires, permettent au film de vivre : Levent, l'instituteur du village; Hamdi, l'imam; Ilyas, le jeune garçon traumatisé et Ismail, son père.
Des champignons ramassés en début de film, évoquant la fin d'automne, au manteau neigeux qui couvre au final la Cappadoce, c'est bien une plongée dans un sommeil mortel auquel nous assistons. Fallait-il donc 3h16 pour n'aboutir qu'à cela ?
Jean-Luc Lacuve le 06/08/2014