Comédienne hantée par son rôle de Nathalia Petrovna, l'héroïne de la pièce de Tourguéniev Un Mois à la campagne qu'elle répète difficilement, Marcelline tente de noyer ses angoisses dans une piscine sur un air de Glenn Miller. Mais rien n'y fait. Rien n'empêche le temps de courir et de lui imposer ses quarante ans et toujours pas d'enfant. Perpétuellement étonnée par le monde qu'elle regarde comme si elle n'en trouvait pas la clé, Marcelline cherche sans relâche à communiquer avec tous ceux qui l'entourent...
Mais qu'est-ce qui pourra réellement aider Marcelline à comprendre
ce qu'elle fait sur terre ? La Sainte-Vierge avec laquelle elle négocie,
le fantôme magnifique de son père assis sur un joli canapé,
le regard toqué de sa mère qui aime se promener en barque ou
tout simplement un baiser reçu un soir du plus jeune des jeunes premiers
?...
Dès l'apparition de Marcelline, bonde dans sa robe crème descendant l'escalier après que sa mère et sa tante aient parlé de ses mariages, princiers ou pas et ratés toujours, le pari est gagné : Valeria Bruni Tedschi impose sa présence, sa grâce poétique, absurde et comme absente aux mesquineries du monde.
Elle est actrice comme Gina Rowlands l'était dans Opening night. Actrices reprend de nombreux éléments au film de John Cassavetes, l'apparition des fantômes (le père, l'amour de jeunesse décédé dans un accident, Nathalia Petrovna) la difficulté d'être au milieu d'autres acteurs (et même ici du metteur en scène particulièrement chargé), l'âge qui menace (Marcelline a 40 ans et désire un enfant)... et utiliser sa mère comme actrice (ici Marysa Borini).
Deux principes semblent à la base du cinéma de Valeria Bruni Tedeschi : un humour constant et un sentiment de la beauté qui vient perpetuellement ressourcer la comédie lorsqu'elle menace de plonger dans la dépression.
L'humour est particulièrement irrésistible avec la bougie éteinte involontairement à la première prière, le vomi répandu sur la passante qui voulait l'aider au sortir de la consultation avec la gynécologue, la demande du port des chaussettes à l'acteur, la demande d'enfant au prêtre, du rêve de l'enfant fait avec la mère raconté avec l'impassible gynécologue. Les personnages secondaires, autrement qu'elle englués dans le réel, sont traités comme autant de menaces comiques : le metteur en scène des Amandiers de Nanterre qui refuse la psychologie pour la vérité de la mécanique des corps, l'assistante aigrie qui se rêve en muse du metteur en scène, les jeunes premiers hésitants.
Mais peut-être est-ce dans la défense de sa liberté, difficile parce que tellement à part du sort commun (la tarte à la crème reçue comme une punition de sa légereté), d'être actrice qu'excelle Valeria Bruni Tedschi. Marcelline est en accord avec la beauté du monde et la part d'artifice que cela suppose : artifice des rêves se mêlant à la réalité lors des discussions avec les fantômes (Clin d'oeil de Maurice Garrel à son petit-fils en utilisant la même poupée en chiffon que celui-ci dans Les chansons d'amour) proximité avec l'enfance (séquence de la piscine le mercredi, du babillage avec l'enfant) et accord avec les éléments : petite silhouette la nuit sur le pont de Paris éclairé de jaune et de bleu, glissement sur la barque, figures au fond de la piscine.
Jean-Luc Lacuve le 02/01/2008