Laurent attend Julie pour leur cérémonie de mariage. Ils font le même métier, comédiens de théâtre. Elle est en retard, il se penche par la fenêtre pour guetter son arrivée, mais voilà qu’il aperçoit une autre femme dans la rue et la fixe un moment. Julie, qui justement approche, découvre la scène, stupéfaite, puis fait lentement demi-tour. Renonçant au mariage, elle entre dans un bar où le patron lui demande "Qu'est-ce que je vous sert ? "Servez-moi de la musique" dit-elle, s'attirant la raillerie des autres consommateurs.
Julie disparaît, laissant Laurent dans un état d’anéantissement. Dans l'hôtel où Laurent avait décidé de passer la nuit avec Julie, un congrès de pharmaciens s'est réuni conduit par une jolie rousse. Il lui chante « La plupart des gens sont tristes, vous avez l'air si heureuse, c'est dangereux. Votre sourire est terroriste" Elle se laisse séduire. Le matin, alors qu'elle dort encore, il s'enfuit en laissant un simple mot "Adieu". Au bar, déjà très saoul, il demande au barman d'offrir une coupe à la jeune femme qui travaille à sa table, puis, devant son indifférence, une deuxième, une troisième... A la sixième, elle se fâche. « Mais quoi, je ne peux pas vous offrir une petite coupe ? », se plaint-il avant de s'écrouler par terre.
Naël, le régisseur, vient le chercher en voiture et l'emmène à Granville où doit jouer Don Juan dans un théâtre donnant sur la mer. Sa partenaire, Marina, est trop stressée et n'arrive pas à jouer correctement. Quand elle vient dans la chambre de Laurent sous le prétexte qu'il l'aide, il la repousse.
Laurent prend un verre en terrasse quand une femme brune, passant devant lui, laisse échapper son foulard. Quand elle vient le lui demander, il exige une nuit avec elle en échange. Elle refuse, l'insulte. Il se bat pour conserver le foulard.
Laurent doit s'expliquer sur son rôle face à des lycéens de la ville. Il ne sait pas répondre à la question de l'un deux : "Dans la pièce, Don Juan n’arrête pas de planter les femmes, mais aucune femme ne le plante, lui ?" Et c'est la professeure de français des élèves qui intervient demandant à ne pas séparer les objectifs du mauvais, Don Juan, de la sincère Elvira. Laurent reconnait la femme au foulard dans la professeure et, confus, lui rend son foulard.
Laurent regarde ensuite fixement une autre femme, blonde, qui lui demande de partir. Comme, il refuse ; elle le frappe. Revenant avec un œil au beurre noir, Laurent a la mauvaise surprise d'apprendre que Marina, se sentant humiliée, a abandonné la troupe. Mais c'est Julie qui la remplace, finalement prête à se réconcilier avec lui.
Le soir, Laurent discute avec l'homme tranquille qui lui offre un verre et voudrait apprendre un secret de son métier. Il l'a vu faire avec la femme au foulard. Laurent lui révèle que le père de Julie jouait du piano dans un bar. L'homme tranquille improvise "Le piano de Papa".
La première représentation est un succès. Le lendemain, Laurent et Julie vont se promener sur la plage. "Pourquoi chanter l'amour si ce truc foire toujours? C’était un regard sur une passante, c’est rien, c’est rien du tout. C’est toi qui mythifies les choses », chante-t-il à Julie. Il voudrait un enfant d'elle. "Souvent les amoureux ne regardent qu'eux, toi tu m'as ouvert les yeux". En rentrant de promenade, Laurent voit l'homme tranquille à l'entrée d'un cimetière. Il lui révèle qu'il est le père d'une des femmes qu'il a abandonnées et qui s'est suicidée pour cela. Laurent ne se sent pas coupable.
Le soir, l'homme tranquille aborde Julie et lui laisse entendre que les infidélités des Laurent ne cesseront jamais. Est-ce cela qu'elle veut ? Lui n'a pas pu protéger sa fille. Au piano, il joue "C'est ton papa".
Laurent et Julie sont au restaurant. Julie remarque une nouvelle fois Laurent regardant fixement une autre femme. Quand ils se rendent au mariage de Naël, elle fait croire qu'elle a oublié son discours, laissant Laurent seul. Elle lui annonce au téléphone le quitter, cette fois définitivement. Laurent, désespéré, voudrait danser mais chaque femme qu'il approche, croyant toujours voir Julie, repousse ses brusques avances.
Quelques mois plus tard; Laurent assiste au triomphe de Julie dans une nouvelle pièce; "Elle peut être ce rôle et un autre" dit-il, admiratif, à des spectateurs moins enthousiastes. Il la voit. Elle le regarde. Il s’en va.
Laurent, bien loin des belles certitudes de Don Juan, est un homme abandonné par une femme à laquelle il trouve toutes les qualités. Il ne peut que la substituer à toutes les autres femmes : quand elle n'est plus là, il la voit partout. Bozon créée ainsi un Don Juan qui ne collectionne pas les femmes mais qui est obsédé par une seule, incarnation de l’amour absolu. Dans un remarquable effet de miroir, c’est ici la tragédie de l’acteur qui est mise en scène par le fait que la femme qu’il aime ne peut se détacher de la vision classique du personnage qu’il interprète. Ainsi, ce qui se présente longtemps comme une comédie du remariage, s’oriente vers un mélodrame, chansons bouleversantes comprises.
Molière en miroir
Comme la professeure de français l'indique, il ne faut pas juger trop vite les personnages de Molière ; celui qui paraît bon ou celle qui paraît pure ne sont pas à la recherche d'une satisfaction passagère mais cherchent chacun un amour absolu; même si, pour Don Juan, cela passe par de nécessaires ruptures. Bozon inverse ici le processus. C’est ici Julie qui va rompre deux fois. La deuxième, en dépit des conseils de Naël- Sganarelle, elle est mise à nouveau sur la fausse piste du personnage d'un Don Juan incorrigible par l'homme tranquille. Celui-ci synthétise tous les pères et frères vengeurs de la pièce de Molière. Cette statue du commandeur, du père, a cette fois perdu sa fille et en est inconsolable..
Que le théâtre de Granville soit ouvert sur la ville et la mer a toute son importance. laurent endosse ainsi la peau de son personnage, malgré lui, dans la vie réelle. Laurent ne veut ni juger ni condamner le personnage qu’il interprète. En tentant de le faire vivre comme acteur, il provoque par là son tragique destin car celle qu'il aime l'identifie pour son malheur à son personnage et le croit infidèle dès qu'il regarde une autre femme.
Mélodrame
La partition joue le lyrisme, la grandeur des sentiments, soutient la gravité d'un amour blessé, parfois avec le Don Giovanni de Mozart, parfois avec une instrumentation classique (orchestre, flûte, harpe...) parfois avec le chanteur s'accompagnant seul au piano (deux fois pour L'homme tranquille et une fois pour Julie). Cette utilisation de la musique avec des paroles limpides, simples à faire pleurer, fouille les personnages en gros plan ce qui rend toute danse impossible avant la chorégraphie finale où Laurent est repoussé par toutes les femmes qu’il a approché agressivement croyant pouvoir y retrouver Julie.
Ces plans longs, dans l'intériorité de chacun des personnages, sont montés avec des coupures nettes et semblent ainsi voler d'une émotion à une autre. Tant et si bien qu’ils requièrent du spectateur une attente de quelques secondes avant de les situer géographiquement et dramatiquement ; mairie, hôtel, théâtre, bar, cimetière ; tout surgit dans le plan avant d’avoir été situé tout comme la compréhension que c’est le regard de Laurent qui fait renoncer Julie au mariage. Même retard de compréhension dans les premières incarnations de Julie dans la femme rousse de l’hôtel, la brune au bar, puis de la réapparition de la femme au foulard en professeure de français en situation avec ses élèves ou de l’intervention, plus légère, de la femme blonde qui ne se laisse pas dévisager au bar et qui a littéralement tapé dans l’œil de Laurent.
Jean-Luc Lacuve, le 6 juin 2022