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Le tableau volé

2024

Avec : Alex Lutz (André Masson), Léa Drucker (Bertina), Nora Hamzawi (Maître Suzanne Egerman), Louise Chevillotte (Aurore), Arcadi Radeff (Martin Keller), Laurence Côte (Mme Keller), Matthieu Lucci (Paco), Ilies Kadri (Kamel), Alain Chamfort (Le père d'Aurore), Olivier Rabourdin (Hervé Quinn), Peter Bonke (Samson Körner). 1h31.

Dans la périphérie de Mulhouse, Martin Keller vient de s’installer dans un logement acquis en viager par sa mère. Au second étage, cet ouvrier qui travaille de nuit, joue avec ses amis Paco et Kamel sans s'inquiéter d'un tableau exposé sur le papier peint jaunâtre. Pourtant, en achetant des cigarettes, Kamel remarque un magazine dont la couverture reproduit le tableau de son ami.

À quelques heures de là, dans les beaux quartiers parisiens, André Masson négocie la mise aux enchère d’un tableau à une cliente aussi méprisante que raciste. Qu’importe, le commissaire-priseur de la célèbre maison de ventes Scottie’s est un requin qui ne s'embarrasse pas de ce qu'on pense de lui. Il dénigre ainsi son collègue devant son patron, Hervé Quinn.

André met aussi sur le grill sa fantasque stagiaire, Aurore, dont il a remarqué la propension déconcertante à mentir avec aplomb. Il lui ordonne ainsi de répondre par la négative à un courrier de Maître Suzanne Egerman qui souhaite qu'il se déplace pour authentifier une toile d’Egon Schiele qui aurait été découverte à Mulhouse chez Martin Keller, un jeune ouvrier. Pourtant, lorsque Suzanne lui envoie la photographie de Soleil d'automne, André est pris d'un doute et la transmet à son ex-épouse et collègue, Bertina, qui, dans le doute elle aussi, le décide à la rejoindre à Mulhouse, ne serait-ce que pour visiter le musée des automobiles de collection dont il est amateur. C'est ainsi que André, Bertina et Suzanne se rendent chez Martin et sa mère, très stressés et intimidés par leur visite. En face du tableau, ils doivent se rendre à l’évidence : le tableau est authentique, un chef-d'œuvre disparu depuis 1939, spolié par les nazis dont ils estiment la valeur à un minimum de 10 à 12 millions d'euros.

Martin déclare ne pas vouloir de ce tableau volé mais Suzanne demande à André de négocier une part de la vente pour son client, à l'origine de la découverte. André voit dans cet événement le sommet de sa carrière. Les tensions avec Aurore augmentent et il lui propose d'aller faire un tour chez Drouot pour se calmer les nerfs. Là, Aurore s'achète pour pas cher un beau manteau d'aviateur et repère un homme qui s'intéresse aux livres de collection. Lors de la mise en vente d'un des livres, elle surenchérit sur les offres de cet homme qui doit ainsi débourser 40 000 euros, soit dix fois plus que si elle s'était abstenue. Elle se laisse rattraper par lui à la sortie des ventes et lui jette à la figure que sa mère, avant de mourir du Covid,  lui a appris qu'il était son père, ayant ainsi trahi son mari de longues années qui, dit-elle, s'est suicidé.

André prévient les héritiers du collectionneur juif spolié et rencontre ainsi à Paris Bob Wahlberg et son avocat français, Maître Rochebourg. Bob Wahlberg, en ce mois de la générosité juive, propose que Martin soit ajouté à la liste des neufs membres de la famille qui vont hériter.

La maison Scottie’s met tout en œuvre pour faire mousser le tableau et asseoir sa réputation avant sa mise aux enchères. André a ainsi organisé la venue du grand expert de Schiele, Samson Körner. Mais celui-ci déclare tout de go qu’il est déçu et que ce n'est pas là le chef-d’œuvre promis, beaucoup trop abimé. La déception est rude pour André mais l'expert est tout juste parti que déboule le père d'Aurore. Celui-ci jette un test ADN de paternité aux pieds d'Aurore, meurtri d'avoir été contacté par l'amant de sa femme qui est allé lui colporter le mensonge de sa fille. André tente d'apaiser Aurore et lui raconte son enfance miséreuse dans un village de province, en but aux moqueries de garçons tout juste un peu plus riches que lui. Il n'a eu de cesse de prendre lsa revanche sur eux. Aurore se déchaîne, lui criant son mépris face à son autosuffisance et son appât du gain. Elle démissionne.

André n’est pas au bout de ses peines. Bob Wahlberg lui annonce qu'il ne souhaite plus mettre le tableau aux enchères et se contentera d'une transaction privée plus discrète même si elle ne lui rapporte que les 8 millions d'euros promis par un acheteur. André rentre chez lui et se saoule, réconforté quand même par la visite de Bertina qui l'encourage à rappeler Wahlberg. Celui-ci confirme son refus de la mise aux enchères. Alors qu'André est parti cuver son whisky, Bertina reçoit la visite d'Aurore qui vient faire une visite professionnelle à André. Bertina conseille à Aurore d'attendre qu'André se réveille. Mais, au matin, André, sceptique sur l'aide que pourrait lui apporter Aurore, est agressif et celle-ci rentre chez elle. André vient toutefois faire amende honorable et Aurore lui explique que la vente lui échappe parce que l'avocat français, payé à la commission, s'est certainement entendu avec l'expert pour faire baisser l'évaluation et proposer ainsi à Bob Wahlberg un acheteur qui leur remettra une commission. André, convaincu par cette hypothèse, en fait part à Bob Wahlberg qui comprend qu'il a été manipulé.

La vente est donc organisée par Scottie’s. Suzanne accompagne Martin à Paris, en profitant aussi pour rejoindre Bertina dans sa chambre, entretenant avec elle une relation amoureuse secrète depuis quelque temps. La vente est dirigée avec maestria par André qui orchestre les offres des enchérisseurs, adjugeant le tableau pour 25 millions d'euros. Suzanne et André accompagnent Matin à la salle de réception des Wahlberg qui applaudissent le jeune homme, celui-ci ayant toujours su se mettre en retrait vis à vis de sa découverte. Martin, affolé par le prix du tableau, s’éclipse brusquement et Suzanne le retrouve en larmes avant de le raccompagner. André se voit offrir une place de chairman par Hervé Quinn pour devenir son associé et directeur de la maison des ventes. Mais André ne se satisfait pas d'être la marionnette de son patron et propose à Bertina qu’ils associent leurs réputation et carnets d'adresses pour monter une affaire indépendante.

Sept mois plus tard. Bertina et André sont associés et Aurore travaille avec eux et s'est réconciliée avec son père. Lors de sa fête d'anniversaire qui les réunit, Aurore leur propose d'expertiser une toile impressionniste détenue par la descendante d'une cocotte du début du siècle. André a reçu une carte postale de Martin. Il a acheté une maison pour  sa mère et c'est tout. Il continue son métier et n'a rien dit à ses amis pour ne pas changer ses habitudes.

A la façon de La femme au tableau (2015), qui narrait la récupération de Adele Bloch-Bauer I célèbre tableau de Gustav Klimt spolié, Pascal Bonitzer s’inspire également d’une histoire vraie qui remonte elle aussi à l’Autriche des années 1910 et à la Seconde Guerre mondiale – celle d’un tableau exceptionnel d’Egon Schiele, Soleil d'automne, retrouvé en 2005 chez un modeste particulier. Mais Le tableau volé est surtout un prétexte pour brosser un portrait cynique du milieu de l’art et de laisser libre court au talent de ses interprètes pour délivrer bons mots et autres sentences hypocrites sur la vanité des affaires.

L’acteur Alex Lutz y campe le commissaire-priseur André Masson (homonyme du peintre), un antipathique requin des enchères, employé par la maison de vente Scottie’s – contraction non moins ricanante de Sotheby’s et de Christie’s.

Réduite à un objet de convoitise financier, un "produit" commercial à "faire mousser", tel que le désigne sans cesse le personnage principal, l’œuvre s’efface derrière les personnages qui se bagarrent à son sujet ou se le disputent en salle des enchères.

Soleil d'automne (Egon Schiele, 1914) dans la maison de Martin Keller

André et Bertina s'y connaissent en art mais ne sont pas, le disent-ils à Suzanne, des experts, ceux faisant référence pour authentifier une œuvre. Distinction énoncée mais aussitôt contredite : André et Bertina authentifient l'œuvre au premier coup d'œil. Et l'expert d'Egon Schiele, Samson Körner, se révèle être un escroc. Pour nouer l'intrigue, le personnage d'Aurore, experte du mensonge, vient s'adjoindre au duo des spécialistes. Son tropisme du mensonge viendrait de la révélation que sa mère eut un amant et que son père n'est peut-être pas le sien ; mais l'hypothèse émise n'est pas travaillée, reste en suspens et se trouve miraculeusement dévitalisée à la fin dans la concorde générale.

On regrettera aussi le discours politique contestable : les ouvriers préfèrent le travail et les potes et ne s'intéressent pas à l'argent... Discours qui ne tient que parce que Bonitzer ne montre pas les conditions de travail de l'ouvrier chimiste. Pascal Bonitzer fut autrefois un excellent critique de cinéma puis un cinéaste créant des personnages complexes et singuliers. Avec Tout de suite maintenant (2016) et ce film-ci, le voilà désormais engagé dans des scénarios brillants et malins mais, à force de fascination-détestation de la finance, fabriquant des films chic et toc, plus soucieux de rebondissements que de creuser la surfaces des êtres au-delà des clichés.

Jean-Luc Lacuve, le 01/06/2024

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