4h55 du matin. Cecilia Ellius, 28 ans, est admise d'urgence dans une clinique de Stockholm. Mariée, employée dans l'administration, elle en est à son troisième mois de grossesse mais perd du sang. A 5h35, son enregistrement tout juste terminé, les pertes de sang s'aggravent. Affolée, Cecilia appelle l'infirmière avant de s'évanouir. Une heure plus tard, le médecin lui annonce qu'elle a perdu son enfant.
Cecilia est conduite dans sa chambre où sont également hospitalisées Hjördis et Stina. Quand Brita, l'infirmière vient s'enquérir d'elle, Cecilia lui déclare que l'enfant était condamné. Son père ne le désirait pas et elle n'était pas assez forte pour protéger le l'enfant qu'elle portait. Son mariage étant une union sans amour, elle considère qu'elle et son mari sont responsables de cet échec.
Anders Ellius vient lui rendre visite et elle lui exprime sa lassitude de se savoir une charge pour lui qui l'a épousé trop vite et qui ne l'aime dorénavant certainement plus. Ellius tient au foyer qu'ils ont construit ensemble mais Cecilia refuse de continuer à jouer le jeu social. Elle se sent tout juste capable de vivre seule et désire divorcer. Alors qu'Anders la quitte choqué. Cécilia refuse pourtant qu'il ramène les fleurs qu'il lui avait offertes.
Sous le regard inquiet de Hjördis, célibataire, ouvrière, soignée pour un avortement raté et fermement décidée à ne pas avoir l'enfant qu'elle attend, le docteur Fellenius vient ensuite interroger Cecilia. Il le fait grossièrement et sans égard, lui faisant comprendre qu'il la soupçonne d'une tentative d'avortement.
Hjördis sort de la chambre et regarde, dans le couloir, la chambre des mères qui ont accouché. Elle téléphone au père de l'enfant, Tage, son petit ami qui ne veut rien d'autre que d'être débarrassé de l'enfant qu'elle porte. Hjördis repasse devant la chambre des bébés et est interpellée par l'assistante sociale qui tente de la convaincre de garder son enfant. Pour cela, elle sera aidée par les avancées sociales du pays qui protègent les filles mères. Hjördis éclate de colère devant la bonté compatissante de l'assistante sociale, qui ignore la réalité sordide à laquelle elle est confrontée : curetage clandestin et travail ouvrier. Elle s'enfuit dans le couloir et pleure dans les bras de Brita. Celle-ci ne cherche pas à lui répondre directement que les enfants sont adorables. Elle se contente de dire que c'est une chance pour beaucoup de femmes d'en avoir. Ainsi, Mme Gran, l'assistante sociale a déjà eu plusieurs fausses couches qui lui interdisent tout espoir d'avoir un enfant. Hjördis lui avoue son sentiment d'avoir jusqu'ici tout raté dans sa vie et que, pour elle, les choses finissent toujours mal.
Lorsque Hjördis rentre dans la chambre, on amène à Stina de la bière pour faire passer l'huile de ricin censé faire venir plus vite le bébé qu'elle attend et qui a maintenant dépassé le terme. Stina Andersson, est la plus heureuse des épouses. Femme d'ouvrier, elle s'apprête à mettre au monde l'enfant qu'elle et son mari souhaitent intensément. Elle a toutefois soudain le pressentiment du drame. Elle l'exprime avec le souvenir d'une phrase de la bible "une épée soudain transperça mon âme". C'est ce qu'elle vient d'éprouver quand elle pensa : "et s'il ne venait pas ?". L'inquiétude est cependant vite oubliée et Stina prend soin d'elle-même et de ses compagnes de chambre pour les visites qui sont autorisées à l'heure du repas. Elle même attend son mari, Harry. Celui-ci se présente les bras chargés de fleurs et impatient de lui décrire la chambre qu'il a déjà prévue pour l'enfant.
Hjördis de son côté reçoit la visite d'une collègue qui est tout aussi consternée qu'elle de savoir son enfant encore en vie malgré tout ce qu'a tenté Hjördis pour s'en débarrasser. L'heure des visites s'achève et c'est même bientôt le soir. Les trois femmes se préparent à dormir. Seule Stina est heureuse pensant qu'elle devra faire baptiser son fils pour faire plaisir à son mari.
A 22h50, Stina appelle l'infirmière car elle ressent ses premières contractions. La sage-femme doit intervenir presque immédiatement tant les contractions sont douloureuses et répétées.
Hjördis ne parvient pas à dormir et vient discuter avec Cecilia qui l'encourage à garder son enfant qui pourrait représenter un nouveau départ. Malgré ses craintes, elle convainc Hjördis que sa mère, comme toutes les mères, sera prête à accueillir sa fille dans la difficulté. Hjördis accepte cigarette et somnifère de cecilia. A minuit, les contractions de Stina sont devenues intolérables. Le docteur Mellin est appelé. Il décide de l'anesthésier.
C'est le matin, les bébés sont confiés aux mères pour la tétée. Brita ramène Stina dans la chambre. Elle informe Cécilia et Hjördis que le bébé pas survécu aux contractions. Hjördis, devant les expériences de ses deux compagnes de chambre, constate qu'elle est la seule à pouvoir conserver son bébé.
9h00. c'est la visite des médecins. A la question de Stina qui veut savoir pourquoi son bébé est mort, le médecin désemparé ne peut répondre que "C'est la vie qui n'a pas voulu". Si la situation est cruelle, Stina doit cependant garder espoir pour les prochaines fois. Quand une infirmière peu psychologue veut apporter à Stina les fleurs de son mari, Hjördis l'en empêche et court dans le couloir demander à Brita de quoi appeler sa mère qui accepte avec joie son retour.
Hjördis vient saluer Cecilia qui reçoit la visite de sa belle-sur.
Celle-ci la met en garde contre le refuge illusoire de la solitude. Ce qu'elle
croit être une tranquillité inviolable n'est qu'une chimère qui conduit
à une peur constante face au quotidien. Cécilia accepte de revoir
Anders.
Une journée de la vie de trois femmes d'horizons différents dans une maternité de Stockholm aurait pu être pour Bergman l'occasion d'aborder le sujet de la femme devant la maternité. Loin des films lyriques qu'il a précédemment réalisés et qu'un tel sujet pouvait appeler, il tourne un film de chambre aussi rigoureux dans sa construction narrative que dans sa mise en scène, totalement épurée, dont la modernité annonce ses films des années 70.
Exposé des motifs
Au seuil de la vie ne dure que 82 minutes et sa première moitié est consacrée à exposer les traumatismes qui affectent Cecilia et Hjördis puis le pressentiment du drame qui pèse sur Stina. Il ne s'agit donc nullement de jouer d'un montage alterné mais de creuser les douleurs et traumatismes de chacune des trois femmes de façon simple et linéaire.
Entrée à la clinique à cinq heures du matin, Cecilia sait très vite qu'elle a perdu son enfant. Ne s'estimant pas à la hauteur de ce qu'elle s'imagine que la vie de couple nécessite, elle préfère renoncer et demande le divorce. Elle se décrit à Anders comme un être faible dont elle veut le libérer tant elle ne se sent pas douée pour la vie. Celle qui l'attend à la sortie ne lui semble plus qu'hypocrisie : "Toute cette bienveillance qui m'attend quand je sortirai de l'hôpital... Il n'y a pas que les vagins qui s'ouvrent ici. Il y a les êtres humains. Je n'oublierai jamais ce moment. Jamais je n'ai été si proche de la vie mais la vie m'a glissé entre les doigts. La vie s'en est allée sans laisser de traces. Sa belle-sur lui dira pourtant : "La solitude est une chimère, un numéro d'acrobatie."
Hjördis ne croit plus au lien social. Son amant l'a déjà fait avorter une fois et elle ne veut pas, après l'échec de ce nouvel avortement en tenter un nouveau. L'assistante sociale lui tient un discours raisonnable : "La société suédoise a évolué depuis 30 ans et aide les mères célibataires à élever seule leur enfant. Il y a des aides spécifiques et les soins gratuits. La loi protège l'enfant : un tuteur est nommé et veille à ce que le père paye une bonne pension. Il y a des maisons d'accueil pour vivre avec l'enfant et le tarif des crèches est basé sur le revenu. Il faut néanmoins trouver un travail... L'enfant est un don que tout le monde ne peut avoir". Hjördis lui crie son dégoût : "Vous avez appris cela dans les livres. Votre petit ami ne vous a jamais cureté à la main". Hjördis trouve les enfants odieux et dégoûtants et confie à Brita : "Tout finit mal. J'aimerais ne pas être née".
Stina mange des pommes, range le linge, pouponne les autres. Pourtant, au milieu de cette sureté de cette "féminité triomphante, cuirasse de la féminité" comme Bergman définissait son actrice, elle a le pressentiment du drame : "Une épée transperça mon âme : et s'il ne venait pas ". C'est ce que lui dira le médecin : "Ce n'est pas de votre faute et l'enfant se présentait bien. La vie n'a pas voulu, c'est rare, mais cela arrive".
Un film de chambre...
Pendant quelques semaines, Bergman étudia sur le vif l'atmosphère d'une clinique spécialisée dans les accouchements (l'hôpital Karolinska, à Stockholm) claire, bien équipée, symbole de l'organisation sociale suédoise. Puis il s'attela à la rédaction de son scénario. Le choix d'un huis clos dans un décor de studio privilégiant les grands murs blancs plus ou moins éclairés permet à Bergman de scruter les visages de trois de ses plus grandes actrices, filmées sans le moindre artifice.
La mise en scène se cantonne en effet souvent à saisir le visage de ses trois actrices en gros plan en faisant d'Au seuil de la vie l'un des films de Bergman les plus représentatifs de sa formule bien connue : "Le plus beau paysage que l'on puisse filmer, c'est le visage humain". Lors des dialogues, le plan s'élargit pour saisir les deux acteurs dans le cadre et seuls les quelques plans d'aération voient la caméra se mettre en mouvement. Ceux-ci sont d'ailleurs particulièrement notables : la visite des infirmières avant l'arrivée de Anders ; Hjördis dans la cabine téléphonique et Hjördis et Brita dans le couloir pour un plan de près de deux minutes.
Cette rigueur dans la mise en scène est renforcée par l'absence de musique. Tout juste entend-t-on l'air classique qu'écoute l'infirmière de nuit avant d'être appelée par Stina qui ressent ses premières contractions.
.... paradoxalement panthéiste
La simplicité du dispositif donne une signification particulière à chaque choix de mise en scène. Le film commence et se finit ainsi sur deux images symétriques : une porte qui s'ouvre pour laisser rentrer Cecilia et des portes qui se ferment après le départ de Hjördis. La répétition des plans d'horloge montre de façon insistante le temps humain pour mieux suggérer la présence d'un autre temps, non maitrisé par les humains. La poupée échappée de l'enfant malade se retrouve ironiquement, inutile dans le sac de Cecilia. Le verre d'eau que tente de saisir Stina symbolise la perte de la vie à laquelle est confrontée Stina, amorce possible vers un nouvel accouchement mais bien loin de la vie espérée avec le verre de bière pour faire passer l'huile de ricin. Sa solitude irrémédiable ne peut s'accommoder de l'aide compatissante que Hjördis veut lui apporter et dont elle frappe la main.
De même, les plans sur la maternité luxuriante des jeunes accouchées donnant le sein à des bébés qui semblent ne jamais finir de sortir des tiroirs sont moins documentaires que destinés à signifier la puissance de la vie. Ces trois femmes croient pouvoir maitriser leur destin mais sont soumises aux forces de vie et de mort bien plus puissantes qu'elles, que leurs souffrances psychologiques ou sociales.
Bergman met magnifiquement en scène les idées d'Ulla Isaksson, la scénariste du film, qui le voyait ainsi : "La vie, la naissance, la mort sont des secrets -des secrets pour lesquels certains sont appelés à vivre pendant que d'autres sont condamnés à mourir. Nous pouvons assaillir le ciel et la science de questions- toutes les réponses n'en font qu'une. Pendant que la vie se poursuit, couronnant les vivants d'angoisse et de bonheur. C'est l'assoiffée de tendresse déçue dans ses aspirations qui doit accepter sa stérilité. C'est la femme débordante de vie, à qui on refuse de garder l'enfant qu'elle attendait avec passion. C'est la jeune inexpérimentée, soudain surprise par la vie, et placée d'un seul coup dans la foule des parturientes. La vie les couronne toutes, sans poser de questions, sans donner de réponse : elle poursuit sa marche ininterrompue vers de nouveaux enfantements, vers de nouvelles vies. Seuls les humains posent des questions."
Bien reçu par la critique, le film est victime d'un long purgatoire
En 28 jours, le tournage du film est achevé. Le montage est suffisamment rapide pour qu'il soit sélectionné pour le Festival de Cannes accompagné, comme autre film suédois, par L'arc et la flûte de Sucksdorff. Les deux films précédents de Bergman avait remporté, pour Le septième sceau, le prix spécial du jury du festival de Cannes 1957 et, pour Les fraises sauvages, l'ours d'or de Berlin 1958. Au seuil de la vie ne sera pas en reste. Il obtient au festival de Cannes 1958, le prix de la mise en scène et les actrices principales (Bibi Andersson, Eva Dahlbeck, Barbro Hiort af Ornäs et Ingrid Thulin) reçurent le prix collectif d'interprétation féminine.
Le film ressort au début des années quatre-vingt lors des nombreuses rétrospectives Bergman puis tombe dans un certain oubli, bloqué par des problèmes de droit. Ce n'est en effet pas la Svensk Filmindustri qui produit le film mais la Nordisk Tonefilm associée à des capitaux américains. Ce n'est qu'en 2011 que les éditions Montparnasse obtiennent les droits de distribution en salle et en DVD.
Jean-Luc Lacuve, le 01/09/2011.
Editeur : Montparnasse, octobre 2011. Durée du film 1h22. 18 €. |
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