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Jauja

2014

Genre : Film épique

Cannes 2014 : un certain regard Avec : Viggo Mortensen (Gunnar Dinesen), Ghita Norby (La femme dans la grotte), Viilbjørk Malling Agger (Ingeborg), Diego Roman (Carlo), Adrián Fondari (Lieutenant Pittaluga), Esteban Bigliardi (Angel Milkibar). 1h50.

Le film s’ouvre sur le carton suivant : "Les Anciens disaient que Jauja était, dans la mythologie, une terre d’abondance et de bonheur. Beaucoup d’expéditions ont cherché ce lieu pour en avoir la preuve. Avec le temps, la légende s’est amplifiée d’une manière disproportionnée. Sans doute les gens exagèrent-ils, comme d’habitude. La seule chose que l’on sait avec certitude, c’est que tous ceux qui ont essayé de trouver ce paradis terrestre se sont perdus en chemin...".

Fin du XIXe. Le capitaine Gunnar Dinesen est arrivé du Danemark avec sa fille, Ingeborg, pour surveiller un projet de "civilisation" de ces terres désertiques et prétendues barbares de la Patagonie. Ingénieur, il est intégré dans l’armée argentine comme capitaine. Ingeborg, 15 ans, s'ennuie et voudrait un chien qui la suive partout. Dinesen travaille avec le lieutenant Pittaluga, énergumène qui se masturbe dans les mares du rivage et qui, ayant jeté son dévolu sur Ingeborg, souhaiterait l'inviter au prochain grand bal du ministre. Dinesen refuse tout net et met sa fille en garde contre les manœuvres du lieutenant. Elle n'en a que faire, ayant jeté son dévolu sur Carlos, un jeune soldat. Sur la plage, le jeune homme trouve un petit soldat de bois peint qu'il offre à Ingeborg.

Pittaluga, ayant remarqué leur manège, arrête le soldat. Il devra s'expliquer devant l'administrateur du domaine, Angel Milkibar, dandy se targuant de parler le français, au sujet du mythique colonel Zuluaga : devenu fou, Zuluaga, a déserté avec un régiment de mercenaires habillés en femmes, et il écume la région en commettant d’atroces crimes. Angel Milkibar ordonne à Carlos de ramener une preuve tangible de la désertion de Zuluaga. À ce moment, la jeune Ingeborg surgit pour montrer à son père la figurine de bois peint qu’elle prétend avoir découvert sur la rive. Son père l’ignore, et lui demande de s’en aller. Après quelques palabres sur le sort du prisonnier et les plans d’action pour la suite des opérations de civilisation, Dinesen, Pittaluga, et les autres résidents de l’avant-poste vont se coucher.

Pendant la nuit, Dinesen se réveille et constate que sa fille s’est enfuie. Elle est partie avec Carlos. Sans plus tarder, le capitaine s’équipe d’un fusil, d’une longue vue, d’une cantine, d’un sabre, d’une sacoche et il s’en part quérir sa fille à cheval.

Carlos et Ingeborg se sont reposés près d'une rivière et sont devenus amants. Dinesen rencontre l’intendant Malaespina, responsable de la main-d’œuvre du chantier dont Dinesen a la charge, visant à construire routes, canaux, et autres travaux afin de rendre praticable le terrain de Patagonie. Le capitaine repart explorer les plaines désertiques. Finalement, il parvient à cet oasis où sa fille et Carlos ont fait l'amour.

Il poursuit sa route et trouve des traces de crottes de cheval fraîches. Mais c'est Zuluaga qu'il voit de loin. Alors qu’il entend des hurlements par-delà une colline, il se précipite pour voir de quoi il en retourne. Il aperçoit un homme à cheval en train de planter une lance à répétition dans un homme alors que l'autre regarde. Dinesen, prudent, observe depuis le contre-bas du monticule, caché derrière une pierre, les espionnant à travers sa longue vue. Dinesen attend qu’ils s’en aillent et monte sur la colline pour voir un homme en bure, torse transpercé et ensanglanté.

Dinesen entend des gargouillis sinistres et tombe sur Carlos à moitié égorgé à l’ombre d’un arbre, sans Ingeborg. Il attache son cheval et, avec son fusil et son sabre, approche du mourant. Il l'interroge pour savoir où est sa fille. Celui-ci murmure "Zuluaga". Dinesen, mi par rage mi par pitié décide d'achever Carlos en l’égorgeant pour de bon avec son sabre. Sans qu’il ne s’en rende compte, un soldat déguisé en femme, qui pourrait très bien être le fameux Zuluaga, subtilise son cheval et fuit sur la colline en hurlant. Dinesen tente de l’abattre à coups de feu, mais rate sa cible.

Démuni, sans coursier, assoiffé et désespéré, Dinesen continue son errance dans un univers de plus en plus hostile dans ces contrées de cailloux. Il retrouve par hasard la figurine de bois et la conserve précieusement. C'est la nuit. Il regarde les étoiles, tenant le petit soldat de bois dans ses mains et semble écouter une musique céleste. Le lendemain, il poursuit sa route et se retrouve nez à nez avec un chien sorti de nulle part. Dinesen court à sa poursuite, et arrive dans un étrange réseau d’empilements rocheux noyés dans la brume.

Il rencontre là une vieille femme, maîtresse du chien dont il remarque une blessure au flanc, qui lui indique une source s’écoulant d’un rocher à laquelle il peut s'abreuver. Ceci fait, Dinesen pénètre dans la grotte dans laquelle la femme vit entourée d’objets anachroniques et lui demande s’il a vu sa fille, à quoi la vieille femme laisse entendre qu’elle est et n’est pas sa fille, qu’elle ne se souvient que de son père, mais pas de sa mère, et l'interroge à ce sujet. Dinesen décrit la femme qu'il a aimée et qui les a abandonnés à la naissance d'Ingeborg. A son émotion, Dinesen croit que cette femme pourrait être sa fille, de 60 ans plus âgée. Après cette discussion étrange, Dinesen sort de la grotte : il a neigé. Sans faire grand cas de ce changement soudain de météo, voire de temps, il s’avance hagard parmi les rochers, regarde au loin, pousse un rire étouffé et s’exclame : "Je ne sais pas".

Raccord sur une grande maison d’un domaine ensoleillé. Sur le lit dort paisiblement Ingeborg, qui se réveille au lever du soleil. Elle descend les escaliers et arrive dans un séjour du Danemark contemporain. Ne trouvant pas son père, elle sort dans le jardin pour aller à la rencontre du maître des chiens du domaine. Ingeborg y trouve son préféré, qui s’est blessé au flanc. Elle demande au maître où est son père. Il lui répond qu’il est parti assister à un match de hockey. Ingeborg part se promener avec son chien. Elle arrive auprès d’un étang, sur la berge duquel elle trouve la même figurine en bois qu’au début du film. Elle le jette dans l’eau et s’en va. L’eau troublée par la figurine s'éclaircit et on voit apparaître en transparence la Patagonie déserte du début.

analyseAlonso fait peu de cas du contexte historique et seuls la bande-annonce du film et le dossier de presse datent précisément l'action du film en 1882 et rappellent le contexte historique. La "conquête du désert" touche à sa fin; génocide à peine voilé contre les peuplades indigènes de la région, nécessaire afin de paver la voie à l’arrivée des Européens en territoire argentin. Massacres, pillages, viols, les pires horreurs sont commises au nom de cette guerre.

Alonso se joue des codes du western classique pour construire une histoire dont l’intérêt ne repose pas sur le déploiement d’une intrigue, qu’il abandonne rapidement, mais dans la réflexion de l’œuvre en elle-même, réflexion qui devient proprement le contenu de son histoire.

Poème sur la proximité entre le plus grand des bonheurs, aimer; et le plus grand des malheurs, perdre celle que l'on aime, le film explore ce sentiment qui se joue des continuités géographiques ou temporelles. La mélodie narrative s'effiloche au cours des trois parties : western classique, quête sans fin et hiatus spatio-temporel. En revanche, les effets harmoniques s'intensifient : splendeur des paysages, magnifiquement éclairés et cadrés et objet et animal qui nient l'espace et le temps. C'est la figure en bois peint offerte par Carlos, montrée au père, retrouvée par le père, cédée à la fille devenue âgée, retrouvée puis jetée à l'époque contemporaine. C'est le chien à la pelade que suit le père comme un espoir de retrouver sa fille et que suit effectivement la fille à l'époque contemporaine.

Cette quête inaccessible d'aimer une enfant qui finira, adulte, par nous échapper et la contrepartie de cet amour filial, réel mais finalement assez lâche, s'exprime par la double fin du film. Dans le premier espace, le père retrouve sa fille, mais qui ne ressemble pas à sa fille, raison pour laquelle il lâche un "je ne sais pas" comme ultime réplique. Dans l'espace contemporain, la fille ne retrouve pas son père bien qu'elle ne l'ait jamais perdu, car il est censé être parti voir un match de hockey... Troublant.

Jean-Luc Lacuve, le 26/04/2015 (Merci à Anthony Bekirov pour sa critique .... dont je me suis pas mal servi)

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