Après la mort de son mari, Catherine, professeur de piano, vient s'installer dans le duplex de Charlotte, sa fille. Charlotte, écrivain, doit pondre un roman de commande érotique mais n'y parvient pas. Le duplex devenant trop petit pour les deux femmes, elles décident de le mettre en vente pour acheter une maison. Aidées par un agent immobilier, M. Popernick, elles rencontrent lors des visites un couple instable et une femme enceinte, plus attirés par la chaleur du lieu que par le lieu lui-même. De son côté, Charlotte cherche aussi un studio pour pouvoir s'isoler et écrire. Elle en loue un en compagnie d'une femme mystérieuse avec qui elle se partage les temps de présence.
Jean-Luc
Douin dans Le Monde :
" Il y a chez Chantal Akerman une sorte de dévotion pour la figure
maternelle, la sienne ayant vécu l'horreur des camps de concentration.
Comme toujours très inspiré de sentiments et de détails
autobiographiques, le scénario de Demain on déménage
cerne les relations d'une mère et de sa fille, l'une veuve et l'autre
éternelle célibataire, la première extravertie et la
seconde miséreuse en fantasmes. Tous charmes et bien-être déployés,
la mère est professeur de piano ; rebelle aux souvenirs et myope sur
le monde, la fille écrit, sur commande, des romans érotiques.
Le film, pied de nez, joue sur la subversion. La leçon de vie qu'il distille, l'entrain, la gaieté, l'espoir, sont incarnés par la génération des parents. La scène d'ouverture, où s'exhalent de ses lèvres soupirs, gémissements, signes d'extase et chuchotements censés commenter le trajet oscillant d'un piano suspendu dans les airs, insinue d'emblée que c'est Aurore Clément qui, en matière de plaisir, saurait de quoi elle parle. Elle finit par se construire des lendemains chantants avec un personnage aux 70 ans révolus, un agent immobilier qui a perdu toute sa famille dans les camps et qui traîne avec son fringant costume prince-de-galles un parfum de déprime. Ces deux "vieux" à l'âme de printemps sont entourés de "jeunes" aux abois : couples sombres, désassortis, au bord du divorce, femme enceinte de neuf mois mais ne désirant pas d'enfant... Chantal Akerman ne croit pas à l'amour, au romantisme ; elle ne croit qu'au désir et à l'affection.
C'est, outre son goût du jeu, ce qui l'amène à tourner en dérision le langage du sexe. La façon dont sa romancière cherche l'inspiration, épiant les conversations dans les cafés, happant des mots crus au passage, déformant les bruits, les échos, stimulant son imagination en montant le son d'un film porno, désamorce tout symptôme de volupté factice. L'un des bonheurs de ce film réside dans des dialogues délicieusement absurdes. Echange féministe : "On fait l'amour tous les jours ! - Vous aimez cela, alors ! - Non, on s'y fait !" Sociologique : "Je suis tout le temps amoureux ! - De qui ? - De personne. C'est un sentiment général." Ou digne de Pierre Dac : "Mon mari est fier quand je jouis. Pourtant, c'est moi qui jouis !"
troublant chassé-croisé entre la romancière à sec et une jeune bourgeoise fuyant le trop-plein de sa vie. Ensemble, elles louent un studio qu'elles partagent à mi-temps, l'une l'occupant le matin, l'autre l'après-midi. Cette situation, par laquelle Chantal Akerman fait l'apologie de la complicité féminine, débouche sur une substitution des rôles (le livre ne sera pas écrit par qui on croit), et rappelle le gag par lequel s'ouvre La Huitième Femme de Barbe-Bleue, quand Gary Cooper et Claudette Colbert se croisent dans un magasin et pressentent qu'ils sont peut-être faits l'un pour l'autre parce qu'ils veulent tous deux la moitié d'un pyjama (rayé), lui, la veste, et elle, le pantalon.
Chantal Akerman fait de l'humour (juif) avec ce qui l'obsède, la mémoire de la terreur. Dont les stigmates sont une valise, et le refus scandé d'aller sous la douche. Plus audacieux : l'un des personnages principaux de Demain on déménage est un poulet qui brûle dans un four et dégage une récurrente fumée. La hantise, d'ailleurs, de ne pas avoir à manger, la manie de vouloir remplir le Frigidaire, la routine du hamburger surgelé et de l'uf à la coque découlent du traumatisme des camps. On retrouvait cette obsession de la nourriture dans Jeanne Dielman (qui ne cesse d'éplucher des pommes de terre), dans Golden Eighties (où l'on parle sandwich, yaourt et fromage blanc), dans J'ai faim, j'ai froid...
Douleur de la Shoah, encore, dans cet appartement qui dégage une sale odeur de Pologne. Le déménagement est l'un des thèmes-clés de la cinéaste. Elle n'a cessé de filmer des personnages en zones de transit, jouant elle-même le rôle de la locataire en lutte contre le détraquement des objets, transbahutant meubles ou valises avec une démarche syncopée très chaplinesque. Son héroïne se prénomme Charlotte (féminin de Charlot).
Le burlesque est chez Chantal Akerman un moyen de conjurer la tristesse. Elle anesthésie le malheur par le rythme. Le déphasage des comportements de ses personnages comme ses allusions à la fumée des fours sont des défenses, un renversement par le saugrenu. Ses héroïnes veulent déménager par hantise de la réclusion. Leur décision de mettre leur appartement en vente provoque un joyeux défilé de visiteurs, façon Hellzapoppin. Les réflexions des uns et des autres sont reprises par la romancière-perroquet en un crescendo comique, tandis que fusent des répliques cocasses. Ici le monde est à l'envers, les fauteuils transitent du logis au trottoir, aller-retour, rien n'est érotique et tout l'est, même les doubles rideaux...
Les mots ne veulent parfois plus rien dire. "Faut que je réfléchisse
! - Moi aussi ! - A quoi ? - A rien !" Mais la convivialité triomphe.
La jeune mère accouche en public, dans une atmosphère bon enfant.
L'élan vital est sauf.
"
Jean-Luc Douin
Le plus fort, c'est que l'intimité de cette histoire ne m'est apparue que longtemps après. Moi, je croyais vraiment que j'avais écrit une comédie toute simple. Prenez l'histoire du four, par exemple. Ce four, c'est le mien, c'est celui que j'ai utilisé pour le film, et il se trouve qu'à chaque fois que je cuisine il répand de la fumée partout. Pour moi, c'était juste comique. Mais c'est vrai que quand on met toutes les choses ensemble, alors, effectivement, on peut penser à autre chose, à quelque chose qu'on ne soupçonnait même pas et qui remonte tout à coup à la surface de ce que vous avez filmé sans y mettre d'intention. Disons les choses comme elles sont : si j'avais voulu faire un film sur les camps, je m'y serais sans doute prise autrement.