A Bread Factory

2018

Genre : Drame social

(A Bread Factory Part One : For the sake of gold / Part Two : Walk with me a while). Avec : Tyne Daly (Dorothea), Elisabeth Henry-Macari (Greta), Nana Visitor (Elsa, la journaliste), Keaton Nigel Cooke (Simon), Zachary Sayle (Max, l'apprenti journaliste) James Marsters (Jason), Janeane Garofalo (Jordan, la cinéaste), Glynnis O'Connor (Jan, la traductrice), Nan-Lyn Nelson (Mavis, la secrétaire) Jessica Pimentel (Teresa, l'acrice pour Polyxène), Philip Kerr (Jean Marc, le béat), Amy Carlson (Grace), Trevor St. John (Karl, l'avocat), Brian Murray (Sir Walter), Janet Hsieh (May), George Young (Ray), Martina Arroyo (Sandra, la chanteuse), Chris Conroy (Trooper Jaymes, l'acteur célèbre), Erica Durham (Julie). 2h02.

Partie 1 : Ce qui nous unit. Dorothea et Greta ont la soixantaine. Avec quelques amis, elles  protestent avec des pancartes devant le nouveau centre d'art contemporain de la ville de Checkford. Il y a quarante ans, elles avaient transformé une usine à pain désaffectée en un espace dédié aux arts : La Bread Factory. Mais un couple célèbre d’artistes-performeurs chinois est arrivé en bénéficiant des largesses de la ville pour construire son nouveau bâtiment et menace de récupérer les subventions culturelles permettant de faire vivre la Bread Factory.

Elsa, journaliste locale, enquête sur cette surprenante arrivée. Son stagiaire, Max, est enthousiaste au sujet des nouveaux venus. Il montre à Elsa une vidéo virale des May and Ray ainsi que l'une de leur performance où le duo s'insurge contre la hiérarchie dans les meubles de salon. Leur performance, assez radicale, est  rythmée par des applaudissements préenregistrés.

Dorothea et Greta accueillent Jordan, une cinéaste venue présenter ses films et poursuivre leur réception avec des ateliers pour enfant. Elle est surprise que ce soit Simon, un enfant d'une douzaine d'années, qui soit le projectionniste. Lors de l'atelier, elle exige des enfants qu'ils soient fiers de leur travail ; qu'ils veuillent des couleurs éclatantes et pas de la boue; qu'ils refusent toute critique de leur oeuvre qu'ils doivent assumer avec enthousiasme. Du coup, Simon chez lui lors du repas du soir exige que le poulet soit super bon !

La séance du conseil municipal risque d'être défavorable. Greta et Dorethea vont voir chacun des membres de ce conseil pour connaitre leur point de vue et plaider leur cause. Elles soulignent à l'une qui aime le cinéma la rétrospective de Howard Hawks et à l'autre qui trouve la Bread factory pas assez prestigieuse que l'on y donne des opéras

Mais l'avocat de May and Ray ne reste pas inactif et menace à mots couverts Dorethea de dénoncer l'emploi de Simon comme contraire à la législation. Simon, qui a surpris la conversation, en est beaucoup affecté et refuse désormais de revenir au centre

Greta assure la mise en scène d'Hécube d’Euripide

Quand Max revient d'une séance des May and Ray où ont leur a pris les empreintes des pieds, Elsa lui reproche de reproduire servilement les expressions toutes faites du dossier de presse sans recul; sans se poser de questions sur le sens des mots et de la manipulation possible qu'ils induisent si les faits ne sont pas vérifiés.

Vient la grande séance du conseil municipal où doit être étudié la réallocation des crédits pédagogiques. Les May and Ray viennent faire leur performance en scaphandre spatial dont les antennes sont ornées de figurines reproduisant les cosmonautes. L'acteur célèbre aussi récite son discours. Contre toute attente, la présidente du conseil s'abstient et les subventions ne sont pas réallouées. Elle en voulait pourtant terriblement à Dorothea de la mort de son fils d'une noyade accidnetelle pour avoir plongé à la rechrche d'un feuillet théatral tombé à l'eau.

Greta conseille à Max, fils de la traductrice d’Hécube, victime d’un chagrin d’amour, de venir sur scène lire un passage de la pièce d’Euripide. La peine de cœur du jeune homme semble progressivement s’apaiser à mesure que sa voix prend de l’assurance et que l’émotion investit le texte. Consciente des vertus de la scène, la propriétaire des lieux lui lance chaleureusement : "D’ici, les choses semblent différentes."

Partie 2 : Un petit coin de paradis. Elsa est partie brusquement. Max se retrouve seul pour éditer le journal local. Un coup de fil à la banque le rassure; Elsa lui a laissé largement de quoi régler les factures. Il s'attelle à la tache mais son père, présentateur vedette de la télévision, refuse qu'il abandonne pour cela l'école en dépit de sa vocation evidente. Jan la mère tente de s'interposer entre les deux et invite son fils qui dort maintenant au journal seulement quand le père est absent.

Greta et Dorothea trouvent dans le café du mari de Mavis que Theresa, la serveuse, fera une excellente Polyxène, la fille d'Hécube. Julie accepte et son patron aussi.

Sir Walter et son ami critique discutent autour du Samovar. L'un racontant une histoire d'amour avec Tania, fille d'un médecin, passionné de théâtre, l'autre l'histoire d'un restaurant qui passa de main en main avec comme dernier propriétaire un jeune homme comme Max aujourd'hui qui bénéficie de la confiance d'Elsa, partie pour qu'il s'épanouisse.

Max a interviewé les May and Ray et révélé qu'ils venaient d'Australie et non de Chine. Plus grave, Ray est d'origine taïwanaise ce qui l'exclu immédiatement de toute caution par la Chine. May fait donc maintenant couple avec Ray first. May lui assure qu'elle lui est fidele mais il est jaloux et trouve son sort injuste.

Des touristes débarquent avec leurs perches à selfies et la gentille organisatrice leur fait croire ce qu'elle veut en chanson. Ils rencontrent aussi des agents immobiliers qui leur font la retape.

Greta joue Hécube le rôle titre dans la tragédie d'Euripide. Une esclave va découvre le corps égorgé de Polydore, dernier fils d'Hécube que celle-ci croyait sain et sauf car confié avec un grand trésor à Polymestor, roi des Thraces. Puis sa fille Polyxène est demandée en sacrifice sur la sépulture d'Achille. Ulysse vient la réclamer à sa mère qui le supplie de lui laisser sa fille, seul et dernier réconfort alors qu'il a été lui même sauvé autrefois par Hécube. Ulysse refuse et Polyxène préfère son sort à l'esclavage qui attend les filles de Priam.

Max vient annoncer à Dorothea que le conseil a voté en catimini la réallocation des ressources. Il vient de l'apprendre. Même sil avait été encore le représentant des élèves cela n'aurait rien changé. La bread factory va fermer. Dorothea est sonnée. Le soir de la première d'Hécube, il n'y a pas grand monde. Jan s'en étonne. Même Dorothea est absente. Jan apprend la mort de Sandra et s'effondre dans les bras de Greta : elle craint que son mari ne la quitte incessamment. Pourtant c'est lui qui l'attend à la sortie. Emue, il la félicite de son travail. Il n'a qu'une branche d'arbre ramassé dans la rue à leur offrir mais c'est réjouit que le couple rentre chez lui.

Dorothea vient ouvrir pour une des dernières fois la bread factory. Elle demande à Greta de se monter moins empathique avec sa douleur car cela ne la réconforte pas. Greta demande alors à Dorothea de lui raconter leur "histoire drôle". Tu te souviens m'avoir accompagnée tant de fois dans le malheur "oui" "je vais croire que tu m'a porté malheur !" Tous les habitants de Checkford suivent Greta et Dorothea qui s'en vont devisant de concert.

Le film est distribué en deux parties. Patrick Wang, venu le présenter au Café des images, s'est dit satisfait de ce choix car chacune des parties est différente. C'est vrai. Mais la seconde partie comporte beaucoup de remplissage (Les vieux autour du samovar, trois fois la séance de claquette, et deux fois les chants des agents immobiliers) et surtout ne se tient pas toute seule. Les caractères des personnages ont été définis dans la première et il ne se passe rien dans la seconde si ce n'est l'affirmation de la fin d'une époque. Un film plus ramassé en une seule partie aurait été bien plus émouvant. Sans doute producteurs et distributeurs ont-ils lorgnés sur le succès de Senses, film distribué en trois parties. Mais vouloir multiplier par deux les recettes sur le dos du public cinéphile n'était pas là une bonne idée.

Une première partie empathique et espiègle

L'enjeu dramatique du film porte, dans sa première partie, sur le vote du conseil municipal qui va réallouer, ou non, les crédits pédagogiques jusque là dévolus à la seule Bread Factory. Si le nouveau centre d'art contemporain s'en empare, c'en est fini de l'activité de ce centre multiculturel où représentations cinématographiques, théâtrales, picturales ou musicales et même séances de bricolage, sont accompagnés auprès des enfants.

Parallèlement à cette trame principale, on suit les relations amoureuses, sentimentales et familiales des participants ainsi que la mise en scène de l'Hécube d'Euripide. Les discours critiques, celui de la journaliste locale, celui du critique théâtral ont aussi leur place.

Le combat est moins celui entre l'art contemporain et ses performances parfois élitistes et mondialiste et entre l'art classique que celui d'un art aux mains de financiers prêt à tout pour étendre leur prestige et celui d'un art qui unit les participants dans une communauté joyeuse et humaniste.

L'engagement totale d'une génération... qui s'en va.

Dans la seconde partie, il s'agit davantage du passage de témoin entre une génération qui s'est battue jusqu'au bout et qui va pourtant devoir passer la main et la plus jeune, incarnée par Max ou les touristes. Les vieux devisent autour du samovar et se font mettre à la retraite avec comme perspective de garder un parking ou de se voir désavouer par le conseil municipal.

Les temps changent : ceux qui chantent ce sont les touristes décervelés, les agents immobiliers à l'affut d'un rachat de la grange de la bread factory et ceux qui échangent sur leur téléphone portable.

Patrick Wang, loin ainsi de proposer un "feel good movie", prend acte de la fin d'une époque en laissant à chaque camp, celui de la modernité heureuse et superficielle, et celui de la recherche de la vérité incarnée par le journalisme, sa chance pour demain.

Jean-Luc Lacuve le 15/12/2018 et le 12/01/2019