Shining

1980

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Genre : Fantastique

(The Shining). Avec : Jack Nicholson (Jack Torrance), Shelley Duvall (Wendy Torrance), Danny Lloyd (Danny Torrance), Scatman Crothers (Dick Hallorann), Barry Nelson (Ullman), Philip Stone (Delbert Grady), Joe Turkel (Lloyd, le barman), Anne Jackson (le médecin), Jana Sheldon (l'hôtesse). 2h26.

C'est encore l'automne sur les routes conduisant à l'hôtel Overlook, niché en haut des Montagnes Rocheuses du Colorado.

L'entrevue. Jack Torrance est reçu pour un entretien d'embauche dans le bureau du directeur de l'hôtel, Stuart Ullman. Celui-ci le prévient que Charles Grady, un précédent gardien a sombré dans la folie durant l'hiver 1970-71. Devenu subitement fou, il massacra sa femme et ses deux filles à coups de hache. Jack Torrance, homme instable, prétend que cette solitude lui semble propice pour commencer un nouveau livre et que sa famille va adorer le lieu. Pourtant, dans le Vermont à quatre heures de route de là, sa femme Wendy et leur fils âgé de cinq ans, Danny, ne semblent guère enthousiastes à l'idée de partir. Notamment "Tony" l'ami imaginaire de Danny. Jack confirme à Wendy par téléphone qu'il est embauché. Des visions sanglantes avertissent Danny et "Tony" des dangers à venir.

Jour de clôture annuelle. Les routes vont devenir impraticables pour cinq mois. Jack, Wendy et Danny discutent dans la voiture sur le trajet conduisant à l'Overlook. Danny a faim et Wendy parle du groupe Donner qui a dû recourir au cannibalisme.

Tout le personnel est prêt au départ. Les jumelles Grady apparaissent à Danny dans la salle de jeux. Le directeur de l'hôtel fait visiter son établissement au couple Torrance. La construction de l'hôtel a commencé en 1907 pour se terminer deux ans plus tard. Il est établi sur un ancien cimetière indien. Hallorann, le vieux chef-cuisinier noir, lui aussi médium, a deviné le surnom "Doc" de Danny et le don que le petit garçon possède. Il lui explique la nature de ce don, le "shining" : certains lieux conservent les traces du passé que ceux qui en ont le pouvoir peuvent sentir. L'hôtel Overlook est l'un de ces lieux. Danny lui demande brusquement ce qu'il y a dans la chambre 237. Hallorann lui répond qu'il n'y a rien mais le met sérieusement en garde : "N'y entre pas!" prévient-il.

Un mois plus tard. Danny explore l'hôtel sur sa voiturette. Après le petit-déjeuner, Jack doit se mettre au travail, mais l'inspiration semble lui manquer. Pendant ce temps, Danny et Wendy jouent à se poursuivre dans le labyrinthe végétal.

Mardi. Au cours d'une de ses explorations, Danny tente d'entrer dans la chambre 237, mais la porte est fermée. Les jumelles lui apparaissent en un flash. Wendy interrompt Jack dans son travail d'écriture. Furieux, il la chasse sans ménagement. Tandis que Wendy et Danny jouent dans la neige, Jack semble comme hypnotisé dans un état catatonique.

Samedi. Jack, apparemment inspiré, tape à la machine. Les lignes téléphoniques coupées par une tempête de neige, Wendy communique avec l'extérieur par radio. Au cours d'une promenade en voiturette, Danny rencontre à nouveau les jumelles Grady, qui l'invitent à jouer avec elles. Des visions fugitives des mêmes jumelles massacrées terrifient le garçon. "Tony" lui rappelle les mots de Hallorann : c'est comme les images d'un livre : ce n'est pas pour de vrai.

Lundi. Danny retrouve son père prostré sur son lit et lui fait part de son inquiétude. Jack répète les mêmes phrases que les jumelles : "J'aimerais que l'on puisse rester ici pour toujours". Danny sait que son père est malade et l'interroge sur sa certitude qu'il ne leur fera jamais de mal à lui et à sa maman.

Mercredi. Tandis que Danny joue dans un couloir, une balle de tennis roule jusqu'à ses pieds. Intrigué, il entre dans la chambre 237, dont la porte est entrouverte. Alors qu'elle vérifie la chaudière, Wendy est attirée par des cris venant de l'hôtel : Jack a fait un cauchemar, dans lequel il massacrait sa famille. Tony arrive alors et, à la vue des marques rouges sur le cou de son fils, Wendy accuse Jack de l'avoir blessé. Furieux, Jack rejoint le bar vide de la Gold Room. Soudain, des bouteilles apparaissent, ainsi que Lloyd, un barman qu'il semble connaître. Jack se confie à Lloyd en buvant du whisky : il avoue avoir blessé Danny il y a trois ans. Wendy accourt dans la Gold Room. Elle dit à Jack qu'une femme a agressé Danny dans la chambre.

A Miami, Hallorann regarde la télévisons qui parle de la grande chaleur en Floride à laquelle s'oppose le froid glacial du Colorado. Il est pris de transes... tout comme Danny. Tous deux semblent visionner Jack découvrant une jeune femme nue dans la baignoire. Lorsqu'il l'embrasse, elle se transforme en un cadavre putréfié de vieille femme. Jack prend la fuite.

Inquiet, Hallorann tente d'appeler l'hôtel. Jack, de retour dans sa chambre, dit à Wendy n'avoir rien vu dans la chambre 237. Danny a des visions sanglantes. Lorsque Wendy propose d'éloigner leur fils de l'hôtel, Jack quitte la pièce dans un accès de rage. Une musique attire son attention. Hallorann demande aux gardes forestiers de s'assurer que tout se passe bien dans l'hôtel. La musique vient de la Gold Room. Jack n'est pas surpris de la trouver pleine de clients habillés dans un style années vingt. Il commande un whisky, et Lloyd refuse son argent. Un serveur renverse un cocktail sur sa veste, et le conduit aux toilettes pour la nettoyer. Le serveur révèle son nom : Delbert Grady. Jack lui dit connaître son histoire. Grady dément et dit à Jack que c'est lui le gardien, qu'il l'a toujours été. Il le prévient que son fils possède un "don", grâce auquel il a appelé un "cuisinier nègre" au secours. Il lui conseille de l'en empêcher.

Jack sabote la radio alors qu'Hallorann est en route vers l'Overlook. Wendy, armée d'une batte de baseball, cherche Jack. Elle découvre qu'il n'a écrit qu'une phrase, répétée à l'infini : "all work and no play makes Jack a dull boy" (travail sans loisir rend Jack triste sire). Jack la surprend penchée sur son bureau. Furieux, il lui reproche de vouloir éloigner Danny de l'hôtel, et de ne négliger ses responsabilités de gardien. Wendy monte l'escalier à reculons, terrorisée par Jack qui menace de lui "éclater la cervelle". D'un coup de batte sur la tête, elle le précipite au bas de l'escalier. Wendy enferme Jack inconscient dans le garde-manger. Devant son refus de le libérer, il lui annonce qu'elle ne pourra pas fuir, car il a saboté la radio et le snowcat. Wendy le constate avec effroi.

16 heures. Delbert Grady libère Jack après lui avoir fait promettre d'éliminer Danny et Wendy. Hallorann approche de l'hôtel en snowcat. Danny, dans un état second, marche dans la chambre de ses parents en répétant "redrum". Il écrit ce mot sur la porte de la salle de bains. Ses cris réveillent Wendy, qui lit le mot inversé dans le miroir : "murder". Jack défonce la porte de la chambre à coups de hache. Wendy se réfugie dans la salle de bains, et fait sortir Danny par la fenêtre. Jack perce une ouverture dans la porte de la salle de bains mais n'entre pas, surpris par le bruit de l'arrivée du snowcat. Danny se cache dans un placard du rez-de-chaussée. Jack parcourt l'hôtel en boitant, à la recherche de ses proies. Hallorann entre dans l'Overlook et cherche les Torrance. Caché derrière une colonne, Jack le tue d'un coup de hache.

Danny perçoit le meurtre à distance et hurle de terreur. Jack l'aperçoit et se lance à sa poursuite. Errant dans l'hôtel, Wendy rencontre d'étranges fantômes. Danny court en direction du labyrinthe, Jack se lance à sa poursuite. Wendy découvre le cadavre de Hallorann, et croise un autre fantôme. Pour échapper à son père, Danny interrompt sa course et se cache derrière une haie du labyrinthe. Wendy voit l'ascenseur déverser des flots de sang. La ruse de Danny fonctionne : Jack perd sa trace. Le garçon rejoint sa mère devant l'hôtel. Tandis que Jack hurle à la mort, prisonnier du labyrinthe, Danny et Wendy s'enfuient en snowcat. Jack s'effondre, épuisé. Il meurt congelé dans le labyrinthe. Dans l'hôtel, un dernier travelling montre une photographie accrochée au mur : Jack, au milieu de clients en tenue de soirée. Le cliché porte une légende : "Overlook hôtel. July 4th Ball. 1921", suggérant que Jack a toujours été là.

Kubrick a appelé "la fausse route psychologique" de Shining celle qui fait d'abord croire aux spectateurs que tous les événements ont une explication rationnelle psychologique avant de confirmer, finalement, une indubitablement présence surnaturelle dans l'histoire. Car si Shining est une réflexion sur la famille américaine où mère, enfant et père ont chacun à lutter avec un labyrinthe pour se constituer, il possède aussi une dimension fantastique où entre en jeu la violence des pères fondateurs de l'Amérique.

Trois labyrinthes psychologiques.

Le premier labyrinthe est celui des cuisines de l'hôtel, vécu et énoncé comme tel par Wendy lorsqu'elle s'y promène avec Hallorann et Danny le jour de la fermeture. Hallorann la rassure néanmoins : on en sort vite et elle n'aura jamais rien à préparer ici. C'est un labyrinthe-prison associé à l'asservissement séculaire des femmes à la cuisine mais c'est aussi celui qu'elles dominent à la période moderne. Delbert Grady, le fantôme raciste et machiste venu des années 20, en fera la remarque à Jack lorsqu'il le délivrera de la resserre des cuisines où Wendy l'a enfermé : les femmes sont dorénavant pleines de ressources.

Le second labyrinthe est végétal et situé à l'extérieur. Là encore, c'est Wendy qui sera à l'initiative du premier parcours dans ce labyrinthe-jeu associé à l'enfance où elle apprendra à Danny à ruser avec les avancés et les retours. Celui-ci retiendra la leçon lors de sa fuite finale dans le labyrinthe, de nuit et sous la neige, où il vaincra son père.

Le troisième labyrinthe est celui, mental, dans lequel s'enferme Jack. Après un mois passé à l'hôtel et alors que commence le récit des jours vécus seuls par la famille, sa femme vient lui proposer de sortir jouer avec leur fils dans le labyrinthe. Il s'y refuse prétextant le travail qui l'attend. La mise en scène très soignée qui l'isole dans le reflet de la glace de la chambre montre déjà qu'il vit dans un espace séparé du quotidien de sa famille. Mais c'est le regard qu'il jette ensuite sur le labyrinthe qui est le plus révélateur. La maquette est d'abord présentée objectivement puis en plongée après un plan intercalaire montrant le regard de Jack sur elle. Le labyrinthe que voit Jack n'est pas celui de la maquette : il est plus compliqué et ressemble à une sorte de circuit électronique. Il présente le grand rectangle central de façon orthogonale à celui de la maquette.

Voir Photogramme dans son contexte
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Vision objective puis mentale du labyrinthe (voir : labyrinthe)

Jack s'enferme alors dans une dimension fantastique qui le met à la merci des fantômes démoniaques de l'hôtel qui n'ont de cesse de vouloir voir se répéter les crimes violents qu'ils ont commis.

Le shining de l'histoire.

Shining semble parler de l'Histoire et du rapport qu'entretient l'humanité avec elle. Le don du Shining pourrait être comparé à la conscience historique, à la faculté de voir des choses qui se sont passées il y a longtemps et de prédire ses effets sur le présent et l'avenir. En ce sens le fait que les visions de Danny soient "comme les images d'un livre" semble particulièrement pertinente. C'est parce qu'il accepte les impressions du passé et s'interroge sur le futur que sa mère et lui en réchappent.

En revanche, Jack ferme délibérément les yeux sur les épisodes troublants du shining notamment les incidents dans la chambre 237 qu'il aurait dû prendre comme un sérieux avertissement. Les reconnaitre reviendrait à renoncer à son ambitieuse quête de statut au sein du monde de l'hôtel. Plus simplement ceux qui n'ont pas conscience du statut de l'histoire sont condamnés à la répéter, tout comme Jack est condamné à un sort similaire à ceux des Grady, le Charles de 1971 et le Delbert de 1921.

La découverte de la photographie du bal du 4 juillet 1921 (au milieu d'un mur de 21 photographies), sur laquelle figure Jack, semble bien résoudre une énigme : ce personnage serait, comme les autres "fantômes" du film, une émanation du passé de l'hôtel Overlook ; au terme du récit, son masque serait ainsi arraché et son identité véritable révélée : l'insistance du plan sur son visage gelé dans le labyrinthe végétal trouve un équivalent avec le travelling avant et les fondus enchaînés sur la photographie comme une autre forme d'image gelée.

Pourtant, aucune explication claire n'est fournie au spectateur et le mystère du film reste entier. Pour le résoudre, on reprendra la thèse de Francisco Ferreira, spécialiste de l'analyse de Shining. Cette thèse nous fait remonter le temps : de 1921 à 1907 puis 1834. Le 4 juillet, fête nationale, fait signe comme date anniversaire. Le bal commémore tout ce qu'il a fallu, crimes compris, aux classes dominantes de la société et à leurs valets pour imposer leur histoire de l'Amérique. L'année 1921 est celle où s'est répèté contre les noirs un crime commis en 1907 contre les Indiens sur le même territoire, l'Oklahoma, dont l'hôtel est par sa proximité, devenu la métonymie.

Le 31 mai 1921, en effet, un cireur de chaussures noir, Dick Rowland, est accusé à tort par un journal local, The Tulsa Tribune, d'avoir agressé, la veille, une femme blanche, nommée Sarah Page, dans un ascenseur qu'elle était en train de réparer… Le Ku Klux Klan appelle au lynchage de Rowland. Le soir même, Blancs et Noirs convergent vers le tribunal de la ville. Là, au cours d'une altercation, un Blanc est tué. C'est le point de départ de l'émeute raciale la plus importante de l'histoire des États-Unis : 1400 bâtiments appartenant à des Noirs sont brûlés, et nombre d'entre eux meurent dans le feu, par pendaison ou sous le coup des balles des Blancs (le nombre de morts varie selon les sources : celui que les experts retiennent aujourd'hui est d'environ 300).

Or Tulsa est en Oklahoma, état qui, par sa constitutio,n même a coïncidé avec l'abolition de l'Indian Territory en 1907. Cherchant à prendre possession des terres indiennes à l'Est du Mississippi, le gouvernement des États-Unis adopte une politique de déplacement des Indiens qui les repousse vers l'Ouest. L'Indian Intercourse Act définit ainsi en 1834 les limites d'un territoire octroyé aux cinq tribus civilisées : l'Indian Territory, lequel correspond approximativement à l'actuel état d'Oklahoma (état situé au sud-est du Colorado, dans lequel se déroule l'action du film, et qui partage une frontière avec lui). On appelle " Piste des Larmes " (Trail of Tears) la migration forcée des tribus amérindiennes vers l'Indian Territory. Mais les Indiens, à peine installés sur leur nouveau territoire, deviennent un obstacle à l'expansion américaine vers l'Ouest… En 1907, l'Indian Territory disparaît avec la fondation de l'état d'Oklahoma. Les Indiens opposent, en vain, une vive résistance à cette décision.

L'espace-temps de l'hôtel renvoie ainsi finalement à la spoliation des terres amérindiennes par métonymie (l'Oklahoma est voisin du Colorado) et par synecdoque (le cimetière indien et l'Overlook valant alors pour l'ensemble du territoire américain) et aux crimes commis contre les Afro-américains. C'est peut-être leur sang versé que l'ascenseur de l'Overlook fait remonter des profondeurs de la terre. Ce sang désigne la culpabilité trop facilement oubliée et qui ne demande qu'à couler encore dans l'espace intime.

L'inquiétude expressionniste

Jack a donné une réalité à ses cauchemars (il avoue à Wendy l'avoir tuée ainsi que Danny, dans ses rêves), et s'il l'a fait, c'est sans doute qu'il n'a pu sublimer ses instincts en écrivant son roman. Enfermé, isolé, un intellectuel (un ex-professeur) qui se voudrait artiste ne peut réussir à créer. L'angoisse de la page blanche aboutit à cette phrase inquiétante tapée à l'infini : "all work and no play makes Jack a dull boy" (travail sans loisir rend Jack triste sire). En exigeant de ses acteurs un jeu outré et grimaçant, Kubrick systématise son travail sur le visage humain transformé en masque et explore les mécanismes de la peur et de la violence.

En perpétuelle recherche d’expérimentations, Kubrick décide d’utiliser la Steadicam, une caméra fixée sur harnais qui permet des mouvements d’une fluidité inédite renforçant le sentiment d'inquiétudes et de menaces.

 

Autres Développements

La Warner a édité un somptueux coffret DVD où Shining et Eyes wide shut sont proposés au format 1.85 et non au format du négatif, 1.37. Il est curieux que cette pratique ne soit pas dénoncée par tous ceux qui pensent que le cadre d'un film est primordial. Voir les différences :

format d'origine 1,37
Format 1:85, haut et bas tronqués
récupération sur la largeur gauche de la piste sonore du 1.37

Pour Michel Ciment Shining présente de troublantes analogies avec 2001, l'œuvre antérieure de Kubrick. Ainsi, sa structure narrative obéit-elle aussi au nombre quatre, même si le rapport temporel entre les parties est singulièrement différent. Le premier mouvement présente un paysage grandiose de montagnes, de forêts et de lacs dans lesquels les personnages sont perdus, écrasés, dominés (l'aube de l'humanité). Le second mouvement, dans l'hôtel Overlook, voit le directeur confier à Jack une mission, celle de veiller pendant plusieurs mois sur son établissement. Même cordialité convenue, mêmes rapports sociaux stéréotypés que, sur la lune, dans les scènes qui précèdent le départ du Discovery. Le troisième mouvement enferme nos trois passagers dans un lieu clos, isolé du monde où ils doivent s'occuper des machines et communiquer à l'extérieur par téléphone par message radio avant que le système de transmission soit déréglé. L'Overlook comme l'astronef, permet à Kubrick de combiner les sensations contradictoires d'agoraphobie et de claustrophobie, et à ses personanges de se livrer aux jeux et aux sports (Danny avec son tricycle et ses fléchettes, Jack avec sa balle) avant que le responsable numéro un ne sombre dans la folie. Le quatrirème mouvement enfin, sans paroles comme le premier, est un voyage d'initiation, de mort et de transfiguration, cette fois à l'intérieur du labyrinthe et qui s'achève dans le passé, avec une musique nostalgique des année 20. Cette chanson renvoie à l'atmosphère fitzgéraldienne où se complait l'écrivain alcoolique, comme la valse de Johan Strauss en conclusion de 2001 évoquait l'époque révolue d'une Vienne légère, grisante et au bord du gouffre.

A la réduction progressive de l'espace et du temps objectifs (des montagnes à l'hôtel, puis au labyrinthe ; des mois aux jours puis aux heures) correspond une expansion du temps et de l'espace intérieurs.

Quelques années plus tôt, Jack, dérangé dans son travail par Danny, lui avait démis l'épaule dans un accès de colère. Ce geste castrateur conduit Danny à s'inventer un double qui parle par sa bouche.

"Le double était primitivement une assurance contre la destruction du moi, un énergique démenti à la puissance de la mort" (Freud Essais de psychanalyse appliquée (collection idées) Gallimard, paris1971, 254p.

Mais si, pour l'enfant, le double est une garantie de survie, une protection, il devient pour l'adulte (ainsi qu'en témoigne la schizophrénie progressive de Jack, soulignée par son reflet dans le miroir) un inquiétant signe avant-coureur de la mort. Poussons plus loin l'analyse : le don de double vue que possède depuis quelque temps Danny n'est-il pas une autre manifestation du rapport substitutif qui se manifeste dans les rêves, les fantasmes et les mythes, entre les yeux et le membre viril ? Si la crainte pour les yeux est, comme le veut Freud, un substitut fréquent de la peur de la castration, une double vue n'est-elle pas alors l'expression d 'une survirilité venant s'opposer à la volonté destructrice du père, et conduisant celui-ci en un cycle infernal à une fureur exterminatrice encore plus prononcé.

Ainsi, à la fusion cosmique proposée par 2001, Shining répond par la victoire du fils, une seconde naissance à l'age adulte. Danny en abolissant l'espace et le temps, en créant un monde parallèle qui se substitue au monde réel, obéit à une fonction imaginante qui est celle de tout metteur en scène. Il représente aussi la victoire du visuel sur l'écrit, la fécondité de l'enfant face à la stérilité du père.

Shining fait donc des rapports affectifs à l'intérieur de la famille le centre de son propos. Le home du foyer, agressé de l'extérieur dans Orange mécanique (M. Alexander l'écrivain, victime de son double Alex) devient avec Barry Lyndon, Shining et plus tard Eyes wide shut, le lieu intérieur de tous les conflits. Dans Shining, Jack, obsédé jusqu'à l'angoisse par la rivalité de son fils (toujours plus attaché à sa mère avec des retours d'affection vers son père), sera conduit à la folie et à la mort. L'enfant, si menaçant que puisse se montrer le père, finit une fois de plus par l'emporter.

Bibliographie :