La villa

2017

Genre : Drame social

Avec : Ariane Ascaride (Angèle), Jean-Pierre Darroussin (Joseph), Gérard Meylan (Armand), Anaïs Demoustier (Bérangère), Robinson Stévenin (Benjamin), Yann Tregouët (Yvan), Jacques Boudet (Martin), Geneviève Mnich (Suzanne), Fred Ulysse (Maurice) .

Un vieil homme accoudé à la terrasse d’une villa dominant la calanque de Méjean regarde la mer scintillante à l’horizon. Il prononce un "tant pis" et s'assoit sur son fauteuil pour allumer une cigarette. La mer se reflète dans la porte-fenêtre derrière lui mais après quelques bouffées, il est pris de convulsions. Il tente vainement de s'accrocher à la table mais son cœur flanche et il s'écroule. La fumée s'élève du cendrier.

Le vieil homme, Maurice, a été victime d’une attaque. Il est dorénavant cloué au lit dans sa villa, soigné par son fils Armand qu'à rejoint son frère Joseph. Angèle, leur sœur, débarque d’un taxi, valise à la main. Elle est revenue pour le partage et c'est tout dit-elle à Armand, heureux de la retrouver. Joseph l'accueille aussi sur le balcon de la maison d'un tendre "ma petite sœur chérie'. Il lui présente sa "trop jeune fiancée", Bérangère.

Angèle, actrice de théâtre itinérante et de quelques téléfilms, a rompu avec sa famille après l’accident qui, vingt ans auparavant, a coûté la vie à sa fille, confiée aux soins de son grand-père. Armand lui n'a pas bougé. Il a repris le restaurant du père. Il s’obstine, par fidélité filiale autant que par idéal, à faire une cuisine généreuse à petits prix pour les gens qui n'ont pas beaucoup d'argent. Joseph, toujours ironique, amer et drôle est devenu cynique depuis un licenciement qui l'a laissé avec de belles indemnités mais sans emploi. Bérangère qui travaille dans la communication, semble lasse de sa déprime et en ce premier petit matin, le plante pour aller courir.

Pourtant, Bérangère s'émerveille du calme qui règne dans cette anse magique en plein hiver. Ils ont pour seuls voisins les amis du père, Martin et Suzanne, qui contribuèrent à la construction de la maison de leur ami. Ils louent un cabanon à l'année dont le propriétaire leur a imposé, il y a quelques mois, le triplement de leur loyer. Leur fils, Yvan est un médecin à la fibre entrepreneuriale qui est dorénavant à la tête d'un réseau de laboratoires implantés dans plusieurs pays d'Europe. Fils aimant, Yvan voudrait leur payer ce loyer mais Martin et Suzanne refusent. Ils veulent rester fidèles à l'esprit de leur ancien propriétaire, bafoué par ses enfants, qui leur avait promis un loyer modeste à vie. Ils ne veulent pas renoncer à leur îlot d'ancien monde, entourés qu'ils sont de touristes qui rapportent en quelques semaines de locations d'été bien plus que leur modeste loyer annuel. Yvan s'inquiète de cette crispation mais veille sur leur santé et les fournit en médicaments.

Dans la chambre de Blanche, Angèle pleure sur le souvenir de sa fille, morte noyée alors qu'elle aurait dû être surveillée par son grand-père.

Le soir, tous se retrouvent au restaurant, "Le Mange-tout". Lorqu'Yvan vient les retrouver, il suscite l'intérêt de Bérangère qui lui emprunte sa moto.

Le matin, en se promenant sur le port, Angèle croise Benjamin, un jeune pêcheur qui n'est jamais parti d'ici. Il pressent qu'elle le méprise un peu pour cela et elle lui répond par une tirade sur le théâtre qu'elle à la surprise de le voir la continuer car Benjamin aussi connait bien son Paul Claudel.

Le soir, Angle refuse que sa part d'héritage soit supérieure à celle de ses deux frères. Le père avait décidé de lui accorder une part d'un quart supérieur comme une sorte de réparation de la mort de Blanche. Armand lui raconte alors les circonstances de la mort de sa fille. Le père se réjouissait avec lui et Martin de la fin des travaux de la villa. Blanche dormait sur un fauteuil derrière eux dans le salon. Elle était partie chercher sa poupée pour se rendormir et pour cela grimpa dans le bateau amarré près du port. C'est là que, la poupée étant tombée à l'eau, elle se noya alors que le grand-père venait juste de constater sa disparition du salon.

Angèle, confite dans sa douleur, décide de passer la nuit dans la chambre de Blanche. Le matin, elle raconte à Joseph avoir pu enfin pleurer toute la nuit. Celui-ci va à la rencontre de son frère sur la colline. Armand trace des petits sentiers pour éviter les incendies et donne eau et nourriture aux animaux.

Le soir au restaurant, Benjamin déclare qu'Angèle a changé sa vie. Enfant, son père l'emmena voir La bonne âme du Se-Tchouan au théâtre. Il sentit pour la première fois qu'il pouvait être un autre et tomba amoureux d'Angèle, son actrice principale. En raccompagnant Angèle le soir, Benjamin lui avoue aussi que depuis ce jour, il est fou d'amour pour elle. Angèle le repousse. Comme il insiste, joyeux, elle le gifle. Le matin, Benjamin vient lui offrir un bouquet de roses.

Le temps se gâte. Martin et Suzanne font leur adieu à Maurice puis s'en vont sous la pluie. Le soir, des militaires envahissent la rade : des débris d'un bateau de migrants se sont échoués sur la côte. Le ton monte entre le militaire et les convives qu'il traite de bourgeois.

Le matin, Martin et Suzanne prennent les médicaments qu'ils ont patiemment accumulés pour leur suicide. C'est leur fils, Yvan, qui les découvre. Tous s'en vont fumer sur le balcon. Ils aperçoivent un yacht flambant neuf et ses occupants minces, riches et glaçants qui désignent les maisons de la rade comme autant de proies à saisir. Leur vient le souvenir de leur jeunesse, vingt ans plus tôt, où ils parcouraient la rade pour jouir du soleil, de la mer et des chansons de Dylan et non avec des projets immobiliers en tête.

Angèle rejoint Benjamin chez lui. Elle voit les affiches de ses principaux spectacles et se donne à lui dans le noir. Le lendemain, Armand, tout en s'étonnant de la disparition des pots de confiture, constate qu'Angèle a dormi chez Benjamin. D'ailleurs elle sort avec lui en mer.

Armand et Joseph travaillent à éclaircir les petits chemins. Sur le chemin du retour, ils suivent une enfant qui les conduit dans la cabane improvisée où elle s'est réfugiée avec ses deux frères. Les deux hommes leur donnent leur veste et les ramènent à la maison.

Yvan est appelé pour les examiner mais ils n'ont besoin que d'un bain et de repos. Les deux frères refusent obstinément de se lâcher la main. On doit découper leurs vêtements aux ciseaux. Joseph trouve le moyen de les rhabiller en leur joignant leurs deux autres mains de libre avant de leur faire lâcher leurs deux autres mains serrées.

Bérangère embrasse Yvan et promet de le retrouver à Londres. Elle quitte avec affection Joseph, son professeur d'autrefois qu'elle admira pour sa révolte et qui n'a plus le souffle pour courir après elle. Bérangère remet à Angèle le manuscrit du livre qu'il n'a pas pu encore publier. Joseph le lui affirme : il a trouvé le ton juste pour parler de sa vie et il va s'atteler à la tache. Il cessera de n'être qu'un beau parleur.

En sortant se promener tous crient leur nom sous le viaduc. Même les enfants hurlent le nom de leur petit frère mort. Le père semble les entendre. Est-ce si étonnant : n'est-ce pas cela qui peut revitaliser ses rêves d'autrefois ? 

La villa est un film de vieux résistants qui acceptent l'évolution du monde sans en partager ses nouvelles valeurs. Aux rappels violents de la beauté du passé se superpose la vision plus douce du conte.


Des flashes-back collectifs

La mort est partout présente dans la calanque de Mejean : mort du père qui s'annonce et qui réunit la famille ; mort de Blanche, la petite fille d’Angèle, vingt ans auparavant ; suicide de Martin et Suzanne, les deux seuls voisins de l'hiver ; fin du couple que forme Joseph et Bérangère ; mort d'un quartier populaire, envahi par les promoteurs et les touristes ; mort de l'hospitalité due aux migrants quand les militaires les voient comme des terroristes potentiels ; mort des idéaux de gauche, quand la jeune génération, le cœur à gauche mais la tête à droite, pense communication pour touristes et réseau d'officines pharmaceutiques.

Le passé, la plénitude, reviennent par à-coups, comme des flashes violents. L'arbre de Noël qui surgit sans crier gare et dont on comprend qu'il s'agit d'un flash-back rêvé par Maurice et Joseph. Le texte sur le théâtre est vu d'abord comme une provocation méprisante d'Angèle vis à vis de Benjamin avant de saisir qu'il s'agit d'un texte de Claudel. Que Benjamin le connaisse apparait comme un artifice de scénario un peu gros avant de comprendre que le jeune homme vit dans l'admiration de cette femme et a consacré ses loisirs à jouer des pièces classiques devant les enfants des banlieues déshéritées de Marseille parce qu'Angèle lui en révéla la magie enfant.

Angèle trouvera ensuite les affiches de ses spectacles chez lui quand elle viendra s'abandonner à son amour. Plus émouvant encore le regard de compréhension que jette la jeune refugiée sur ces affiches comprenant la force du lien qui unit désormais Angèle à Benjamin. Flash sur le passé totalement assumé avec l'extrait de Ki lo sa ? (1985) où les mêmes acteurs filaient sous un soleil d'été, cette fois sur la musique entêtante du I want you de Dylan vers cette même calanque de Méjean. Ils parcouraient la rade pour jouir du soleil, de la mer et de la musique et non avec des projets immobiliers en tête. Que cette mémoire d'un passé ressurgisse juste après l'arrivée des prédateurs immobiliers dit que la résistance est encore possible, quand, comme là, le retour est collectif, chacun pensant à ce passé sur cette terrasse où ils fument une cigarette.

Ce collectif est aussi présent par les jeux de regards entre des acteurs personnages qui connaissent parfaitement leur rôle et leur partition propre au sein de la fratrie. Il est même possible d'atténuer la blessure profonde de la perte de l'enfant quand il est donné la chance miraculeuse d'en retrouver un autre. Ici ce sont trois enfants que retrouve Angèle

Un conte assumé

Aux rappels violents de la beauté du passé se superpose la vision plus douce du conte notamment par le soin apporté à la lumière. Ainsi de l'éclairage théâtral, irréaliste et cruel sur le fauteuil de Blanche (avec en arrière-plan les hommes qui discutent sur la terrasse) qui va chercher sa poupée pour dormir et en mourra. A contrario, il faudra le noir total pour qu'Angèle se donne à Benjamin. Ces moments sont toutefois des exceptions au sein des lumières magnifiques des matins ou des soirs d'hiver ou d'une nuit sur le port éclairé ou bien enfin sur l'aube qui voit les animaux se nourrir et faire leur toilette. Le retour d'enfants trop beaux pour être vrais participe aussi du conte avec ses bricolages : la nourriture de grains de blé mélangés à de la confiture ou les mains serrées des deux petits frères obligeant à découper leurs habits

Le combat pour sauvegarder des valeurs en plein coma est peut-être désespéré, relevant d'une résistance d'un autre temps ou du conte mais Guédiguian est prêt à poursuivre ce combat. Reprendre la magie du théâtre, celui de Brecht que Benjamin vit au travers de ses yeux d'enfant et ne rien lâcher. Choisir la bonté dans un monde qui n'en comporte pas, choisir d'être juste dans un monde qui ne l’est pas.

Jean-Luc Lacuve, le 9 décembre 2017

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