Divines

2016

Festival de Cannes 2016, Quinzaine des realisateurs, caméra d'or Avec : Oulaya Amamra (Dounia), Déborah Lukumuena (Maimouna Camara), Kevin Mischel (Djigui), Jisca Kalvanda (Rebecca), Yasin Houicha (Samir), Majdouline Idrissi (Myriam), Majdouline Idrissi, (Myriam, la mère), Bass Dhem (Monsieur Camara), Farid Larbi (Reda), Wilfried Romoli (Rachid). 1h45.

Dounia vient relancer d'un sms sa copine, Maimouna Camara, qui écoute le sermon de son père, iman d'une mosquée implantée dans la cave d'un immeuble de banlieue. Dounia aimerait qu'elle soit avec elle pour surveiller le trafic de drogue qui s'est institué à proximité. Un peu plus tard, les deux filles volent quelques denrées dans le supermarché d'une galerie commerçante et échappent aux vigiles par les gaines d'aération du bâtiment qui communiquent avec les cintres du théâtre. En contrebas sur la scène, un chorégraphe fait passer des auditions aux jeunes gens du quartier, ce qui suscite l'ironie de Maimouna qui ne leur trouve pas assez d'âme.

Au lycée, Dounia est sensée user de son beau sourire pour un exercice de mise en situation pour le BEP d'hôtesse d'accueil. Comme la professeure ne lui épargne aucune faute pour un exercice convenu, Dounia laisse éclater sa colère. Elle oppose son désir d'argent (money money) à la petite vie rabougrie de sa professeure. Celle-ci renvoie Dounia de la classe.

En ayant observé une nouvelle fois le trafic de drogue, Dounia voit la cheffe du gang local, Rebecca, remettre de la cocaïne à Samir. En passant par la mosquée, Dounia découvre la cachette de celui-ci dans un couloir de la cave et s'en empare. Le soir, Dounia aide sa mère, Myriam, serveuse dans un bar tenu par son amant. Mais Myriam, trop saoule, finit par excéder tout le monde à commencer par le patron qui la plaque et la met dehors.

Dounia rejoint son domicile en passant au travers de la forêt où s'est établi un camp de Roms. Sa mère est effondrée par les conséquences de la soirée de la veille. Dounia lui confectionne une douche de fortune.

Dounia et Maimouna sonnent chez Rebecca et sont accueillies par son bel amant. Les deux filles lui remettent le sachet de cocaïne. Rebecca est un peu excédée qu'elles aient volé son postier mais trouvent qu'elles "ont du clito" et leur promet qu'elles pourront travailler pour elle. Samir enrage bientôt de voir les deux filles remplir le réservoir de sa voiture avec de l'essence volée. C'est d'ailleurs ce premier travail que leur confie Rebecca : avec laide d'un scooter voler un dépôt d'essence. Dounia a affirmé savoir conduire un tel engin mais elle doit s'entrainer un peu, avec les conseils parfois excédés de Maimouna, avant d'y arriver. Les deux filles vont ensuite voler le dépôt d'essence dans un entrepôt déserté.

Rebecca remet 20 euros puis un iphone 6S à Dounia qu'elle charge de remplacer Samir comme postier du quartier. Mais les débuts ne sont pas reluisants, bien loin des vidéos de sexe et de fric en Thaïlande qui font rêver les jeunes du quartier. Les deux filles s'inventent ainsi une balade en Ferrari ou l'environnement sonore d'un univers de rêve, de drague et d'argent, se superpose à celui de la place du quartier.

Du haut des cintres de leur quartier général, les deux filles ont vu apparaitre avec stupeur un nouveau danseur, beau, capricieux et doué, Djigui, le vigile du supermarché. Par jeu, elles lui crachent dessus. Mais celui-ci s'en aperçoit et poursuit Dounia jusqu'à la passerelle perchée au centre des cintres. Dounia s'y engage sans peur et nargue son poursuivant qui s'y aventure mais glisse et se trouve en position périlleuse. C'est Dounia qui avec calme, force et sang froid le sauve. Les deux jeunes gens sont marqués par ce sauvetage qui les a contraint à s'enlacer.

Un client drogué tente de voler Dounia qui prend des coups mais refuse de rendre l'argent. Elle gagne ainsi le respect de Rebecca. Cette fois l'argent coule à flot et Dounia offre du parfum à sa mère tout en pouvant s'acheter des vêtements de luxe. Elle filme aussi son beau danseur qui, sur scène, se sachant observé, la drague ouvertement. Rebecca a toutefois un projet dangereux qu'elle soumet à Dounia : séduire Rada, un pervers friqué, amateur de jeunes femmes pour lui voler chez lui 100 000 euros. Dounia a aussi un autre souci : son magot planqué dans les cintres a été volé. elle est toutefois persuadée que Djigui en est responsable même si dans la lutte avec celui-ci elle ne parvient pas à le trouver dans ses affaires

Samir la conduit en boite sur les Champs-Élysées et, toute de blanc vêtue, Dounia n'a aucun mal à retenir l'attention de Rada. Mais Samir n'est pas au rendez-vous fixé pour le départ et Dounia doit rentrer en taxi. Dounia découvre qu'il a décidé de baiser sa mère pour se venger d'elle. Dounia explose tant son traumatisme profond, être une bavarde ressurgit alors. Elle parcourt la ville en scooter fait flamber la voiture de la mère de Samir et nargue pompiers et policiers qui tentent vainement d'intervenir dans le quartier. Après une course poursuite Dounia et et Maimouna sont arrêtées.

Au commissariat, où elles sont relâchées, Les Camara avertissent leur fille, Maimouna, qu'elle ne reverra plus jamais Dounia. Celle-ci abandonne sa mère, désespérée, pour rejoindre Rebecca. Celle-ci est portant furieuse de cette arrestation avec son inévitable publicité néfaste pour son trafic et débarque Dounia sur le trottoir. Dounia assiste à l'audition de Djigui qui lui remet l'argent et l'invite le samedi pour la première du spectacle qui va changer sa vie. Dounia se laisse séduire et l'accompagne dans le magasin où ils font la fête et deviennent amants.

Mais Rada la rappelle et Rebecca exige qu'elle se rende chez lui le prochain samedi. Dounia est effrayée et vient chercher réconfort aupres de Maimouna. Chez Rada, Dounia fouille ses tiroirs quand il est sous la douche. Il la surprend et al roue de coup. Au même moment, Djigui danse. Couverte de sang, Dounia a néanmoins le dessus sur Rada, le tue et découvre les 100 000 euros. Elle décide de prendre le TGV et de dire un dernier adieu à Maimouna. Sur le quai de la gare de Lyon, elle croise Djigui mais n'a pas le temps de rêver. Maimouna est retenue prisonnière par Rebecca et Samir. Elle file à son secours mais hésite à dire qu'une partie de l'argent est chez sa mère. Rebecca met le feu au local qui s'embrase plus vite que prévu et tous doivent fuir par le soupirail. Maimouna, trop grosse, reste coincé. Les pompiers auquel on a interdit d'intervenir sans la protection de la police, ne peuvent la secourir. Le local explose et les Camara voient dans les yeux de Dounia que leur fille est morte. Devant cette tragédie, le quartier s'embrase et combat la police. Du haut du ciel, la lune, œil de Dieu, contemple le carnage.

Les presque deux heures du film sont à l'image de son générique. Il promet une célébration de l'énergie pulsionnelle avec son image granuleuse saisie au téléphone, ses cadres resserrés, verticaux ou horizontaux selon les deux axes de lecture possibles des téléphones. Mais son fond de musique liturgique signifie une ambition plus grande mais aussi plus conventionnelle qui se trouve confirmée  par une image plus classique au format scope au début de la narration.

Un film de banlieue vu du ciel

La cité,  labyrinthe de béton, est un territoire que maitrise parfaitement Dounia qui se balade avec aisance des caves d'une mosquée aux cintres d’un théâtre  en passant par les gaines d'aération d’un supermarché. Même la grande cour entourée d'immeubles jamais ravalés peut se transformer pour elle en côte chic d'une station balnéaire thaïlandaise. Et même sa périphérie proche (bar glauque, camp de Roms) ou plus lointaine (boite de nuit sur les Champs-Élysées) ne lui fait pas peur.

L'agilité des jeunes filles donne de la grâce à ces parcours dans des lieux qui n'ont pourtant rien pour eux. Leur énergie à confectionner une douche de fortune, le rêve sonore d'une plage thaïlandaise magnifie des lieux d'errance et de trafic louches. Cette transfiguration des lieux est emportée par une musique religieuse (Haendel) et lyrique (Vivaldi). Cette affirmation d'une transcendance dont est dépourvue le réel prosaïque est redoublée par les plans sur le dieu chrétien dans une église où Dounia demande pardon des trafics de drogue et d'argent qu'elle accomplit. Il en est de même des remarques de Maimouna sur l'œil du prophète qui la surveille depuis la lune.

La soif de réussite des jeunes filles est ainsi pris dans une dimension qu'elles ne maitrisent pas et qui préfigure leur fin tragique. Comme dans Scarface ou Le Parrain, pulsions et sublimations sont convoquées pour une danse macabre ou tout espoir est brulé par les flammes.

Ce qui relève de la pulsion est pourtant bien saisi : la première étreinte en haut des cintres entre Djigui et Dounia ; la joie du cadeau, l'ipnoe6S, reçu de Rebecca; l'apprentissage du scooter; le parfum offert à la mère. La force exceptionnelle de Dounia est révélée au milieu du film par sa crainte de n'être jamais qu'une bâtarde.

Un nappage indigeste par le cinéma de genre

En revanche, la volonté d'inscrire un film de banlieue dans un canevas de thriller américain pour séduisante qu'elle soit empêche de rester au plus près des pulsions initiales qui, dès lors, ne sont plus guères traitées ou développées.

L'inscription dans un scénario rend le film laborieux (trop long) trop classique (montage alterné coups reçus / danse physique), et inutilement moraliseur (Dounia a caillassé les pompiers et policiers; elle ne pourra en attendre de l'aide quand son amie est en danger de mort). Les scènes sur les Champs-Élysées sont brillantes: sortie en décapotable, danse sensuelle de Dounia, en blanc, cheveux défaits; bain d'euros mais rien de bien original : l'ensemble  lorgnant par trop du côté de Martin Scorsese.

On rapproche souvent à un premier film de mettre trop de soi. Cette fois c'est le trop de formes qui nuit à ce qu'il aurait pu avoir de plus troublant. Le nappage glacé du cinéma de genre éteint les pulsions et moralise inutilement le parcours des divines Dounia et Maimouna.

Jean-Luc Lacuve le 31/08/2016