Léonard de Vinci quitta Milan en 1499 alors que l’armée française pénétrait en Italie. En route pour Venise, il s’arrêta à Mantoue et réalisa à la demande d’Isabelle d’Este cette esquisse d’un portrait qui ne fut jamais peint. Ce dessin extrêmement célèbre est, malgré un état de conservation médiocre, l’une des plus belles interprétations du demi-portrait en buste dans l’œuvre de Léonard. C’est également le seul exemple de dessin rehaussé de plusieurs pigments colorés de la main du maître. Pierre noire, sanguine et estompe, craie ocre, rehauts de blanc sur le visage, la gorge et la main. Un premier tracé à la pierre noire est visible dans plusieurs parties : visage, chevelure, voile sur le front, cou, vêtement qui recouvre la gorge, épaule gauche. Légère préparation blanche du papier sur les parties supérieures droite et gauche.
Depuis 1498, Isabelle d’Este cherchait à obtenir une image d’elle-même, peinte, sculptée ou frappée, qui la satisfasse. Elle voulait choisir parmi les meilleurs peintres de l’époque celui qui excellait dans l’art du portrait et, au-delà, attirer près d’elle les personnalités les plus éminentes. Il s’agissait avant tout de trouver un peintre capable de contrefaire parfaitement le naturel ; le choix se porta sur Léonard. A Venise, Léonard de Vinci présenta à son ami, Lorenzo da Pavia, le portrait d’Isabelle. Le 13 mars 1500, Lorenzo écrivit à la marquise ces quelques mots : « … Léonard de Vinci se trouve à Venise, il m’a montré un portrait de Votre Seigneurie qui est très semblable à elle. Il est si bien fait qu’on ne pourrait faire mieux ». Le portrait peint ne fut jamais exécuté, malgré plusieurs requêtes d’Isabelle. Dans l’esquisse, différents pigments, plusieurs tons de noir, le rouge et l’ocre, appliqués en hachures fines et repris à l’estompe, ont permis d’obtenir le modelé qui indique, sur le visage et la chevelure, le passage de l’ombre à la lumière. Ces pigments sont de la sanguine et de la craie. Il n’y a pas de trace de pastel, contrairement à ce qu’indiquent Vallardi et presque tous les auteurs à sa suite. Un blanc très léger, appliqué sur le front, la joue et le buste recouvert d’une modestie, souligne l’oblique des épaules et renforce l’ombre du cou.
Esquisse singulière dans ses proportions, dans le raccourci du buste, dans son inachèvement même, l’œuvre retient également par l’ambiguïté de son parti. La linéarité absolue du profil, le regard fixé vers un point invisible, situé en dehors de notre champ de vision, est en contradiction avec le mouvement tournant du buste. Il est possible que la marquise de Mantoue ait choisi elle-même d’être représentée en strict profil, selon le modèle de la médaille en bronze réalisée en 1497-1498 par Gian Cristoforo Romano. L’émergence de ce visage, l’espace que Léonard développe, l’oblique des épaules détournées, l’attention que l’artiste accorde au geste des mains croisées et au doigt qui désigne le livre sont autant de recherches qui marquent une distance avec le Portrait de Cecilia Gallerani (1489-1491, Cracovie, Musée Czartoryski), déplacé en se détournant sur lui-même, ou avec La Belle Ferronnière (vers 1495-1500, Paris, Musée du Louvre). Le portrait d’Isabelle d’Este peut enfin être compris comme un résumé des expériences engagées par Léonard dès les années 1490 et une anticipation de ce qui allait suivre immédiatement : le carton de La Vierge et Sainte Anne (Londres, National Gallery) et le portrait de Monna Lisa (Paris, Musée du Louvre). A travers l’élaboration des deux projets – Isabelle d’Este et Monna Lisa – Léonard aurait développé une « idéalisation progressive du portrait », c’est-à-dire une tentative pour faire du portrait une image ressemblante, « naturelle » mais dont la perfection tiendrait à une beauté universelle.
Source : Musée du Louvre