(1890-1918)
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Expressionnisme, Symbolisme |
Schiele a laissé environ trois cents peintures, dix-sept gravures et lithographies, deux gravures sur bois, de nombreuses sculptures et 3 000 dessins, aquarelles ou gouaches.
Nu masculin assis (Autoportrait) | 1910 | Vienne, Musée Leopold |
Autoportrait à l'épaule nue levée | 1912 | Vienne, Musée Leopold |
Le cardinal et la nonne | 1912 | Vienne, Musée Leopold |
Soleil d'automne | 1914 | Collectionprivée |
Mort et Jeune fille | 1915 | Vienne, Palais du Belvédère. |
Couple accroupi (la famille) | 1918 | Vienne, Palais du Belvédère. |
À la naissance d'Egon, la famille Schiele loge dans un immeuble situé près de la gare de Tulln. Le père, né à Vienne, est chef de gare. La mère d'Egon, est issue d'une famille de paysans et d'artisans de la Bohême-du-Sud. Egon grandit auprès de ses deux sœurs, Mélanie et Gerti. L'aînée, Elvira, était décédée en 1893, à l'âge de dix ans.
Dès l'enfance, Egon Schiele marque un vif intérêt pour le dessin, auquel il s'exerce régulièrement. Sa scolarité se déroule successivement à l'école primaire de Tulln, au collège de Krems an der Donau et au lycée de Klosterneuburg. Dès 1905, année de la mort de son père, il exécute ses premières peintures, notamment des autoportraits. Son oncle, ingénieur et inspecteur supérieur des Chemins de fer d'État, devient alors son tuteur. S'appliquant à respecter les intentions du père d'Egon, il tente, sans succès, d'orienter le jeune garçon vers une carrière dans les chemins de fer, à l'École Polytechnique supérieure.
Cependant, avec l'accord de sa mère et l'appui de son professeur de dessin, Schiele entre en 1906 à l'Académie des Beaux-Arts de Vienne. Il y apprend la peinture générale auprès du professeur Christian Griepenkerl, peintre académique conservateur. La relation entre les deux hommes s'avère difficile : Schiele, ne pouvant plus supporter la tutelle académique de ses maîtres, quitte l'Académie, suivi d'amis partageant les mêmes convictions.
Il fonde alors le Neukunstgruppe (Groupe pour le nouvel art), se faisant ainsi remarquer par Arthur Roessler, critique d'art du Journal ouvrier, qui devient durant les années suivantes son principal protecteur. Parmi les membres de ce groupe se trouvent différents amis rencontrés à l'Académie : Anton Peschka, Anton Faistauer, Anton Kolig, Robin Christian Andersen, Franz Wiegele. Leur amitié jalonne la vie de Schiele : chacun appuie l'autre pour promouvoir les premières œuvres des autres. Peschka épouse en 1914 une des sœurs d'Egon, Gerti.
Schiele découvre à Vienne un art différent lors d'une exposition d'artistes du deuxième mouvement de la Sécession viennoise plus proche de l'Art nouveau. Âgé de 17 ans, il rencontre en 1907 Gustav Klimt, alors âgé de 45 ans, en qui il reconnaît son modèle et maître spirituel. L'admiration est réciproque entre les deux artistes.
L'année 1909 voit la première participation de Schiele à une exposition publique, à Klosterneuburg. Il présente la même année ses œuvres à l'Exposition internationale des Beaux-Arts à Vienne, qui lui permet d'établir ses premiers contacts avec des collectionneurs, éditeurs et aussi architectes — tels Otto Wagner et Josef Hoffmann. Ce dernier dirige alors l'Atelier d'art de Vienne, fondé en 1903, visant au soutien des arts et de l'artisanat, pour lequel travaillera Schiele, en 1909 et 1910. Une des plus importantes commandes qui lui est alors faite ne sera jamais réalisée : le portrait de Poldi Lodzinski, qui aurait dû être une fenêtre du palais Stoclet.
Si, à ses débuts, Schiele reste proche du Jugendstil (nom donné au mouvement « Secession » en Allemagne, par la revue Jugend), il prend peu à peu ses distances. Le trait marqué, les poses complexes générant une multiplication de lignes obliques, la chair comme tuméfiée des corps, les fonds parfois tourmentés, la provocation de certains nus, ont amené à rapprocher Schiele du courant expressionniste qui marque alors les pays germaniques. Le peintre ne recherche toutefois pas systématiquement la stridence de la couleur comme le font ses collègues allemands. Au contraire, les figures sont souvent sur un fond blanc, accentuant encore le dépouillement de leur nudité. C'est ce même dépouillement qui le différencie de Klimt, ce dernier ayant une « horreur du vide » caractéristique de l'Art nouveau et du Jugendstil des années 1900.
Schiele peint alors de nombreux portraits d'amis et autoportraits, qui sont exposés dans de nombreuses galeries autrichiennes et allemandes : à la Maison d'exposition de Budapest, avec le Groupe du Nouvel Art, chez Glozt à Munich, avec les artistes du Cavalier bleu, et à l'exposition du Groupe Particulier, à Cologne. Schiele a fait aussi près d'une centaine d'autoportraits se représentant parfois nu, avec un visage desséché et tourmenté, ou affligé d'un strabisme impressionnant, allusion humoristique à son nom de famille : en effet, le verbe « schielen » signifie loucher en allemand, et nombre de critiques hostiles à son art n'hésitaient pas à en faire des jeux de mots. La critique est partagée, une petite partie seulement de l'opinion reconnaissant son talent, l'autre part allant même jusqu'à qualifier ses œuvres d'« excès d'un cerveau perdu ». Il adhère en 1911 au groupe Sema de Munich, auquel appartiennent déjà Paul Klee et Alfred Kubin.
Il rencontre, en 1911, une jeune femme à la réputation sulfureuse, Wally Neuzill, déjà modèle de Klimt, qui devient son propre modèle et sa compagne. Tous deux emménagent en province, à Krumlov, près de la Vltava, en Bohême-du-Sud (aujourd'hui République tchèque). La ville met alors à sa disposition sa plus vaste salle pour qu'il y réalise ses grands formats. Cependant, les habitants de Krumlov manifestant une antipathie de plus en plus marquée pour la vie et les toiles trop audacieuses de Schiele ; l'artiste se voit obligé de quitter la ville, pour s'installer avec sa compagne aux environs de Vienne.
L'accueil de l'artiste n'y est guère plus ouvert : la profusion des dessins à caractère érotique de Schiele, couplée à des soupçons de détournement de mineurs à son encontre, conduisent à son arrestation en 1912. Il passe vingt et un jours en détention provisoire. Au procès, le juge le condamne à trois jours supplémentaires, pour outrage à la morale publique, en exposant dans un lieu public accessible aux enfants des œuvres outrageantes aux bonnes mœurs, le détournement de mineur n'étant pas retenu. En prison, Schiele a créé une série de treize tableaux illustrant les difficultés et l'inconfort d'être enfermé dans une cellule.
Une centaine de ses peintures, majoritairement des nus, sont confisquées par le tribunal départemental. L'une de ses œuvres les plus célèbres de cette époque est Le Cardinal et la Nonne, paraphrase expressionniste, provocatrice, du Baiser de son aîné, Gustav Klimt. L'œuvre de Schiele occupe ainsit une place essentielle dans l'histoire des relations entre art et érotisme. Certains de ses nus prennent des poses explicites : par exemple, le modèle de Vu en rêve (1911) ouvre son sexe face au spectateur. L'artiste a aussi largement traité le thème de la masturbation féminine et masculine dans des œuvres que l'on pourrait qualifier de pornographiques encore aujourd'hui (L'Hostie rouge, Eros ou Autoportrait se masturbant, tous de la même année 1911).
En 1913, Schiele rompt avec Wally Neuzill et voyage en Carinthie et à Trieste. Il loge quelque temps chez sa mère à Vienne, avant de trouver un atelier sur la Heitzingerstrasse, au no 101, où il travaille jusqu'en 1918.
La renommée de Schiele s'accroît progressivement hors d'Autriche. En 1913 et 1914, il participe à de nombreuses expositions internationales : Budapest, Cologne, Dresde, Munich, Berlin, Düsseldorf, Bruxelles, Paris et Rome. Il est exposé pour la première au pavillon de la Sécession. Entre 1913 et 1916, il publie ses œuvres et poèmes dans l'hebdomadaire berlinois, Die Aktion. En 1916 sera publié un numéro spécial, intitulé Cahier d'Egon Schiel, avec ses dessins et gravures sur bois. Schiele consacre ainsi son été 1914, auprès du peintre Robert Philippi, à l'apprentissage de la gravure sur bois, ainsi que l'eau-forte, à la suite d'une recommandation de Roessler, qui espérait en tirer de meilleures ventes. Cependant, Schiele abandonne rapidement ces deux techniques, les trouvant trop lentes à l'exécution. Il se consacrera au dessin et à la peinture, excepté deux autres lithographies en 1917.
Dès 1914, l'artiste se lie d'amitié avec les deux sœurs logeant en face de son atelier de la Heitzingerstrasse, Adèle et Edith Harms. Sur l'intervention de certains personnages reconnaissant son talent, il est dispensé du service armé, et fait son service de guerre dans l'administration. Il peut ainsi continuer de peindre, et d'exposer en Autriche, Allemagne, et Scandinavie. Quatre jours avant son service de guerre, il épouse Edith Harms, de trois ans son aînée, le 17 juin 1915, inaugurant ainsi une période moins tourmentée de sa création. Le 21 juin, il commence son service à Prague, accompagné d'Edith qui s'installe à l'hôtel "Paris". Elle le suit aussi à Jindrichuv Hradec, où il suit son instruction de base. Schiele est ensuite placé aux environs de Vienne comme soldat de garde, et obtient la permission de passer son temps libre dans son atelier à Vienne. À partir de mai 1915, il exerce la fonction de clerc dans un camp de prisonniers en Basse Autriche, où il réalise quelques portraits d'officiers détenus. Il est transféré en 1917 dans l'Intendance impériale et royale de Vienne.
Le 6 février 1918, Klimt décède ; Schiele exécute son portrait sur son lit de mort. En mars doit se tenir la 49e exposition de la Sécession viennoise, qui aurait dû être présidée par Klimt lui-même. Schiele se charge alors de l'organisation et propose une affiche, intitulée La Compagnie à la table, le montrant entouré d'amis peintres. Il expose dix-neuf huiles et vingt-neuf dessins (dont une grande partie est réalisée à l'aquarelle), dans la salle principale du pavillon de la Sécession. L'exposition rencontre un franc succès : une part importante de ses œuvres est vendue, et Schiele obtient des commandes de portraits de personnalités, ce qui lui permet de louer un second atelier pour ses grands formats, rue Wattmann.
Le peintre n'a en effet pas le temps de réaliser la plupart de ses commandes : le 28 octobre 1918, sa femme, alors au sixième mois de sa grossesse, décède de la grippe espagnole, qui se répand alors dans tout Vienne et fait des millions de victimes en Europe. Egon Schiele meurt de la même maladie trois jours plus tard, le 31 octobre 1918.
Les titres de certains tableaux (Agonie, Résurrection…) et certains de ses propos soulignent la part allégorique de l'œuvre de Schiele. Schiele affirmait le rôle spirituel de l'art, il disait en 1911 que ses œuvres devraient être exposées dans des « édifices semblables à des temples », et avait pour projet, en 1917-1918, la construction d'un mausolée que l'on croit dédié aux morts de la Grande Guerre. Le célèbre tableau, La Famille (1918), affirme cette part allégorique : Schiele se représente avec sa femme et son enfant, alors même qu'il n'est pas encore père et ne le sera jamais, car lui, comme sa femme enceinte, peu de temps avant, meurent de la grippe espagnole. Ce tableau non achevé sera son dernier.