L'école d'Athènes symbolise le Vrai rationnel, la vérité acquise par la philosophie. Dans le programme théologique de La chambre de la Signature qui se propose de représenter les trois plus hautes catégories de l’esprit humain : le Vrai, le Bien et le Beau, la fresque voisine avec le Vrai surnaturel illustré par La dispute du saint sacrement (ou la théologie), le Bien représenté par Les vertus et le Beau représenté par Le Parnasse.
L'école d'Athènes regroupe des figures solennelles de penseurs et de philosophes réunis dans un grandiose cadre architectural. Ce cadre est caractérisé par un haut dôme avec un plafond à caissons et des pilastres. Ce sont des motifs architecturaux de la fin de l'empire romain mais qui s'inspirent aussi probablement du projet de Bramante pour la nouvelle basilique de saint Pierre, elle-même un symbole de la synthèse des philosophies païennes et chrétiennes.(1)
La peinture compte soixante personnages si l'on compte Apollon et Minerve dans leurs niches. Ils ne sont ni étouffés par l'environnement, ni ne l'étouffent. Ils soulignent plutôt la largeur et la profondeur des structures architecturales qui répondent à des principes de perspective très élaborés :
La fresque, signée dans le cou du personnage d'Euclide, connut un succès immédiat. Sa beauté et son unité thématique ont été universellement louées. L'enthousiasme avec lequel elle a été reçue n'a pas été troublé par des réserves comme cela avait été le cas avec le plafond de la Sixtine.
La peinture célèbre la pensée classique (sur les escaliers), mais elle est également consacrée aux arts libéraux (personnages en bas des escaliers et statues d'Apollon et de Minerve) ainsi qu'à la glorification des arts mécaniques et de la politique de Jules II.
I - La pensé classique
Les philosophes et sages de l'Antiquité tiennent une véritable discussion philosophique. Les arbitres de cette discussion, Platon et Aristote, dialoguent au centre de la composition.
Platon et Aristote sont les deux principaux représentants de la philosophie. Platon est le contemplatif, qui indique le ciel et porte Le Timée dans la main gauche. Aristote est l'actif, qui a la main tendue vers le sol et qui tient sous son bras L'Ethique à Nicomaque.
Daniel Arasse soutient que Raphaël a placé Diogène vautré comme un chien (c'est un cynique !) sur les marches, aux pieds d'Aristote car il est le "mauvais" actif corollaire du "bon" actif Aristote. Sous Platon il n'y avait rien car il est incomparable pour un néo platonicien. Il est le maître même, le Moïse chrétien, comme on l'appelait.
La figure d'Heraclite est ainsi absente dans le carton préparatoire (conservé à l'Embrosiana de Milan). Elle a été ajoutée une fois la fresque terminée, comme le montrent les raccords d'enduits. La composition puissante et le relief plastique accusé indiquent que Raphaël, en donnant à Héraclite les traits de Michel-Ange, a voulu rendre hommage à l'artiste en le peignant dans son propre style. Cette adjonction fut probablement faite après que la voûte de la Sixtine ait été découverte (14 août 1511).
Daniel Arasse s'interroge sur la façon dont Raphaël, une fois la fresque terminée, a pu rajouter, au tout premier plan, la figure de Michel-Ange mélancolique représentant Héraclite sans déséquilibrer la fresque. Il en conclut que Raphaël a rendu à Michel-Ange un hommage qui n'est pas dénué d'ironie. En le mettant là où il n'y avait rien dans le système philosophique initial, Raphaël met génialement le contemplatif négatif, Héraclite (tout passe, tout coule, rien ne dure) sous les traits de Michel-Ange en pose de mélancolique, les genoux pliés le menton sur la main. Le grand bloc de pierre sur lequel il s'appuie dorénavant avait peut-être pour référence la première épître de saint Pierre. Il symbolisait le Christ, la "pierre angulaire" que les constructeurs ont rejetée, qui devient un bloc de sur lequel risque de trébucher le non-croyant.
En haut des marches se tient un groupe de personnages dominés par la figure de Socrate, le maître de Platon, qui discutent.
II La représentation des arts libéraux
Spinger et Chastel ont vu dans cette fresque une représentation des sept arts libéraux. Au premier plan à gauche la grammaire, l'arithmétique et la musique ; à droite la géométrie et l'astronomie ; en haut des escaliers derrière ces derniers la rhétorique et la dialectique. Les deux groupes au premier plan symbolisent la science des nombres sous ses deux aspects, musical et astronomique. la tablette que teint son fils Télaugès aux pieds de Pythagore porte des signes symboliques, des schémas d'accords musicaux (reproduits par le célèbre théoricien Zarlino dans Istituzioni armoniche, 1558). D'après Chastel "le doigt levé de Platon exprime l'orientation finale : de la science des nombres à la musique, de la musique à l'harmonie cosmique, de celle-ci à l'ordre divin des idées.
Dans les alcôves de chaque côté de l'arcade, les divinités classiques Apollon qui joue de sa traditionnelle lyre et Minerve sont les initiateurs des arts libéraux. Ils représentent eux aussi la suprématie de la raison et l'esprit sur la passion et les désirs des sens.
Zénon (avec un enfant) et Epicure (couronné de pampres), Pythagore (écrivant) et son fils Télaugès aux cheveux blonds le regardant et tenant une tablette alors qu'Averroès en turban blanc se penche vers lui , Francesco Maria della Rovere en blanc et Parménide en jaune (ou Xénocrate ou Aristoxène)
Zoroastre de face tenant une sphère céleste et Ptolémée portant une couronne et le globe terrestre, Raphäel et Sodoma et Euclide avec son compas (sous les traits de Bramante) .
III - Eloge des arts mécaniques et de la politique de Jules II
PierLuiggi de Vecchi soutient que L'évocation du temple de la science par les hommes illustres du passé est aussi dans une perspective historique grandiose, strictement reliée au présent par des correspondances entre les personnages de l'antiquité et les contemporains de Raphaël. Platon a les traits de Léonard, Heraclite ceux de Michel-Ange, Euclide ceux de Bramante, l'enfant derrière Epicure est Federico Gonzagua, le jeune homme vêtu de blanc est Francesco della Rovere, Zozoatre est peut-être Pietro Bombo. Raphaël lui-même s'est représenté à côté de Sodoma dans le jeune homme au béret noir à l'extrême droite.
Avec ces portraits contemporains de 'Ecole d'Athènes, les artistes font leur entrée dans l'assemblée supérieure des savants et comme le remarque André Chastel " les arts plastiques sont élevés au même rang que les arts libéraux. Raphaël exprime ainsi la conception propre à la renaissance de l'activité artistique comprise comme chose de l'esprit comme "recherche de l'idée" et non comme simple traduction des formes visibles. "
Daniel Arasse soutient pourtant que c'est une erreur de croire que Raphaël a donné à Platon les traits de Léonard de Vinci avec une grande barbe blanche. Raphaël n'aurait en effet pas vu Léonard depuis au moins une dizaine d'années lorsqu'il a peint cette fresque. Raphaël utilise plus probablement un dessin qui était connu à l'époque parce qu'il circulait en Italie, censé représenter Le Philosophe, la philosophie même... c'est à dire Aristote. Le philosophe même est devenu Platon qui a volé les traits d'Aristote.
Cette thèse défendue par Daniel Arasse dans le chapitre 13 de ses Histoires de peinture (P. 186-188) est beaucoup plus vraisemblable que celle couramment admise de Platon représenté sous les traits de Léonard de Vinci. En effet, si d'autres contemporains sont représentés dans la fresque, pourquoi avoir choisi de représenter Léonard sous les traits de Platon et n'avoir pris aucune décision pour Aristote ? Voila qui serait singulièrement inconséquent souligne le critique d'art
On en déduira pour notre part que, comme dans La dispute du saint sacrement, Raphaël a bien introduit des personnages contemporains avec pour but principal de porter les arts dits mécaniques à la hauteur des arts libéraux. Il ne cherche cependant pas une stricte correspondance entre passé et présent mais, au contraire affirme des buts politiques qu'il partage avec Jules II. Bramante et Michel Ange ont directement contribué à la gloire de l'église par leur peinture ainsi que Raphael et Sodoma. Francesco Maria Della Rovere, duc d'Urbino, ville de naissance de Raphäel vient en 1509 d'être nommé capitaine général de l'Église par Jules II.
Jean-Luc Lacuve le 5/04/2010
Sources :