Icare   Nadjia Mehadji   1986
 
 
Icare
Nadjia Mehadji, 1986
huile sur toile, diamètre 154 cm.
Musée des Beaux-arts de Caen
 

Peintre d'origine marocaine née à Paris en 1950, Nadjia Mehadji vit et travaille depuis une quinzaine d'années entre Paris et Essaouira (Maroc). Parallèlement à des études d'arts plastiques et d'esthétique à la Sorbonne au début des années 1970, elle s'engage dans des recherches théâtrales contemporaines (Grotowski, Living Theater) qui l'amèneront à une mise en question des médiums traditionnels de la peinture ainsi qu'à une ouverture sur d'autres disciplines telles que l'architecture ou la musique contemporaine donnant lieu à de nombreuses expositions et performances.

Les sources littéraires : Ovide, Les Métamorphoses, livre VIII, v.183 à 235
La problématique d'Ovide est celle du pouvoir de l'homme, ici Dédale, face à la toute puissance, ici de Minos.

En effet Minos a enfermé Dédale dans le labyrinthe avec son fils, pour le punir d'avoir indiqué à Ariane le moyen d'aider Thésée à en sortir. Le héros se prépare donc à passer par le ciel et s'exprime ainsi (v.187) : Quand Minos serait le maître de toutes choses, il n'est pas le maître de l'air.

Dédale, figure prométhéenne, invente une technique pour repousser les limites naturelles (v.188-189): Il s'applique à un art jusqu'alors inconnu et soumet la nature à de nouvelles lois,

et le narrateur souligne le résultat : une œuvre merveilleuse (v.199), tellement merveilleuse que, à la vue de ces hommes capables de traverser les airs, les hommes qui les aperçoivent, pêcheur, berger, laboureur, lesont prispour des dieux (v.220).

Mais Icare pervertit le projet paternel car il est tout entier au plaisir de son vol audacieux (v.223), tout entier voué au principe de plaisir. Il n'entend pas la loi du Père (v.208) : Prends-moi pour seul guide de ta direction, et transforme ainsi l'aventure en tragédie.

Présentation de l'œuvre
Cette œuvre fait partie d'une série d’une vingtaine de toiles réalisées entre avril 1985 et le printemps 1986 autour de deux séjours de plusieurs mois dans le sud Marocain

Nadja Mehadji s'inspire d'une œuvre de Matisse de 1943, Icare, œuvre faite de papiers gouachés, découpés et collés sur papier marouflé sur toile, et servant d'illustration pour le livre Jazz publié en 1947. Il représente la silhouette d'Icare dans une sorte d'apesanteur, silhouette noire sur un fond bleu parsemé d'étoiles jaunes, avec un trou rouge au niveau du cœur.

Au contraire, dans le tableau de Nadjia Mehadji, aucune anecdote, aucun énoncé ne rappellent le texte d'Ovide, si ce n'est le titre du tableau qui nous impose de chercher le lien avec le mythe antique : d'Icare en effet il ne reste rien que des plumes sur les eaux (v.233), suggérées par la transparence du tableau.

Mais ces plumes constituent une matière que Nadjia Mehadji agence comme Dédale a pu agencer ses ailes (v.189-191) : Il dispose des plumes à la file en commençant par la plus petite; chacune est suivie d'une autre moins longue, de sorte qu'elles semblent s'élever en pente.

Dans ce tableau, le signifiant (l'effet duveteux, le papier froissé) renseigne sur l'énonciation (je fabrique une toile avec un matériau), et non sur l'énoncé (le mythe). Mais, ce faisant, l'artiste redouble la figure prométhéenne.

 

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