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(1791-1824)
Romantisme

Théodore Géricault, est au même titre que Delacroix, l'incarnation de l’artiste romantique, il a eu une vie courte et tourmentée, qui a donné naissance à de nombreux mythes. Son œuvre la plus célèbre est Le radeau de La Méduse. Il est également connu pour sa passion pour les chevaux, à l'écurie ou en action sur les champs de bataille napoléoniens. Outre ses peintures à l’huile, Géricault réalise des lithographies, des sculptures, rares mais remarquables, et des centaines de dessins.

Autoportrait 1812 Collection privée
Etude d'homme, d'après le modèle Joseph 1819 Los Angeles, The J. Paul Getty Museum
Le radeau de La Méduse 1819 Paris, musée du Louvre

Théodore Géricault naît dans une famille aisée de Rouen, originaire de la Manche, à Saint-Cyr-du-Bailleul. Il y reviendra régulièrement pendant de nombreuses années, notamment chez ses cousins à Saint-Georges-de-Rouelley. C’est là qu’il découvre le milieu équestre, future source d’inspiration et là qu’il peint sa première œuvre connue : son autoportrait (1808). De nombreux tableaux du peintre sont restés dans cette famille, dont une majorité a été détruite lors des bombardements de 1944. Géricault y a fait également le portrait de son oncle normand, le conventionnel Siméon Bonnesœur-Bourginière  et de son cousin Félix Bonnesoeur-Bourginière.

Le père du peintre, Georges (1743-1826), magistrat et riche propriétaire terrien, tient une manufacture de tabac. Sa mère, Louise Caruel (1753-1808), fille d'un procureur du parlement de Normandie, descend d’une vieille et riche famille normande. Vers 1796, la famille Géricault s’installe à Paris au 96, rue de l'Université. Élève médiocre « paresseux par délices », il entre en 1806 au Lycée Impérial, où il a pour professeur de dessin le prix de Rome Pierre Bouillon.

En 1807, son oncle maternel Jean-Baptiste Caruel de Saint-Martin (1757-1847), banquier et collectionneur, épouse Alexandrine-Modeste de Saint-Martin (1785-1875), de 28 ans sa cadette.

Le couple encourage Théodore Géricault à suivre des études artistiques. Peintre fortuné, Géricault ne connaît pas de problèmes d’argent et n’a pas besoin de vendre ses œuvres pour vivre, excepté à la fin de sa vie, à la suite de mauvais placements.
Théodore Géricault étudie en 1810 dans l’atelier du peintre Carle Vernet, spécialiste de scènes de chasse, et y fait la connaissance de son fils, Horace Vernet. Il étudie ensuite avec Pierre-Narcisse Guérin, avant de s’inscrire, le 5 février 1811, à l’École des beaux-arts de Paris. Géricault pratique alors assidûment la copie au musée Napoléon (le Louvre), où il copie les tableaux rassemblés par Napoléon Ier, qu'ils soient italiens, comme La Mise au tombeau et l'Assomption d'après Titien, français, d'après Jean Jouvenet, Eustache Le Sueur, Rigaud, Prud'hon, ou flamands, La Peste de Milan d'après Jacob van Oost, Portrait d'après Rembrandt, Van Dyck ou Rubens.

Il alterne les études des académies de nus masculins, où l'influence de Michel-Ange se remarque, avec de nombreux portraits de chevaux aux écuries, dont celui de Tamerlan, le cheval de l'empereur. Ses camarades d'atelier notent son goût pour les textures épaisses et riches et le surnomment : « le Cuisinier de Rubens ». Guérin voit en lui « l'étoffe de trois ou quatre peintres ». En mai 1812, Vivant Denon, le directeur du musée Napoléon, exclut Géricault pour inconduite. Géricault loue alors une arrière-boutique sur le boulevard Montmartre et peint Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant (portrait équestre du lieutenant Dieudonné) en cinq semaines, d'un jet, et le présente au Salon. Dans cette toile aux couleurs sombres et vibrantes, on voit toute la virtuosité du jeune peintre, notamment dans le choix de la position héroïque et du dessin du cheval. La toile est accrochée à côté du Portrait de Murat d'Antoine-Jean Gros. Le peintre Jacques-Louis David, en découvrant l'œuvre de Géricault, aurait dit : « D'où cela sort-il ? Je ne reconnais pas cette touche ! ». Géricault reçoit pour ce tableau la médaille d'or du Salon : il a 21 ans. Célèbre désormais, il s'installe au 23, rue des Martyrs, non loin de Carle Vernet. Il est entouré de nombreux peintres et amis, Delacroix, Léon Cogniet, Ary Scheffer, son élève Louis-Alexis Jamar, et de Dedreux-Dorcy.

Deux ans plus tard, Géricault, qui peint de nombreuses scènes militaires, présente Cuirassier blessé quittant le feu (1814, musée du Louvre) qui forme un contraste saisissant avec la toile de 1812. Elle représente un officier sur une pente avec son cheval, s’éloignant de la bataille. Son regard, tourné vers la tuerie qu’il vient de quitter, traduit le désarroi, la défaite. Une autre toile présente un cuirassier à terre désarçonné. Dramatiques et monumentaux, ces deux portraits suscitent un intérêt distant lors du Salon de 1814, dans un Paris occupé par les Alliés.

En 1814, Théodore Géricault s'éprend de sa tante Alexandrine qui n'a que 6 ans de plus que lui. De cette liaison, qui va durer plusieurs années et qui s’avère désastreuse pour l’artiste, naîtra le 21 août 1818 un fils, Georges-Hippolyte, déclaré à sa naissance comme le fils de la bonne Suzanne et de père inconnu. À la mort de Géricault, l'enfant sera reconnu par le père de l'artiste, Georges-Nicolas11.

Géricault s'engage dans la Compagnie des mousquetaires du Roy Louis XVIII. Il accompagne le Roi à Gand pendant les Cent-Jours. Il revient en France fin 1815, caché par son oncle Bonnesoeur-Bouguinière, dont il fait alors le portrait.

Géricault se présente au concours du grand prix de Rome où il échoue. Il décide alors, en 1816, de partir pour l’Italie à ses propres frais. Il est durablement impressionné par les peintres de la Renaissance italienne, en particulier Michel-Ange et Titien qu'il copie ainsi que par Pierre Paul Rubens et le mouvement qu’il donne à ses œuvres. Son ami le peintre Jean-Victor Schnetz lui fait rencontrer Ingres à la villa Médicis. Géricault quitte Rome en 1817 pour Paris.

Parmi ses contemporains, Géricault porte une admiration particulière à Antoine-Jean Gros dont il copie les œuvres à plusieurs reprises. Delacroix explique : « Géricault aussi avait l'admiration de Gros. Il n'en parlait qu'avec enthousiasme et respect. Il lui était beaucoup redevable dans son talent, quoique leurs deux talents fussent dissemblables. C'est surtout dans la représentation des chevaux que Gros a été son maître. Géricault a mieux rendu la force dans les chevaux, mais il n'a jamais su faire un cheval arabe comme Gros. Le mouvement, l'âme, l'œil du cheval, sa robe, le brillant de ses reflets, voilà ce qu'il a rendu comme personne. »

Peignant des portraits (Louise Vernet, Portrait d'Alfred et Élisabeth Dedreux), mais aussi des scènes de genre comme Le Marché aux bœufs, Géricault semble toujours hanté par l'Italie, Michel-Ange et Titien, ou par Jules Romain tant il accentue l'anatomie les effets dramatiques du clair-obscur. Il peint de nombreuses scènes militaires : Le Train d'artillerie ou L'Artillerie changeant de position.
En 1819, un nouveau Salon s’ouvre au Louvre. Géricault veut réaliser une œuvre immense, spectaculaire. Cherchant son inspiration dans les journaux, il y découvre l’« affaire de la Méduse », catastrophe maritime peu glorieuse que la monarchie restaurée avait tenté d’étouffer. Le fait-divers que le peintre évoque par sa toile est celui du naufrage d’une frégate, la Méduse, le 2 juillet 1816, au large des côtes du Sénégal. Le moment culminant choisi par Géricault dans cette tragédie est celui où une faible partie des naufragés, après avoir dérivé pendant treize jours sur un radeau de fortune, aperçoivent au loin le navire qui vient les sauver, le brick Argus. Géricault peint l'instant dramatique où les hommes encore valides, qui ont pratiqué le cannibalisme pour survivre16, se lèvent pour faire signe au navire, un point à peine visible à l’horizon.

Le peintre a trouvé son inspiration. Soucieux d’ancrer son œuvre dans la réalité, il prend connaissance du récit de deux survivants : Alexandre Corréard, l’ingénieur géographe de la Méduse, et Henri Savigny, le chirurgien du bord. Il fait construire une maquette grandeur nature du radeau dans son atelier et demande à sept rescapés de la dérive du radeau de venir poser pour lui. Il va jusqu’à exposer dans son atelier des restes humains. Grâce à l’entremise d’un ami médecin à l’ancien hôpital Beaujon, proche de son atelier, Géricault peut obtenir des bras et des pieds amputés afin de les étudier. De même, il dessine plusieurs fois une tête coupée obtenue à Bicêtre, une institution tout à la fois hospice, prison et asile d’aliénés. Selon Charles Clément, son biographe, une puanteur étouffante régnait parfois dans son atelier de la rue du Faubourg-du-Roule. Géricault travaille avec acharnement, pendant une année entière, à une œuvre de cinq mètres sur sept qui est, selon l’expression de Michel Schneider, « une leçon d’architecture autant qu’une leçon d’anatomie ».

Le Radeau de La Méduse est présenté au musée du Louvre en 1819. Lors de l’accrochage, le tableau est placé beaucoup trop haut, à côté d’autres œuvres immenses.

La toile est reçue difficilement par la critique qui feint l'incompréhension : « L'auteur n'a pas cru devoir indiquer la nation ni la condition de ses personnages. Sont-ils grecs ou romains ? Sont-ils turcs ou français ? Sous quel ciel naviguent-ils ? À quelle époque de l'histoire ancienne ou moderne se rapporte cette horrible catastrophe ? » ou encore « ce cadre immense et ces dimensions colossales qui semblent réservés pour la représentation des événements d'un intérêt général, tels qu'une fête nationale, d'une grande victoire, le couronnement d'un souverain ou un de ces traits de dévouement sublimes qui honorent la religion, le patriotisme ou l'humanité. ». En réalité, l'un des sujets, l'anthropophagie, est connu de tous : il n'est pas considéré comme un crime par le Code Civil de 1810 et a été régulièrement pratiquée par les soldats affamés des armées du Premier Empire, en Espagne, au Portugal et pendant la retraite de Russie.

Pour Jules Michelet, dans ses cours au Collège de France de 1847, Géricault peint « le naufrage de la France, ce radeau sans espoir, où elle flottait, faisant signe aux vagues, au vide, ne voyant nul secours. »

Géricault reçoit néanmoins la commande d'une toile, dont il confie la réalisation à Delacroix.

Éreinté par la critique française et en conflit avec sa famille, Géricault quitte Paris pour l’Angleterre où le Radeau de la Méduse est présenté. La toile est applaudie par la presse anglaise — pour des raisons inverses des critiques françaises — et par le public, plus de 40 000 visiteurs.Il voyage en Angleterre d’avril 1820 à novembre 1821, et découvre les grands paysagistes anglais, dont Constable et Turner, et les courses de chevaux, thème qui lui inspirera une nouvelle série d’œuvres inspirée par « la plus grande conquête de l’homme » dont notamment le Derby d’Epsom (musée du Louvre). Le thème du cheval est un sujet central de son œuvre, au début et surtout à la fin de sa vie. Il copie en particulier les œuvres de George Stubbs et de Ward, et réalise de nombreuses lithographies de chevaux et de scènes de rues de la vie londonienne.

En décembre 1821, le peintre revient à Paris, après être tombé malade en Angleterre. Il ne se débarrasse pas de son état. Son ami médecin-chef de la Salpêtrière et pionnier en études psychiatriques Étienne-Jean Georget lui propose de peindre les portraits de dix malades mentaux. De cette série, nous restent cinq toiles dont le Monomane du vol. On associe souvent à cette série le Vendéen, portrait d'un saisissant réalisme d'un homme traumatisé par la Guerre civile de Vendée, mais qui est sans doute plus ancien

En 1822, il a une relation suivie avec une certaine madame Trouillard, à qui il confie être malade. Bien qu'épuisé, Géricault continue de vivre "comme s'il était dans la plénitude de ses forces alors que les ravages d'une maladie dont le ferment était depuis plusieurs années dans son sang réapparurent". Il tombe plusieurs fois de cheval, et se brise le dos en août 1823 en tombant rue des Martyrs, à Paris. Il est alité, paralysé. Les médecins diagnostiquent une phtisie de la colonne vertébrale. Il meurt le 26 janvier 1824 au 23, rue des Martyrs, après une longue agonie due officiellement à cette chute de cheval mais plus probablement à une maladie vénérienne, ce qui fit dire au philosophe et critique d'art Élie Faure que « Géricault est mort d'avoir trop fait l'amour ». Dans son Journal, Eugène Delacroix décrit ainsi Géricault qu'il a connu : « Il a gaspillé sa jeunesse ; il était extrême en tout ; il n'aimait à monter que des chevaux entiers, et choisissait les plus fougueux. Je l'ai vu plusieurs fois au moment où il montait en selle ; il ne pouvait presque le faire que par surprise ; à peine en selle, il était emporté par sa monture. Un jour que je dînais avec lui et son père, il nous quitte avant le dessert pour aller au bois de Boulogne. Il part comme un éclair, n'ayant pas le temps de se retourner pour nous dire bonsoir, et moi de me remettre à ta table avec le bon vieillard. Au bout de dix minutes nous entendons un grand bruit : il revenait au galop ; il lui manquait une des basques de son habit ; son cheval l'avait serré, je ne sais où, et lui avait fait perdre cet accompagnement nécessaire. Un accident de ce genre fut la cause déterminante de sa mort. Depuis plusieurs années déjà, les accidents, suite de la fougue qu'il portait en amour comme en tout, avaient horriblement compromis sa santé ; il ne se privait pas pour cela tout à fait du plaisir de monter à cheval. Un jour dans une promenade à Montmartre, son cheval s'emporte et le jette à terre. […] Cet accident lui causa une déviation dans l'une des vertèbres35. » Puis lors de sa dernière visite à Géricault, le 30 décembre 1823, Delacroix écrit : « Il y a quelques jours, j'ai été le soir chez Géricault. Quelle triste soirée. Il est mourant ; sa maigreur est affreuse. Ses cuisses sont grosses comme mes bras. Sa tête est celle d'un vieillard mourant. Je fais des vœux bien sincères pour qu'il vive, mais je n'espère plus. Quel affreux changement. Je me souviens que je suis revenu tout enthousiasmé de sa peinture : surtout une étude de tête de carabinier. S'en souvenir. C'est un jalon. Les belles études. Quelle fermeté. Quelle supériorité. Et mourir à côté de cela, qu'on a fait toute la vigueur et la fougue de la jeunesse, quand on ne peut se retourner sur son lit d'un pouce sans le secours d'autrui! »