Sur ce tableau, peint dans le Lavandou, le sable, la mer et le ciel sont rouges. Deux personnages, formés de blocs carrés empilés, se dressent semblables à des totems dans cet univers embrasé. Les éclats jaunes du soleil scintillent sur les flots orangés qui se fondent dans les nuages pourpres. La lumière aveuglante du Sud aplatit tout et vibre autour des silhouettes immobiles. Les pavages formant les figures ont perdu leur épaisseur, la mer est lisse, la matière commence à samincir.
Mais cest surtout après lépisode solaire de la Sicile que de Staël revient au pinceau, à sa fluidité. À son retour dItalie, dans le Luberon, il peint à plat sur le sol ses premières natures mortes allégées. Dans ses Paysages de Sicile, il rompt avec les épaisseurs. Lespace est comme écrasé par la lumière. Il recourt à dautre outils, mous, des pinceaux de plus en plus petits, des brosses, jusquaux gazes et aux cotons imbibés dhuile de térébenthine ou de violette pour étendre la couleur sur la toile. La matière devient fine, transparente. Le désir de Nicolas de Staël de peindre toujours plus fin devient une obsession, au point de demander à Geneviève Asse «comment elle arrive à peindre si mince».
En allégeant la matière, il fait entrer le réel, la figure,
sur ses toiles. En diluant la pâte, en coupant lhuile dessence,
il retourne au pinceau et, dans le même temps, récupère
limage, fait apparaître profils et découpages.
De Staël arrive à la dissolution de ses choix antérieurs,
il utilise lhuile comme de laquarelle et obtient, dans ses paysages
et natures mortes, des surfaces translucides et des formes grelottantes. Cherchant,
écrit-il, «labouti de la transparence», la pâte
de certaines de ses marines nest plus quun film impalpable, une
pellicule éthérée.
Mais si ses toiles sont pénétrées par la figuration du
monde nen sont-elles pas, paradoxalement, plus abstraites que celles
dites non figuratives?