Ce tableau, vraisemblablement intitulé Homme-cible lors de sa création, na acquis son titre définitif quaprès la blessure de Guillaume Apollinaire en 1916, que De Chirico avait, en quelque sorte, annoncée.
En effet, le portrait en ombre chinoise, qui apparaît dans une fenêtre au second plan du tableau, comporte sur la tempe un cercle blanc qui figure une cible, précisément à lendroit où le poète sera atteint par un éclat dobus pendant la guerre. Cette coïncidence a été interprétée comme un signe du destin par Apollinaire lui-même, ainsi que par les Surréalistes enclins à reconnaître chez De Chirico quelques facultés visionnaires. Un dessin de ce portrait a appartenu à Paul Éluard, grâce auquel luvre a été diffusée au sein du groupe, tandis que le tableau, offert au poète par lartiste, a longtemps fait partie des collections privées de ses héritiers.
Le vif intérêt qua suscité cette uvre auprès des Surréalistes ne se limite cependant pas à la prémonition. De même que les images des rêves condensent des significations multiples, les éléments de la composition autorisent des lectures qui se superposent et senrichissent mutuellement. Le profil dApollinaire sinspire dun portrait numismatique, réalisé la même année par De Chirico, qui érige le poète au rang dun empereur antique, cette grandeur étant nuancée par le choix dune représentation en ombre chinoise qui évoque les lanternes magiques, ou encore les cibles qui défilent dans les jeux de tir.
La statue au premier plan superpose elle aussi plusieurs images. Peinte sur le modèle de la Vénus de Milo, elle doit être identifiée au poète Orphée, dont la figure est suggérée par ses attributs, le poisson et la conque. Elle porte des lunettes noires qui symbolisent la cécité, infirmité associée dans la mythologie grecque à la sagesse.
Ainsi, la composition densemble propose une " énigme ", selon le mot de De Chirico, à déchiffrer par association didées, qui fait apparaître Apollinaire comme lincarnation même de la poésie hypostasiée en sagesse.