Cette exposition est organisée par la Réunion des musées
nationaux et le British Council. Lexposition est placée sous
le haut patronage de Sa Majesté la Reine Elizabeth II et de Monsieur
Jacques Chirac, Président de la République française.
Partenaires média : Le Figaro et le International Herald Tribune.
Né en 1776 à East Bergholt dans le Suffolk, à une cinquantaine de kilomètres de Londres, Constable a passé lessentiel de sa vie entre sa région natale, Londres, Salisbury et Brighton. Un voyage dans le Nord de lAngleterre, dans la région des Lacs, a été la seule exception dune vie particulièrement sédentaire. Ces lieux ont été aussi les sujets de ses peintures et un critique a pu dire que son uvre reflétait la passion exclusive de Constable pour quelques paysages.
Pourtant rien de facile ni dinstallé dans la vie de Constable. Certes il naît dans la famille dun meunier aisé et passe une partie de sa jeunesse à travailler dans lentreprise familiale. Il connaît dès lors cette campagne autant pour lavoir regardée que pour lavoir littéralement travaillée. Il réussit à imposer à son père son désir de peindre et après avoir pris quelques leçons auprès de peintres locaux, il part pour Londres en 1799, où il devient lélève de la Royal Academy. En 1802, il montre une première uvre à lexposition de la Royal Academy. Pendant de longues années, ses toiles ne rencontrent pour ainsi dire aucun succès et les quelques tableaux quil arrive à vendre le sont à des amis comme les Fisher, une famille auprès de laquelle il trouva toujours un véritable réconfort.
Il se marie avec Maria Bicknell en 1816. Ce mariage tardif sera un mariage heureux. Il sachèvera trop vite par la mort de Maria en 1828. Pendant ces années Constable trouva auprès de sa femme et de ses enfants un réconfort que rendaient nécessaire les difficultés quil rencontrait dans son métier de peintre.
La période de succès un succès relatif quand on le compare à celui de Turner à la même époque - ne commence véritablement que dans les années 1820. Il ne sera véritablement acquis quaprès lexposition de ses uvres à Paris et le triomphe quil y rencontra. Ce succès tardif sexplique certainement par lexigence extraordinaire de Constable. Rarement un peintre aura aussi peu concédé à la critique et au public. Sa vie se limitait strictement à son uvre, sa famille et ses quelques amis.
Revenant sans cesse sur les mêmes motifs, tentant de rendre, soixante ans avant les Impressionnistes, les infimes variations du temps sur un même motif, il a littéralement révolutionné la peinture de paysage en Europe. Son désir de vérité, labsence deffets facilement séduisants furent un véritable choc pour ses contemporains. On le comparait à un miroir qui reflétait la vérité et ses défauts. Son attention aux nuages et aux changements du ciel témoigne des préoccupations de son époque mais aussi dune volonté farouche de rendre avec science les beautés de la Nature. Avec lui disparaissent les références à lhistoire, à la mythologie mais certes pas à la grande tradition de Poussin et de Claude Lorrain, dont Constable était un grand admirateur. Son influence sur la peinture européenne fut immense et les peintres de Barbizon, Paul Huet et Théodore Rousseau notamment, devaient beaucoup à Constable.
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Cette exposition était attendue depuis longtemps. Celui que Delacroix appelait « le père de notre école de paysage » navait jamais fait lobjet dune grande rétrospective en France. On comprend dautant plus mal cet « oubli » que les Français ont toujours apprécié Constable, même si les musées français conservent très peu de ses uvres.
Fruit dune étroite collaboration franco-anglaise, elle a été conçue de manière tout à fait originale. En effet, cest le grand peintre britannique Lucian Freud, qui depuis longtemps se passionne pour luvre de Constable, qui a établi la sélection des tableaux et dessins présentés aux Galeries nationales du Grand Palais (il a donné aussi un entretien sur le maître, retranscrit au début du catalogue). De la génération de Francis Bacon, dont il fut lami, Lucian Freud (né à Berlin en 1922) est lun des artistes les plus fascinants de la seconde moitié du XXe siècle. A côté des chefs-duvre dont la présence est évidemment indispensable dans ce type dexposition rétrospective, le choix opéré par Lucian Freud met en lumière des aspects négligés ou méconnus de luvre de Constable. Le visiteur découvre ainsi, près des grands paysages qui ont fait la réputation du peintre (La Charrette à foin, la Vue de la Stour de Dedham, Le cénotaphe, différentes versions de La Cathédrale de Salisbury ), un ensemble de ses portraits et de ses dessins tel quil nen a jamais été présenté hors du monde anglo-saxon. Lexposition réunit les grands tableaux définitifs, quelques grandes esquisses qui permettent de suivre le travail de lartiste, de petites esquisses faites en plein air, des dessins et des aquarelles. Les plus grands musées du monde ont prêté leurs chefs-duvre ainsi que des particuliers, notamment David Thomson, le plus grand collectionneur vivant duvres de Constable.
« LEnfance insouciante » : études
et vie familiale
Né en 1776 à East Bergholt, village de lEast Anglia arrosé par la Stour, dans le Suffolk, Constable na pas ressenti lappel dune vocation précoce : il ne prend linitiative décisive de devenir peintre professionnel et de sinscrire aux cours de la Royal Academy à Londres quà lâge de vingt ans révolus. Son père, cultivateur et meunier, qui la déjà associé à lentreprise familiale, considère toujours avec beaucoup de réticence son ambition de devenir peintre et juge que, sil doit persister dans cette voie, au moins il se destine au portrait, genre pictural le plus lucratif en Angleterre. Ainsi, ( ) sa production de jeunesse est dominée par le portrait et ses premières uvres de loin les plus ambitieuses et importantes sont des tableaux comme La Famille Bridges ou Les Enfants Barker. Ces uvres de commande introduisent inévitablement Constable dans la bonne société et lon imagine aisément combien ce jeune célibataire de belle prestance a dû apprécier les réceptions chez ses hôtes de laristocratie terrienne. ( )
Les réelles qualités de facture de ces représentations de domaines nous rappellent que Constable établira sur le paysage sa réputation la plus solide, et quavant de pratiquer le genre plus strictement commercial du portrait, il travaille sur le motif. Dans les années 1790, il a déjà réalisé beaucoup de paysages, surtout des dessins et des aquarelles. Son premier envoi au Salon de la Royal Academy en 1802 est un paysage dun assez grand format et, si la conception du feuillage et son traitement restent proches de Gainsborough, on y dénote un sens nouveau de lobservation directe ( ).
( )
Luvre de Constable se distingue peut-être le plus radicalement
de celle de ses contemporains par limportance quil accorde à
son expérience personnelle, en tant quartiste mais aussi en tant
quhomme. Lart de Constable est avant tout autobiographique, et
cest la raison pour laquelle il peut être aussi clairement rattaché
au romantisme : « Ce sont les lieux qui me sont familiers, écrit-il
à son ami John Fisher en 1821, que je devrais peindre le mieux ; peindre
nest autre que ressentir. Jassocie mon "enfance insouciante"
à tout ce qui se trouve sur les rives de la Stour. Ce sont elles qui
ont fait de moi un peintre (et je leur en sais gré)
».
Aux prises avec la Nature : Constable en plein air, Importance
de lesquisse
( ) La peinture à laquarelle sest considérablement développée en Angleterre au XVIIIe siècle, au point dêtre devenue autour de 1800 la technique favorite de nombreux peintres, tant professionnels quamateurs. ( ). Le style des aquarelles de 1805 se distingue par la fraîcheur des partis de composition et surtout, ce qui est plus important, par laisance dune touche fluide ( ). Ce qui surprend le plus cest la virtuosité avec laquelle le peintre aborde chacun de ses motifs dune manière nouvelle, donnant naissance à une multitude de manières différentes, ce qui revient à une absence de « manière » définie dans le sens dun réseau de signes graphiques répétés et immédiatement reconnaissables, comme chez Gainsborough par exemple. On songe à une réflexion de Constable rapportée par C.R. Leslie : « Je ne vois pas de manière dans la nature ».
( ) Constable continuera de peindre des portraits jusque dans sa pleine maturité. Il est parfaitement à laise, semble-t-il, avec la représentation en buste, modeste, qui convient aussi à ses commanditaires sans prétention de la province. Il manifeste toujours une prédilection pour les modèles féminins ( ). La plus jeune de son groupe de modèles est sa future épouse, Maria, femme plus mûre, de vingt-huit ans, quand il lépouse peu de temps après lachèvement de son portrait. Si lon en croit de nombreuses lettres, ce portrait est un gage damour qui tient lieu de la présence de Maria lors des nombreux déplacements de son mari. ( )
Grandes machines : peindre pour lAcademie
Rien nest plus révélateur de lempreinte de lacadémie sur létat desprit de Constable que son souci du format. ( ) Cest en 1821 quil expose sa grande toile la plus célèbre : Paysage, midi (La Charrette à foin), mais depuis cinq ou six ans déjà, il sessaie à des compositions de vastes dimensions, briguant le rang de membre associé de la Royal Academy. ( )
( ) Il entreprend une campagne assidue détude de ciels, qui dure deux ans. Mais le ciel ne constitue quun des nombreux éléments de paysage quil a étudiés sur le motif et toutes les grandes machines reposent sur un ensemble de croquis divers qui, dans certains cas, remontent à plus de dix ans. Si Constable refuse de vendre ses croquis, cest précisément parce quils jouent un rôle essentiel dans sa méthode de travail.
Cette conception de lélaboration dun tableau est parfaitement
traditionnelle ; ce qui nest pas le cas de lesquisse en vraie
grandeur, que Constable développe à partir de 1819 jusque dans
les années 1830, et qui le place au rang de peintre davant-garde,
déterminé à reconsidérer les exigences de son
art et à y répondre avec une totale originalité. La présente
exposition compte plusieurs exemples de ces grandes esquisses et, quand on
les compare aux uvres qui furent exposées, il apparaît
clairement que leur fonction primordiale était de permettre à
Constable de travailler longuement ses compositions, de les remodeler à
son gré indépendamment de la toile finale et par conséquent
de sassurer que, moins remaniée, la version à exposer
conservait une surface peinte dune plus grande fraîcheur et un
coloris plus éclatant.
Constable se montre, dans ces portraits, particulièrement chaleureux
grâce à une mise en page intimiste et à la pénétrante
évocation de la personnalité de ces dames avec leurs robes à
la mode (
).
Hampstead : « lalliance de la ville et de la
campagne »
En 1819, Constable emménage à Hampstead, qui nest alors quun village à 7 kilomètres au nord de Londres ( ). Le village est alors, depuis plus dun siècle, le séjour favori de peintres paysagistes et, accueille une sorte de communauté dartistes et décrivains. Il convient de préciser que linstallation de Constable à Hampstead va modifier les caractères de son art, même sil nen a peint aucune vue de très grand format.
Si certaines parties de Hampstead Heath comptent des arbres majestueux, cest
principalement à travers le regard des Hollandais que Constable appréhende
la composition de ce paysage, comme un espace de dunes et de ciels immenses.
(
)
Constable et la mer : « grandeur et mélancolie
du rivage »
Constable est rarement évoqué comme peintre de marines ; pourtant, sur les vingt-deux vues qui illustrent son manifeste sur lart et la vision, English Landscape Scenery (Panorama du paysage anglais, voir section 7) quatre représentent la mer. Noublions pas que la mer est toujours visible des hauteurs qui dominent Dedham, sujet de plusieurs de ses vues du Suffolk. Comme il lécrit dès 1812 : « Un bord de mer est toujours un sujet digne du pinceau ». ( )
Comme à son accoutumée, il faut quun littoral suscite en lui de fortes résonnances personnelles pour que Constable en approfondisse vraiment les potentialités en peinture. Cest particulièrement vrai de la côte du Dorset, où les Constable sont venus en voyage de noces en 1816. ( )
Brighton a offert à Constable loccasion dadmirer quelques-uns des phénomènes atmosphériques les plus spectaculaires quil ait jamais représentés. La splendide peinture, La Mer près de Brighton, réalisée en deux heures par une froide journée de janvier, dépeint un ciel menaçant, balayé par une « fraîche brise S.-S.O. », que seuls animent de fantomatiques oiseaux de mer qui, écrit-il dans le texte daccompagnement de lune des planches sur Brighton du Panorama du paysage anglais, « ajoutent au caractère sauvage et au sentiment de mélancolie, inséparables de locéan ».
Constable à Salisbury : « Église
sous un nuage »
Constable ne choisit pas toujours ses sujets en fonction de lattachement qui le lie à son entourage familial. Lintérêt quil porte à Salisbury, à sa cathédrale et à ses environs, dans le Wiltshire dans louest de lAngleterre, est né de ses relations avec son meilleur ami, le pasteur (plus tard archidiacre) John Fisher, neveu dun chanoine de Windsor, devenu évêque dExeter et, à partir 1807, évêque de Salisbury ( ).
La présence de Fisher est perceptible dans le tableau le plus important que Constable ait consacré à Salisbury, La Cathédrale de Salisbury à travers les prés, que le peintre a appelé son « grand Salisbury ». Cest la seule composition sur le sujet pour laquelle Constable ait choisi le plus grand de ses formats. Une esquisse en vraie grandeur, sombre et tumultueuse, est le prélude approprié à une toile qui sera exposée et où seront introduits un rai de lumière sur le transept et un arc-en-ciel rejoignant précisément le sol sur la maison de Fisher, dans lenceinte de la cathédrale ( ). De la part de Constable, le geste est symbolique et toute la teneur de cette représentation de Salisbury est essentiellement symbolique. Fisher lui-même définit le sujet du tableau comme l« Église sous un nuage ». ( )
Cest donc à Salisbury, plus quailleurs, que le peintre atteint lapogée de son « naturalisme » des années 1810, mais manifeste aussi une évolution vers un style plus nettement expressif qui caractérisera la peinture de ses dernières années.
Panorama du paysage anglais : « le clair-obscur de
la nature »
Très vite, à la suite de son élection à la Royal Academy en 1829, Constable sadresse à David Lucas, graveur à la manière noire, pour travailler à la réalisation dun ensemble de planches daprès ses esquisses et peintures. Ce projet va occuper le peintre pendant les huit années quil lui reste à vivre. Louvrage, Sujets variés de peinture de paysage, caractéristiques du paysage anglais ou, comme il est généralement intitulé, Panorama du paysage anglais, est clairement didactique : comme lindique demblée la page de titre de la seconde édition (1833), il « entend principalement montrer le phénomène du chiaroscuro de la nature ». ( )
La technique de gravure à la manière noire, employée par Lucas, a longtemps été jugée en Angleterre préférable à la taille-douce, pour restituer toutes les subtiles nuances de la nature. ( ) Constable reconnaît le clair-obscur comme un attribut non seulement de lart, domaine où il a connu déjà une longue fortune, mais de la Nature elle-même.
(
) Malgré sa conviction que le clair-obscur est une caractéristique
de la nature, dans le texte du Panorama du paysage anglais, il insiste précisément
à ce sujet sur limportance, pour la qualité de lexpression
personnelle, de labstraction et de la liberté de lartiste
dans lemploi des ombres et des lumières : le peintre «
devrait, véritablement, posséder lentière maîtrise
de ces puissants moyens dexpression afin dêtre en mesure
de les utiliser dans toute forme possible, et ce avec la plus parfaite liberté
». (
)
« Perpétuels orages » : les dernières
uvres
Il est sans doute clair désormais, étant donné la constance avec laquelle Constable a réitéré son attachement à la diversité, que son style tardif peut difficilement être homogène. De fait, son travail des années 1830 est varié et comprend aussi bien une uvre dexposition comme Le Cénotaphe, très travaillée et composée avec une extrême rigueur, quune esquisse en vraie grandeur, de facture libre, comme Stoke-by-Nayland, qui sapparente plutôt à un assemblage de motifs favoris. On observe pourtant plusieurs traits saillants, nouveaux, qui méritent peut-être dêtre qualifiés de « tardifs » : laplatissement de lespace et limportance plus grande encore accordée à la surface ; la répugnance pour tout détail superflu ; la primauté accordée à lexpression plutôt quà la représentation ; en somme, une accentuation de tous les traits du style de Constable, que nous identifions comme les germes du modernisme. Comme toujours, ces évolutions se manifestent dabord dans les dessins, bien avant dapparaître dans les peintures.
Constable traverse dans les années 1830 une période très tourmentée. Il est la proie de troubles physiques et de crises danxiété. ( ) Il est enclin, comme il le confie à Leslie dans une lettre de décembre 1834, à voir sa propre peinture en termes « expressionnistes » : « tout rayon de soleil, dit-il, sest pour moi éteint, du moins en art. Peut-on dès lors sétonner que je peigne de perpétuels orages ? »