Le visage classique et le visage baroque (principes fondamentaux de l'histoire de l'art, Henrich Wölfflin p.46)
Léonard de Vinci, dans son traité de la peinture, recommande à plusieurs reprises aux peintres de ne pas cerner les formes par des lignes. Il est assez probable qu'il entend ainsi blâmer Botticelli, dont la manière impliquait l'usage du trait noir pour le dessin des contours ; à prendre les choses de haut, on peut affirmer que Léonard est bien plus linéaire que Botticelli, quoiqu'il modèle avec plus de douceur et qu'il se soit débarrassé de l'habitude de détacher ses figures un peu durement du fond du tableau. Ce qui est révélateur, c'est la force nouvelle avec laquelle s'expriment les contours, leur façon de s'imposer au spectateur.
Dans Portrait de jeune homme de Dürer, toute la silhouette, à partir du front est extrêmement parlante, la commissure des lèvres est désignée d'une ligne calme et sûre, les ailes du nez, les yeux, tout est rendu jusque dans les détails avec une égale netteté. Mais de même que les limites formelles sont établies en vue d'une épreuve tactile, les surfaces, elles aussi, sont modelées pour être perçues par le toucher; elles sont lisses et nettes, les parties obsures étant comprises comme des ombres qui adhèrent directement à la forme. L'objet s'identifie absolument à son image. On peut regarder cette peinture de près sans que rien soit modifié de la vision à distance.
Chez Franz Hals Portrait d'un jeune homme (Hermitage, Saint-Pétersbourg jusqu'en février 1931) au contraire, la forme se soustrait à la perception par le toucher. Elle est aussi peu préhensible qu'un buisson agité par le vent ou les ondulations d'un fleuve. Vue de près, elle est tout autre que de loin. On a beau ne pas vouloir perdre un seul coup de pinceau, une fois devant le tableau, on éprouve le désir de le considérer à distance. A vouloir l'examiner de trop près, sa signification échappe. Le fondu du modelé est remplacé par un modelé par touches. Les surfaces rudes crevassées, n'ont plus aucune ressemblance directe avec la nature. Elles ne s'adressent qu'à la vue et renoncent à impressionner le toucher. L'ancien schéma des formes linéaires est bouleversé ; il n'est plus un trait qui doive être interprété littéralement. Le nez se contracte, les yeux clignent, la bouche remue. On a affaire à un même système de signes, étrangers à toute forme