Le replay permettait de prolonger le temps de diffusion d'un film. La plateforme Arte TV le permet également mais offre surtout une programmation beaucoup plus riche avec des cycles.

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1-Cycle Marlon Brando : Missouri breaks, Sayonara

2- Cycle Roy Andersson : Chansons du deuxième étage, Nous les vivants, Une histoire d'amour suédoise

3- Yasujirō Ozu en dix chefs-d’œuvre : Printemps tardif (1949), Eté précoce (1951), Le gout du riz au thé vert (1952), Voyage à Tokyo (1953), Printemps précoce (1956), Crépuscule à Tokyo (1957), Fleurs d'équinoxe (1958), Bonjour (1959), Fin d'automne (1960), Le goût du saké (1962).

4 - Cycle Jean-Pierre Mocky : L'albatros, La grande lessive, Les compagnons de la marguerite, Un linceul n'a pas de poche, Y a t-il un français dans la salle ?

5 - Cycle Agnès Varda : Lions love (...and lies) (1969), Documenteur (1981), Jane B par Agnès B (1988), Jacquot de Nantes (1991), Kung fu master (1987), Les cent et une nuits (1995).

6 - Cycle Robert Guédiguian : Dernier été (1981), L'argent fait le bonheur (1993), A la vie, à la mort ! (1995), Marius et Jeannette (1997), À l'attaque ! (2000).

ET : Ayka, Congo Murder, Dialogues après la fin, L'ombre de Staline (Agnieszka Holland, 2019), Les passagers de la nuit, Barbara, Un homme intègre, Une valse dans les allées (Thomas Stuber 2018), Tromperie, Toni Erdmann, Amour fou, Ondine, Dancer in the dark, A Touch of sin, Infernal affairs, Infernal affairs 2, Infernal affairs 3, Vie privée, Buster, La forêt silencieuse,

 

3 - Yasujirō Ozu en dix chefs-d’œuvre :

8e film parlant de Ozu, Printemps tardif (1949) est le premier qui exalte le sentiment zen de l'impermanence au travers du traitement exclusif du thème la désagrégation de la famille. Cette plénitude menacée par le changement, Ozu la magnifie en figurant le temps lui-même. Tel un peintre asiatique alternant les pleins (des natures mortes) et des vides (des espaces sans présence humaine). C'est sa manière d'accueillir le temps qui passe en sage zen.

Ozu modulera bientôt cette position dans six autres films du cycle qui travailleront le même thème Eté précoce (1951), Le gout du riz au thé vert (1952), Voyage à Tokyo (1953), Printemps précoce (1956), Fleurs d'équinoxe (1958), Fin d'automne (1960), Le goût du saké (1962).

On regretera seulement l'absence de Herbes flottantes (1959).

Une plénitude menacée par le changement

Le sentiment de la plénitude des choses est donné dès la scène initiale de Printemps tardif (1949) avec la longue scène introductive de la cérémonie du thé à laquelle n'assistent que des femmes. On y parle de choses simples, un pantalon à transformer en short, et la musique douce ponctue les regards gracieux de ces femmes tout aussi bien que les plans de coupe sur la nature; toujours là indifférente aux complications que les hommes mettent inutilement à agiter l'eau qui dort. Même sentiment de plénitude dans la séquence suivante de l'étude des textes : lorsque le père et son élève, Shuichi Hattori, font des recherches pour un essai en retrouvant l'orthographe de Friedrich List (sans Z) 1811-1886, autodidacte et économiste réputé.

Ce sentiment de plénitude, on le retrouve enfin avec le Jardin de pierres de Ryōan-ji où le père et son ami, Jo Onodera, qui l'accueille, lui et sa fille, parlent de leur difficulté de père de fille à marier. Moment fugace qui précède le retour à Tokyo pour le mariage.

Car la plénitude n'est atteignable pour les hommes qu'avec le sentiment aigre-doux que les choses sont amenées à changer, à suivre leur cours. Socialement cela se traduit par l'implantation au Japon des modes de consommation américains (publicité pour Coca-Cola) et les conséquences souterraines de la défaite. Noriko a été marquée par les privations, ce n'est que quelques années après la fin de la guerre qu'elle retrouve une tension normale. Sa mauvaise santé avait aussi contribué à éloigner la possibilité d'un mariage.

Publicité pour Coca-Cola sur la route de Kamakura à Chigasaki

La tante de Noriko, parfaite représentante de la tradition, se désole : au mariage où elle est allée la veille, la mariée mangeait et buvait. "Les jeunes ont bien changé de nos jours. La mariée d'hier soir était de bonne famille mais elle mangeait de tout et elle buvait. De sa bouche bien rouge, elle dévorait le poisson. J'étais ahurie. Elle ne semblait pas émue de quitter ses parents". Ce à quoi le père répond : "Pourquoi la blâmer ? Elle avait faim". La tante réplique qu'elle n'avait rien mangé le jour de son mariage. Mais le père pense que, maintenant, la tante mangerait aussi. Il sous-entend ainsi que l'attachement aux parents s'est bien amoindri.

Le temps dessiné par des espaces vides et des natures mortes

Le changement, l'oeuvre du temps, Ozu le magnifie. Les espaces vides et les natures mortes rendent en effet sensible le temps lui-même. Dans la banalité quotidienne, l'action n'a presque plus de place (la rencontre entre Noriko et son prétendant n'est pas montrée; on ne voit jamais le futur mari à l'écran). L'action tend ainsi à disparaitre au profit de situations optiques pures qui mettent les sens dans un rapport direct avec le temps, avec la pensée. La nature n'intervient pas dans un moment décisif ou dans une rupture manifeste avec l'homme quotidien. La splendeur de la nature, d'une colline, d'un arbre majestueux ou de la mer ne nous dit qu'une chose : tout est ordinaire et régulier, tout est quotidien. La nature se contente de renouer ce que l'homme a rompu, elle redresse ce que l'homme voit brisé. La vision de la nature redresse l'ordre des séries, troublé par l'agitation des hommes, et restitue une nature immuable et régulière

Les espaces vides qui en magnifient la présence, ce sont les intérieurs ou extérieurs de maisons sans personnages et sans mouvement, les extérieurs déserts ou les paysages de la nature (Le plan du linge, le dernier plan, sur les vagues alors que le père est seul le soir). Ils constituent des situations purement optiques. Ils prennent chez Ozu une autonomie, même dans le néo-réalisme qui leur maintient une valeur apparente relative (par rapport à un récit) ou résultante (une fois l'action éteinte). Vidés de contenu dramatique, ils atteignent à l'absolu, comme contemplations pures.

Espaces vides; extérieur et intérieur :
contemplation d'une permanence des choses et de la nature qui échappe au temps humain

Les natures mortes en sont l'envers, le corrélat. Elle se définit par la présence et la composition d'objets qui s'enveloppent en eux-mêmes ou deviennent leur propre contenant : ainsi le long plan du vase presque à la fin du film. Il intercale entre le demi-sourire de Noriko et ses larmes naissantes. Il y a devenir, changement, passage. Mais la forme de ce qui change, elle, ne change pas, ne passe pas. C'est le temps en personne, "un peu de temps à l'état pur " : une image-temps directe, qui donne à ce qui change la forme immuable dans laquelle se produit le changement. La nature morte est le temps, car tout ce qui change est dans le temps, mais le temps ne change pas lui-même. Les natures mortes d'Ozu durent, ont une durée, les quatre et huit secondes des deux plans du vase : cette durée du vase est précisément la représentation de ce qui demeure, à travers la succession des états changeants. Au début du film la bicyclette aussi durait, c'est à dire représentait la forme immuable de ce qui se meut, à condition de demeurer, de rester immobile, abandonnée pour un temps au milieu des dunes. La bicyclette, le vase, ces natures mortes sont les images pures et directes du temps. Chacune est le temps, chaque fois, sous telles ou telles conditions de ce qui change dans le temps.

Natures mortes : La bicyclette, le vase
Figuration du temps, immuable, alors que, entre le plan d'avant et celui d'après, quelque chose a changé

Accueillir les temps qui changent

La magnificence de la mise en scène du temps n'exonère pas Ozu de porter un regard sur ses personnages. La caméra d'Ozu se place à peu de hauteur du sol ou du plancher, là où la clarté légèrement dorée de la paille du tatami est source de lumière- et où elle n'est l'expression de personne. Pour Ozu, le regard n'instaure pas mais accueille, en étant lui même situé dans l'ouvert du monde, et non devant lui dans la séparation d'avec son objet. Ainsi le monde se révèle dans l'ici et maintenant, dans la singularité de chaque moment. Et les personnages ne deviennent pas des types, des idées et des universels singuliers, comme il conviendrait à des intrigues ayant un sens allégorique ou symbolique implicite.

La morale du film est difficile à admettre aujourd'hui tant elle est celle de l'acceptation, du devoir et de l'effort. L'amour partagé y semble avoir peu de place et le père ne peut donner à sa fille qu'une morale qui est celle qui l'a soutenu. Le père qui lit Ainsi parlait Zarathoustra (le livre qu'il met dans sa valise à Kyoto) donne sa leçon de vie à sa fille : "La vie humaine et l'histoire sont ainsi. N'attends pas le bonheur. Construis-le toi-même. Le mariage ce n'est pas le bonheur automatique. C'est créer une vie nouvelle qui amène au bonheur. Le bonheur vient avec l'effort."

La tonalité douce-amère est d'ailleurs tempérée par un humour constant. C'est l'enfant de la tante, un sale gosse qui a rependu du vernis dans sa chambre en paginant son gant de base-ball en rouge. Ce sont les enfants qui secouent la voiture le jour du mariage. Ozu construit même une scène burlesque avec la tante qui ramasse le porte-monnaie et, voulant le garder pour elle, s'enfuit en courant... On comprend pourquoi en en voyant le policier entrer dans le champ.

S'éloignent de cette thématique dans ce cycle, le tragique Crépuscule à Tokyo (1957) et le burlesque Bonjour (1959).

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