Anton Pavlovitch Tchekhov est né le 29 janvier 1860 (calendrier grégorien), à Taganrog, au bord de la mer d'Azov, en Russie. Ses parents sont des petits commerçants. Dune religiosité excessive, son père est un homme violent. Anton Tchekhov étudie la médecine à l'université de Moscou et commence à exercer à partir de 1884. Se sentant responsable de sa famille, venue sinstaller à Moscou après la faillite du père, il cherche à augmenter ses revenus en publiant des nouvelles dans divers journaux. Le succès arrive assez vite. Il ressent très tôt les premiers effets de la tuberculose, qui lobligera à de nombreux déplacements au cours de sa vie pour tenter de trouver un climat qui lui convienne mieux que celui de Moscou.
Bien que répugnant à tout engagement politique, il sera toujours extrêmement sensible à la misère d’autrui. En 1890, en dépit de sa maladie, il entreprend un séjour d'un an au bagne de Sakhaline afin de porter témoignage sur les conditions d’existence des bagnards. L'île de Sakhaline paraitra à partir de 1893. Toute sa vie, il multipliera ainsi les actions de bienfaisance (construction d’écoles, exercice gratuit de la médecine, etc.). Ses nouvelles d’abord, son théâtre ensuite, le font reconnaitre de son vivant comme une des gloires nationales russes, à l’égal d’un Dostoievski ou d’un Tolstoï. Après avoir longtemps repoussé toute perspective de mariage, il se décide, en 1901, à épouser Olga Leonardovna Knipper (1870-1959), actrice au Théâtre d’art de Moscou. Lors d’une ultime tentative de cure, Anton Tchekhov meurt le 2 juillet 1904 à Badenweiler en Allemagne. Au médecin qui se précipite à son chevet, il dit poliment en allemand : « Ich sterbe » (je meurs). Ayant refusé de l’oxygène, on lui apporte… du champagne, et ses derniers mots seraient, d’après Virgil Tanase : « Cela fait longtemps que je n’ai plus bu de champagne ». Ayant bu, il se couche sur le côté et meurt[2]. Le 9 juillet, il est enterré à Moscou, au cimetière de Novodevitchi.
Il n’y a pas de héros dans le théâtre de Tchekhov. Pas de gentils et pas de méchants. Il y a juste des personnages qui essaient de vivre avec ce que la nature leur a accordé comme talents ou comme défauts. Et qui s’aperçoivent, souvent trop tard, qu’ils n’y parviennent pas. Certains en meurent, comme Treplev dans La Mouette. Mais c’est sans bruit, à part celui du coup de feu. Et encore, ce coup de feu pourrait bien n’être « qu’un flacon d’éther qui a explosé dans la pièce d’à côté »… D’autres n’en meurent pas. Pas tout de suite. « Patience, oncle Vania. Nous nous reposerons… Nous nous reposerons… »[
Tchekhov n’a pas connu avec son théâtre le succès immédiat qu’il a connu avec ses nouvelles. Il a fallu pour cela que se fasse la rencontre avec le Théâtre d’art de Moscou, avec Nemirovitch-Dantchenko et Stanislavski. Pour révéler un théâtre dont l’action ne progresse pas tant par ce qui est effectivement dit que, finalement, par ce qui ne l’est pas, il fallait avoir envie d’inventer une nouvelle approche du métier de comédien, plus sensible à ce qu’on allait appeler le sous-texte qu’au besoin de briller sur scène. Cette nouvelle approche n’allait pas seulement révolutionner le travail d’acteur au travers, notamment, de ses suites dans l’Actor's Studio. À un moment où émergeait la notion de mise en scène, elle allait bousculer la notion même d’écriture théâtrale, grâce à une analyse plus fine du fonctionnement dramatique.
Le Théâtre de Tchekov
1878 : Platonov (v. 1878), dont le texte a été
découvert en 1921, première adaptation en français sous
le titre Ce fou de Platonov, première traduction intégrale en
français par André Markowicz et Françoise Morvan, édition
les Solitaires intempestifs.
1887 : Ivanov, pièce en quatre actes
1889 : L'homme des bois, comédie en quatre actes
1896 : La Mouette
1900 : Oncle Vania, inspiré de L'Homme des bois
1901 : Les Trois Surs
1904 : La Cerisaie
Il déambule, boit beaucoup, raconte la mort de son père, homme riche puis ruiné, abandonné de tous. Jeune instituteur de province, séducteur insatisfait, ange concupiscent ou diable concupiscible, Platonov porte en lui le destin tragique des rois. Être complexe, fragmentaire, divisé, aussi brouillon, inachevé, fascinant et multiple que luvre qui le contient. Le regard des autres est tout à la fois sa torture et ce qui le tient droit. Construit, constitué par le groupe, il tente de sen extraire, de saffirmer hors de lui, éprouve quelques curs, détruit quelques êtres, piétine les fantômes et vit, éperdu. Jusquà souffrir le pire des maux, vivre avec soi. "Jai mal à Platonov", dit-il. "Les spectacles sont pour moi des outils, explique le metteur en scène Éric Lacascade. Ils me permettent dessayer de recréer lutopie dun groupe, une harmonie que jai bien du mal à trouver dans lexistence, avec moi-même. Platonov raconte justement lhistoire dun individu nourri et créé par le groupe. Il sen sauve, il en sort parfois pour affirmer son individualité, mais le groupe le récupère. Le groupe est fait dindividualités fortes mais solidaires. Cette recherche déquilibre me plaît à la fois artistiquement et politiquement ".
Directeur depuis 1997 du Centre dramatique national de Normandie à Caen, Éric Lacascade relève la gageure, et choisit dempoigner Platonov après avoir dirigé avec succès Ivanov, Cercle de famille pour trois surs et la Mouette au Festival dAvignon en 2000. Éric Lacascade veut ensuite satteler à luvre première, la pierre initiale. Introduire la pièce la plus insaisissable du maître du théâtre intimiste russe dans la Cour dhonneur semble une hérésie. Mais Platonov accorde les louanges de la presse et lenthousiasme du public. Écrite par un poète adolescent, Platonov est luvre bouillonnante et le livre brouillonnant, sublime monstre littéraire dun enfant qui ignore tout encore de son génie. Pris entre ses études de médecine et la surveillance que la police exerce sur lui du fait de ses amitiés avec des révolutionnaires actifs, Tchekhov fête ses vingt ans en écrivant dans la fièvre une pièce fleuve, sans titre. Refusé par lactrice à qui il le dédie, le manuscrit disparaît de la vie du jeune homme puis de celle de lauteur universellement consacré. Redécouvert dans les brouillons duvres, Platonov, "le petit Platon", sabîme dans lEurope ravagée de laprès-seconde guerre mondiale. En France, de Jean Vilar qui y met en scène Maria Casarès en 1956, à Patrice Chéreau qui en fait largument de son film Hôtel de France en 1987, linstituteur fébrile, égaré dans sa propre vie comme dans un cauchemar, devient lâme errante dune destinée où léchec est une délectation et une petite mort. Le brûlot jeté par Tchekhov résonne dun credo que porte toute jeunesse dans une société délétère où tout la nie, la compromet, la défait de son identité et de sa force créatrice. Entre révolution et résignation, conquête du monde et du sens de la vie, Tchekhov distille et brûle lessence de son travail dans une pièce unique, commencement, matrice et tombeau de son théâtre. Également adaptateur et interprète du personnage dOssip, Éric Lacascade façonne des personnages charnels, enflammés, travaille à lincandescence dune uvre mouvementée, à mille lieues dun folklore désuet peuplé de samovars, de brume vague et dennui. Metteur en scène généreux, il allie les mouvements intenses, la grâce énergique de la danse et la ferveur dun phrasé incarné. Après une année de tournée, Éric Lacascade et ses comédiens ont, pour cette reprise dans la Cour dhonneur, reconsidéré les lumières, lespace et ladaptation même de la pièce, veillant notamment à explorer de nouvelles zones de mystères.
Acte I : Sérébriakov et sa jeune épouse Elena sont arrivés depuis un mois dans leur domaine campagnard, où vivent Vania et Sonia, le frère et la fille de la première épouse de Sérébriakov. Depuis tout s’est déréglé dans la propriété. Nous découvrons également les autres personnages, Astrov, Téléguine, Maria, la grand-mère de Sonia, et la vieille nourrice Marina. Tout cet acte baigne dans une atmosphère d’oisiveté et de mélancolie : rien ne se passe. Vania fait une déclaration d’amour à Elena, qui la repousse.
Acte II : C’est la nuit ; Sérébriakov, insomniaque et hypocondriaque, tyrannise son entourage et se pose en victime. Vania propose à Sonia et Elena de les remplacer auprès de lui, mais le professeur, effrayé par un tête à tête avec celui qui a été son ami, mais qui à présent le hait, préfère aller se coucher. Vania réitère sa déclaration à Elena ; même réponse. Astrov, ivre, et Vania, analysent l’atmosphère de la maison ; Sonia tente de déclarer à Astrov son amour, mais celui-ci ne paraît pas comprendre. Sonia et Elena se rapprochent ; Sonia comprend qu’Elena n’est pas une rivale dans son amour pour Astrov.
Acte III : Sonia demande à Elena de tester Astrov sur ses sentiments. Elena demande à voir les graphiques d’Astrov, mais ne s’y intéresse guère ; elle l’interroge sur Sonia, et la réponse est négative. Astrov, attiré sexuellement par Elena, l’embrasse au moment où entre Vania. Celui-ci est bouleversé. Le professeur apprend à sa famille qu’il a décidé de vendre le domaine – qui appartient à Sonia ! – pour placer l’argent de manière plus lucrative, ce qui revient à en chasser Vania et Sonia. Hors de lui, Vania dit ce qu’il a sur le cœur, puis il sort, suivi de Sérébriakov. En coulisse, on entend un coup de feu ; puis Vania tire, en scène, sur le professeur et le manque.
Acte IV : Les Sérébriakov partent pour Kharkov : le professeur a renoncé à son projet. Vania, tenté par le suicide, a dérobé à Astrov un flacon de morphine que Sonia l’oblige à rendre. Elena et Astrov se voient une dernière fois, mais Elena se refuse à lui. Astrov s’en va à son tour ; son amitié pour Vania est morte. Vania et Sonia, restés seuls, se jettent dans le travail, mais Vania sombre dans le désespoir. Sonia le réconforte par son célèbre « oratorio » final :
Nous devons vivre. Nous allons vivre, oncle Vania. Passer une longue suite de jours, de soirées interminables, supporter patiemment les épreuves que le sort nous réserve. Nous travaillerons pour les autres, maintenant et jusqu’à la mort, sans connaître de repos, et quand notre heure viendra, nous partirons sans murmure, et nous dirons dans l’autre monde que nous avons souffert, que nous avons été malheureux, et Dieu aura pitié de nous. Et alors, mon oncle, mon cher oncle, une autre vie surgira, radieuse, belle, parfaite, et nous nous réjouirons, nous penserons à nos souffrances présentes avec un sourire attendri et nous nous reposerons. Je le crois, mon oncle, je le crois ardemment, passionnément… Nous nous reposerons. Nous nous reposerons ! Nous entendrons la voie des anges, nous verrons le ciel rempli de diamants, le mal terrestre et toutes nos peines se fondront dans la miséricorde qui régnera dans le monde, et notre vie sera calme et tendre, douce comme une caresse… Je le crois, je le crois… Mon pauvre, mon pauvre oncle Vania, tu pleures. Tu n’as pas connu de joie dans ta vie, mais patience, oncle Vania, patience… Nous nous reposerons… Nous nous reposerons !
En cette fin de XIXe siècle, l'été s'installe doucement en Russie dans la propriété de Lioubov Andréevna, tout juste revenue de Paris après cinq ans d'absence. En compagnie de son frère Gaev et de quelques parents et amis, elle contemple les délicates fleurs des innombrables cerisiers de la propriété onduler doucement dans la brise, en pensant au passé. Rien ne semble avoir changé depuis l'âge d'or de son enfance. Pourtant rien n'est plus comme avant. Lioubov a dilapidé son héritage au profit d'un amant français, et la propriété ne rapporte plus autant de revenus que du temps de ses parents. Aveuglés par la nostalgie, le frère et la sœur refusent pourtant d'adapter leur chère Cerisaie aux nouvelles contraintes de cette Russie moderne en pleine émergence
Lopakhine est le personnage principal de cette pièce et est au centre de l’action. C’est lui qui tente tout pour convaincre les propriétaires de la nécessité d’agir, et d’acheter la Cerisaie. Tchekhov fait très attention à ne pas faire passer Lopakhine pour une brute antipathique ou un parvenu insupportable. Il représente, à lui seul, la classe des « marchands » et celle des hommes d’affaires, en clamant être le petit-fils d’un serf afin d’obtenir la Cerisaie en reniant ses origines. Mais son manque d'élégance est présent aussi bien dans ses manières que dans ses habits, il reste le "moujik" qu'il a toujours été.
Lioubov Andréevna est beaucoup plus importante et complexe que l’idée reçue de son rôle dans la faillite de la Cerisaie. Elle est présentée avec une grande tendresse. Elle nous apparaît comme très attachante et aimable, bonne et généreuse, spontanée et sincère. Elle n’hésite pas à s’engager ou à aller jusqu’au bout de son amour, elle ne craint pas de « vivre sa vie », malgré l’homme qui la rappelle, après l’avoir quittée. Tchekhov nous dit de Lioubov que seule la mort pourrait calmer une telle femme. Elle aime dépenser et a accumulé les dettes, son seul espoir de les effacer étant de vendre la Cerisaie. Mais ses souvenirs d'enfance sous les cerisiers en fleur l'empêchent de mettre la propriété aux enchères, avant d'y être réellement contrainte (selon ses critères).
Gaev est le frère de Lioubov. Il partage la même passion et le même amour pour la Cerisaie, amour lié à leurs souvenirs d’enfance et à leur conscience d’appartenir à une vielle famille de la noblesse. Gaev reste loin d’avoir le charme de sa sœur car ses défauts ne sont rachetés par aucune qualité remarquable dans cette pièce. Il est son contrepoint ridicule et comique. Personne ne le prend au sérieux, même les domestiques se moquent de lui. Cet homme de 51 ans se comporte comme un enfant ; il se fait habiller, materner et gronder. Il passe son temps à dire des termes techniques de billard, c'est sa façon à lui de s'excuser.
Varia est la fille adoptive de Lioubov, ce qui explique ses rapports ambigus avec sa famille. Si Lioubov la considère comme sa propre fille, les domestiques ne manquent pas de lui rappeler sa véritable origine. Varia est toujours en porte-à-faux, elle a du mal à se confier à sa « mamotchka », dont la conduite la choque tout en la ravissant secrètement. Elle pense plusieurs fois, en vain, pouvoir se marier avec Lopakhine, mais celui-ci est toujours amoureux de Lioubov de façon nostalgique.
Les domestiques sont particulièrement représentés, avec au moins cinq variantes (Firs, Yacha, Douniacha, Epikhodov, Charlotta). Ce ne sont pas, ici, des personnages secondaires car, même s’ils ne participent pas directement à l’action principale, ils sont beaucoup plus finement caractérisés que des domestiques ordinaires. Quelques histoires amoureuses, parmi eux, donnent effectivement une dimension sentimentale propre à ces personnages. Trofimov est un vieil étudiant révolutionnaire, amoureux d'Ania. Il est pour que l'on vende la Cerisaie. Ania est la fille de Lioubov, amoureuse de l'idéaliste Trofimov, elle est romantique et caractérisée par son aspect à la fois jeune et mature. Yacha est l'un des domestiques, il est profondément nihiliste et ne pense qu'à une chose : retourner à Paris. C'est le valet de Lioubov.
Epikodov est le comptable du domaine, son surnom est "mille malheurs", il est amoureux d'une servante : Douniacha, mais il est devancé. Il est engagé par Lopakhine, à la fin, pour veiller sur les travaux