Carlotta-Films
présente, également disponible dans le Coffret Douglas Sirk

Editeur : Carlotta, novembre 2008. Nouveau master restauré. Format : 2.35. VO VOSTF & VF mono (1h43). Prix public conseillé : 25 €.

Suppléments sur DVD 2 :

La Nouvelle Orléans. Le journaliste Burke Devlin se passionne pour le meeting d’acrobaties aériennes qui doit avoir lieu. Fasciné par le pilote Roger Shumann et par sa femme LaVerne, Devlin décide de les loger chez lui, avec leur fils et leur mécanicien. Mais lors de la première session d’acrobaties, Roger Shumann a un accrochage et détruit son propre appareil…

" Ce film n'est qu'une accumulation de défaites. (…) Douglas Sirk contemple ces corps avec tant de tendresse et de splendeur… J'ai rarement éprouvé autant de crainte et de solitude que dans ce film. " (Fassbinder).

D'aucuns, dont Sirk lui-même, considéraient La ronde de l'aube, basé sur Pylon de William Faulkner, comme l'un de ses meilleurs films. Même Faulkner l'a considéré comme la meilleure adaptation de l'une de ses œuvres. Sirk, qui a fait appel au même trio d'acteurs (Hudson, Stack et Malone) que dans Ecrit sur du vent, a créé là un film magnifique et puissant sur le destin tragique et l'échec d'un petit groupe de pilotes acrobatiques qui devient l'obsession d'un reporter alcoolique.

"Ce type (Robert Stack) qui cherche son identité, un homme qui se tient debout sur des sables mouvants. La terre ferme ne lui procure aucun sentiment de sécurité, c'est dans les airs qu'il cherche ses certitudes - c'est une idée folle (de Faulkner), et magnifique, je crois. " (Douglas Sirk).

LA RONDE DE L’AUBE PAR BOURGET & BERTHOMIEU (25 mn)

Dorothy Malone retrouve dans La ronde de l'aube un rôle proche de celui de Marylee dans Ecrit sur le vent avec une forte présence sensuelle. Elle est désirée par tous les hommes et tombe du ciel, la jupe relevée comme donnée à tous. Dorothy Malone, actrice pourtant pudique, retrouve chez Sirk un personnage érotique flamboyant comme la libraire du grand sommeil en lunette d'intello qui allumait Bogart. Le personnage de Marylee semblait toutefois mieux assumer sa sexualité. Dans les deux films elle est aussi, de façon très romanesque, tombée amoureuse très jeune. Sirk la décrit avec une grande élégance quand elle quitte Matt Ord parfaite avec sa jupe droite et remettant ses chaussures.
Robert Stack a aussi trouvé chez Sirk ses meilleurs rôles (ainsi que chez Wellman). Son interprétation, virile et en tee-shirt, est dans le même style que celle de Brando.

Quelles que soient les failles dans les personnages, ils sont magnifiés par la mise en scène. Depuis leur entrée en scène très chorégraphique dans le générique et par les contre-plongées.
Iconographie mortuaire et carnavalesque Eros et Thanatos évidente avec le premier baiser immédiatement suivi de l'entrée du masque de la mort. Obsession de la mort évidente avec des fleurs organisées en bouquet mortuaires. L'utilisation répétée des reflets dans les glaces renvoie aussi aux Vanités.

Le cercueil de Miller porté juste avant le départ de ce qui sera le dernier vol de Shumann rappelle celui du temps d'aimer et du temps de mourir.
Le Carnaval est une façon d'exorciser provisoirement la mort. Pierrot et Colombine s'embrassent en voyant le spectacle funèbre de l'avion retiré de l'eau.
Restaurateur français Claude Mollet
Emboîtement des images Manège dont l'enfant est prisonnier alors qu'est montré en montage alterné la mort de son père. Cette image puérile du carrousel est le dernier avatar d'une course d'aviation elle-même image dégradée des combats à mort de la grande guerre. Si Shumann s'abîme dans le lac Ponchartin c'est pour ne pas faire un carnage en atterrissant sur la plage envahie par la foule. Avide de sensation, la foule s'est précipitée sur la plage sans respecter les consignes du speaker. Elle est l'ultime responsable de la mort de Shumann à laquelle a contribué LaVerne en acceptant de s'offrir à Matt Ord même si elle ne l'a pas fait grâce à Devlin, lui aussi responsable, ainsi que l'organisateur de la course. Seul Jiggs a tenté jusqu'au dernier moment d'empêcher Shumann de décoller en faisant croire que le moteur ne démarrait pas
Mardi-gras de La Nouvelle Orleans
Sirk filme ses personnages dans un élan vers le dépassement tout en montrant qu'ils restent des êtres moyens, collés à la réalité. Devlin est un être médiocre, excessif, alcoolique une sorte de clown shakespearien ridicule qui dit pourtant la vérité
Rock Hudson lui aussi jamais meilleur que chez Sirk meilleur que dans Geant. Il ne retrouvera de grands rôles qu'avec Frankenheimer. La fin est ouverte. Davlin offre le livre My Antonia à LaVerne qui s'envole via Chicago pour l'Iowa

 

FAULKNER / SIRK : LA DÉFAULKNÉRISATION DE "PYLÔNE" (25 mn)

Remarquable étude de l’adaptation de Pylône par Marguerite Chabrol, enseignante à l’université Paris X.

Faulkner accepte avec facilité le travail alimentaire de scénariste à Hollywood. Il a beaucoup travaillé avec Hawks sur Le grand sommeil mais aussi sur une de ses nouvelles Après nous le déluge qui abordait déjà le thème de l'aviation.

Faulkner a fait son service militaire dans l'aviation durant la première guerre mondiale. Il a ensuite passé son brevet de pilote et acheté un avion. Outre le thème de l'aviation, Pylône comporte celui récurent de l'alcoolisme, de l'héroïsme désabusé celui des héros de guerre contraints au spectacle forain, du conflit avec le monde moderne suite à la grande pauvreté des années 30. Le un roman est généralement jugé inutilement compliqué et pas à la hauteur de ses grands chefs-d'œuvre de Faulkner.

Sirk à la UFA voulait déjà adapter un roman sur l'aviation et particulièrement Pylône de Faulkner. Le projet ne se fait pas à la UFA. Lorsque la Universal achète les droits de Pylône, ce n'est plus tant le thème de l'aviation qui intéresse Sirk dans le roman que les thèmes du désenchantement et de l'alcoolisme.

On y retrouve la même structure que dans Ecrit sur du vent avec son témoin d'un couple qui se détruit. L'adaptation est signée par George Zuckerman. Sirk qui s'implique dans le scénario dit vouloir défaulknériser le roman. C'est à dire sans doute pour lui transformer l'esthétique faulknerienne avec sa structure narrative complexe et ses thèmes violent en esthétique hollywoodienne conforme à une thématique et une stylistique plus classique.

La conduite du récit n'est pas facile à suivre dans le roman. On ne sait ainsi pas toujours qui parle et on ne le comprend souvent que rétroactivement. Sirk met en place une mécanique du récit efficace avec un enchaînement des scènes très lisible.

Sirk respecte aussi l'esthétique hollywoodienne avec des acteurs très glamour alors que les personnages du roman sont souvent décrit en habit de mécanicien et plein de cambouis.

Sirk retrouve néanmoins l'esprit du roman par d'autres aspects. Faulkner s'était ainsi beaucoup inspiré du poème, La terre vaine écrit par TS Eliot en 1922. Sirk en lit des passages sur le tournage pour expliquer à Rock Hudson son personnage de bouffon vis à vis de celui, plus grandiose, interprété par Stark.


Sirk réintroduit aussi la complexité non plus dans la structure narrative mais dans un emploi du scope complexe et dans les angles de prises de vues.

Disparition du ménage a trois formé avec le parachutiste. C'est le mécanicien qui joue un peu ce rôle et qui permet d'ouvrir comme le roman avec l'interrogation quant à savoir qui est le père de l'enfant. Les personnages de Faulkner sont ambigus sexuellement, androgyne. Dans le roman, l'alcoolisme de Devlin est beaucoup plus présent. Il déforme sa perception des choses et provoque même des hallucinations. Confusion et hallucinations sont supprimées du film mais Sirk se sert du thème de l'alcool pour construire des raccords entre les scènes. De plus chaque fois qu'un personnage se sert un verre, ce verre est commenté ce qui renforce la présence du thème. L'absinthe, alcool violent, est remplacée par des boissons diverses : whisky bourgogne.

L'adaptation pose aussi la question du réalisme. Le roman s'appuie sur beaucoup de descriptions qui lui donnent un ancrage contextuel. Trois sont particulièrement importantes celle décrivant le lieu, celui du Nouveau valois, celle sur la grande dépression et la crise économique et celle sur le journalisme.

Le carnaval est présent dans le film mais surtout pour structurer l'histoire. Il sert de plan de transition d'un lieu à un autre et est particulièrement important dans la scène avec le masque de la mort. Alterne les espaces extérieurs ouverts de jour et les intérieurs fermés de nuit.


Les personnages du roman sont des stéréotypes, parfois à peine désignés. Si bien que l'on se demande qui est le "il" dont on parle. LaVerne est peu souvent désignée par son nom mais seulement appelée "la femme". Le journaliste du roman, très maigre, est aussi un ange déchu alors qu'il représente ici, malgré son alcoolisme, plutot une forme de bonne santé via son incarnation par Rock Hudson.

Sirk reprend l'ensemble des acteurs de Ecrit sur le vent avec un personnage feminin qui fait l'objet d'une profondeur supplémentaire, nostalgique, en voulant retrouver son passé.

Le roman adopte un point de vu narratif assez flottant. Certes le point de vue du journaliste est dominant mais l'action est saisie aussi à travers le regard d'autres personnages. Sirk n'utilise pas de focalisation interne. Il n'utilise pas de voix off et les hallucinations avec l'alcool ont disparues. Le thème de la communication impossible ou difficile est très développé.

Pour Sirk, le mélodrame est une variante de la tragédie antique. La fin ouverte du film différente de celle du roman où LaVerne abandonne son enfant au père de Shumann. La fin du roman est dérisoire : chacun se manque et repart de son côté.