L'homme que j'ai tué de Ernst Lubitsch

Editeur : Bach Films, octobre 2007. Version originale anglaise sous-titrée Français. Son : Mono. Durée : 1h16.

Supplément :

  • Entretien avec Patrice Brion, historien du cinéma.

Cela fait un an que la première guerre mondiale est terminée. Un an que Paul Renard, un ancien soldat, ne songe qu’à l’homme qu’il a tué. Accablé de remords, Paul décide de partir en Allemagne afin de retrouver la famille de ce soldat et obtenir son pardon. Mais les rancœurs sont toujours aussi vivaces...

Seul mélodrame réalisé Lubitsch, L'homme que j'ai tué est un film tout à fait exceptionnel dans sa carrière. Adapté d'une pièce française, ce film permet à Lubistch de retrouver ses racines allemandes. Il retrouve souvent le ton du Prince étudiant (1927) : des moments de camaraderie avec le sentiment du drame très présent dans l'air.

L'esthétique du début du film est en accord avec la folie qui guette le personnage principal, rongé par les remords d'avoir tué Walter. La caméra s'affole pareillement avec un montage haché entre souvenir de guerre et convalescence difficile et des mouvements de caméra brusques allant chercher un crucifix sous une arche ou un tableau en gros plan. Les gros plans sont d'ailleurs constants : sur des visages, des objets : les sabres sortants des rands de l'église, mouchoirs, pendule, chaise vide de Walter au premier plan, cadre de photo, poignée de main, violon.

Le discours antimilitariste est appuyé : "Enfant nous apprenons l'allemand et Les enfants allemands apprennent le français... Et plus tard nous nous entretuons". Mais cela ne suffit pas à Lubitsch comme ne suffit pas à Paul la première absolution du prêtre auquel il répond. "Mon devoir, de tuer ? Est-ce là la réponse que l'on donne dans la maison de Dieu ? 9 millions de mort et déjà on parle d'une autre qui fera 90 millions de morts, je préfère être fou".

Lubitsch comme Paul exigent plus et vont chercher cette scène folle où le prêtre réfléchit sur son premier discours trop creux et finit par bénir la mission que Paul s'est donné de se rendre en Allemagne.

Le second défi de Lubitsch est de rendre l'histoire amoureuse convaincante. Mais dès leur première rencontre, la sidération d'Elsa de voir celui qu'elle a croisé au cimetière revenu chez elle génère un puissant sentiment qui se transforme naturellement en amour. La famille se trompe évidement sur le sens du "I can't forget him ". Mais Paul lui aussi finit par s'inventer un ami en Walter.

Troisième défi enfin : rendre le pardon et la régénération convaincante après les flots de haine accumulés. Lubitsch procède là subtilement avec la scène célèbre des commérages. Femmes puis hommes ouvrent successives des portes et fenêtres sous tous les angles, bientôt résumées aux carillons que l'on entend off sur les pas des amoureux qui semblent alors ne rien voir et n'entendre rien. Plus tard, Elsa dira les avoir entendues ce qui rend encore plus fort l'isolement de ce couple au sein de leur entourage de haine et de ressentiment.

Même isolement du père lorsqu'il change de camp. Il perd ses anciens amis : "C'est les pères qui ont donné les canons et les balles pour que les fils aillent se faire tuer. Des pères qui boivent à la santé d'enfants morts!". Son off du défilé où le père avait applaudit le départ du fils : "Yes, I killed him", dit-il dans un songe alors que s'efface le son off du défilé et que figure l'arche vide de la porte de la ville sous laquelle disparu son fils. Le premier titre se révèle ainsi bien plus riche que le second. L'échec public du film ayant en effet conduit à changer le titre "The man I killed" en "Broken lulaby".

Belle séquence enfin où Elsa comprend qui est Paul lorsqu'il termine la lettre qu'il avait finie avec Walter dans les tranchées.

J.-L. L. le 15/10/2007

 

Entretien avec Patrice Brion, historien du cinéma

Encadré de deux comédies, adapté d'une pièce française, ce film permet à Lubitsch de retrouver ses racines allemandes. Jamais il ne commet un faux pas sur ce sujet difficile. Echec public du film qui conduit à changer le titre "The man I killed" en "Broken lulaby"... sans grand succès.

Le film retrouve le ton de Le prince étudiant : des moments de camaraderie avec des drames dans l'air.

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