Editeur : Montparnasse, septembre 2010. Le DVD : 20 € ; le blu-ray : 25 €.

 

Supplément :

  • Le film est accompagné d’un livret, comprenant un entretien avec le réalisateur, Frederick Wiseman ou il revient sur la conception et l’objectif de ce documentaire. Grand amateur de danse classique, il a souhaité dévoiler aussi bien les répétitions, les spectacles, la transmission du savoir par les maîtres de ballet que l’importance de l’institution, la façon dont la troupe fonctionne, son rapport avec l’extérieur mais également son mode de management.

Frederick Wiseman filme durant douze semaines le corps de ballet de l'Opéra de Paris. Sasha Waltz répète Roméo et Juliette, Angelin Preljocaj et son maitre de ballet font répéter Emilie Cozette dans Le Songe de Médée, Wayne McGregor répète Genus, Pierre Lacotte Paquita, d'après Joseph Mazilier et Marius Petipa. Sont également montés La Maison de Bernarda de Mats Ek, Orphée et Eurydice de Pina Bausch et Casse-noisette de Rudolf Noureev.La danse et sa musique se répandent dans les ateliers de couture, le bureau de la directrice artistique Brigitte Lefevre. C'est un grand vaisseau qui est irrigué et irrigue Paris. ..

Wiseman reste fidèle à sa méthode. Il a sélectionné un lieu institutionnel pour son caractère emblématique. Il souhaitait filmer en France un sujet diffèrent de ceux traités aux Etats-Unis. Les institutions de La comédie française (La Comédie-Française ou L'amour joué, 1996) ou du corps de ballet de l'opéra de Paris qui existent depuis trois siècles et qui bénéficient de subventions d'état sont sans équivalent aux Etats-Unis.

Une caméra attentive

Wiseman filme tout -avec l’assistance d’un opérateur qui s’occupe du cadre et de la lumière, lui-même assurant la prise de son-, sans préjugé aucun, impressionnant plusieurs dizaines d’heures, voire bien plus d’une centaine, qu’il monte ensuite pendant plusieurs mois afin d’obtenir un film d'une durée de souvent plusieurs heures en privilégiant le plan-séquence.

Les répétitions avec le chorégraphe ou avec le maître de ballet durent parfois trois heures. Wiseman choisit entre deux et quatre minutes d'une séquence continue pour ne pas couper le rythme de la danse et de la musique.

Wiseman n'aime pas les mouvements inutiles. Presque toutes les représentations sont tournées depuis un coin du plateau. Ne font exception que quelques rares séquences : la valse de Paquita, Agnès Letestu dans Genus filmées depuis le balcon et une minute de Paquita filmée depuis la salle. La glace des salles de répétition permet souvent de passer alternativement d'un cadrage sur le danseur à celui du sur le maitre de ballet ou le chorégraphe.

Wiseman s'interdit de morceler le corps du danseur et le filme toujours en entier. Exceptionnellement, la caméra se rapproche pour filmer Delphine Moussin dans Le Songe de Médée car c'est autant du théâtre que de la danse. Et l'intensité dramatique est ainsi plus forte qu'une première séquence prise en plan plus large.

 

Un film orienté vers la réalisation du ballet

A l’inverse de l’école documentariste américaine, qui se concentrait sur un personnage ou un petit groupe de personnes, sur une situation ou un événement, Wiseman s’attache dans chaque "Reality Fiction", selon sa propre dénomination, à observer le mode de fonctionnement d’une institution et à étudier "les relations complexes que l’homme entretient avec les institutions qui reflètent ses valeurs et déterminent son existence" (Thomas R. Atkins in “Frederick Wiseman” ; Monarch Press, 1976), sans aucun commentaire explicatif, ni interview.

Le film est constitué de discussions professionnelles. Wiseman n'a pas été écouté les conversations de la cafétéria. Il n'a pas cherché à interviewer les danseurs et danseuses pour connaître leur vie privée. Le sujet principal est le montage du ballet. Si cela exclut les conversations de la vie privée, cela a aussi conduit à exclure le filmage de l'orchestre (par ailleurs absent de Genus) qui ne s'est pas imposé avec assez de nécessité.

La présence de la caméra ne change rien parce que les danseurs sont investis dans leur travail. Le contrat de départ était qu'à partir du moment où les personnes acceptaient d'être filmées, elles n'avaient plus le droit d'intervenir pour refuser une séquence. Personne n'a refusé d'êter filmé et, Wiseman n'a montré son film à personne avant de l'avoir fini, pas même à Brigitte Lefèvre.

Les interventions de la directrice artistique structurent le film sans en faire pour cela un film institutionnel. Brigitte Lefèvre est en effet intelligente, ouverte et sensible, un patron nécessaire dans cette institution. Son intervention pour soutenir les danseurs dans leurs revendications à la retraite à quarante ans au nom de l'excellence de leur travail qui est la garantie de la survie de l'opéra est un grand moment.

L'âge est en effet un autre fil conducteur. Il y a la jeune danseuse tout juste admise, celle qui doit refuser le pas de trois dans Paquita. Il y a la mort de Béjart.

La danse continue partout dans les couloirs du batiment sans coupe nette. Le bâtiment en tant que tel structure le film. Les plans de coupe sur sa façade ou sur ce que l'on voit depuis ses toits rythment le montage.

Les répétitions dans leur ensemble traduisent le doute inérant à la réalisation de toute oeuvre d'art. Ce sont les discussions incessantes des danseurs avec le chorégraphe ou le maître de ballet. Les danseurs se soumettent à la discipline mais c'est pour acquérir ensuite la liberté de pouvoir faire ce qu'ils veulent de leur corps. Brigitte Lefevre rappelle cette exigence incroyable qui constitue la beauté sans égale du danseur : être à la fois nonne et boxeur, cheval et jockey, voiture de course et pilote.

 

Ciné-club de Caen

 
présentent