Editeur : Montparnasse, octobre 2007. Format : 1.37. DVD1 : Machorka-Muff (1962, 0h17), Non réconciliés (1965, 0h50). DVD 2 : Moïse et Aaron (1974, 1h43). DVD 3 : Introduction à la "Musique d'accompagnement pour une scène de film" de Arnold Schoenberg (1972, 0h16), Du jour au lendemain (1996, 0h59).

 

Les Editions Montparnasse entreprennent la publication de l'intégrale en DVD des films de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet.

Le premier coffret comporte leurs deux premiers films, Machorka-Muff (1962) et Non réconciliés (1965) hantés, par la résurgence possible du nazisme dans l'Allemagne de l'après-guerre et inspirés d'écrits d'Heinrich Böll. Ce premier volume comprend aussi les deux films d'après les opéras d'Arnold Schoenberg : Moïse et Aaron (1974) et Du jour au lendemain (1996).

Le lien entre ces deux diptyques est assuré par Introduction à la "Musique d'accompagnement pour une scène de film" de Arnold Schoenberg (1972) qui sur la musique de celui-ci fait entendre l'une de ses lettres et une autre de Bertold Brecht qui interroge les rapports entre capitalisme et barbarie avant de se clore sur les attendus du procès des architectes d'Auschwitz.

 

Machorka-Muff (1962, 0h17)
Erich Kuby et Renate Lang dans Machorka-Muff

Film adapté du Journal du général Erich von Teuf-Teufzim dans la capitale fédérale de Heinrich Böll qui pousse le romanesque dans l'épure poétique : "un rêve symboliquement abstrait, pas une histoire", prévient le carton du prégénérique.

Pour leur premier film, Les Straub abordent la résurgence toujours possible du nazisme dans l'Allemagne de l'après-guerre. Le retour des vieux démons, l'armée qui sera rétabli au nom des mêmes mots : honneur, patrie, ordre et par la même bourgeoisie motivée par le pouvoir.

Sous la douce splendeur de l'Allemagne (le panoramique à 360° sur la place lorsque le colonel, futur général, va se promener), sous son aspect civil grince l'orgue de François Louis qui a composé en 1957 ces Permutations titre qui va comme un gant à ce film dénonçant la reprise avec d'autres hommes mais les mêmes principes d'un pouvoir qui échappe au peuple.

 

Non réconciliés ou Seule la violence aide là où la violence règne
(1965, 0h50)
Danièle Huillet, Henning Harmssen et Martha Staendner dans Non réconciliés (1964, 0h50)

Les Straub condensent une importante matière historique et romanesque en un diamant poétique, mystérieux et dense traversé d'éclats lyriques et drôles.

Le roman de Heinrich Böll, raconte cinquante ans d'histoire allemande, de 1910 au miracle économique de l'après-guerre et l'histoire de trois générations. Il raconte aussi comment le peuple allemand oublie ce qui l'a conduit vers l'abîme. Les Straub en font une ode à la générosité humaine, à la douceur et à l'amour.

 

 

Introduction à la "Musique d'accompagnement pour une scène de film"
de Arnold Schoenberg (1972, 0h16)

Danger menaçant, peur, catastrophe telles sont les indications données par Schoenberg sur sa musique d'accompagnement pour une scène de film.

Sans soute est-ce là ce qu'il éprouvait en 1923 lorsqu'il écrivit une lettre à Kandinsky pour refuser d'aller au Bauhaus car, comme juif, il ne se sentait accepté nulle part.

Cette angoisse fait écho à l'interrogation de Brecht "Comment quelqu'un peut-il dire la vérité sur le fascisme si ce n'est que le monopole conduit à la barbarie".

Après la lecture de ces deux lettres, le film se clôt sur les comptes-rendus de journaux à propos du procès contre les architectes d'Auschwitz qui ont construit les chambres à gaz et crématoire. Ils n'ont pas participé aux massacres et ont été soumis à la nécessité d'obéir en conséquence le tribunal les a acquittés.

 

Moïse et Aaron (1974)
Günter Reich et Louis Devos dans Moïse et Aaron (1974)

Moïse et Aaron est l'un des sommets de la musique du XXe siècle, aboutissement de l'évolution artistique et spirituelle d'Arnold Schoenberg (1874-1951), une œuvre inachevée qui n'a été créée qu'après la mort du compositeur.

Le film démarre sobrement avec un plan fixe de neuf minutes derrière la tête de Moïse. Mais c'est pour mieux faire voir le superbe panoramique qui s'élève ensuite vers le théâtre, les buissons et le ciel et panote à 360° pour venir fixer la montagne. Dans la troisième séquence où le peuple attend l'arrivée de Moïse et Aaron se développera un autre double panoramique, le premier avec des stations arrière pour saisir la jeune femme, le jeune homme et le prêtre qui racontent la rencontre des deux frères dans le désert avant de repartir dans l'autre sens

Moïse et Aaron alterne ainsi extrême sobriété et grands mouvements lyrique. Un écran noir sépare les scènes alors que la musique se continue sans interruption sur l'ouverture musicale de la scène. Le miracle du serpent ne s'obtient pas par trucage. Aaron jette son bâton et le plan suivant ne montre pas le bâton à terre se transformant en serpent comme dans Les dix commandements mais seulement le serpent. Cette soudaineté de la transformation plus simple, plus évidente a plus de force dramatique. Elle nécessite toutefois que le spectateur connaisse déjà le miracle, même si le chœur le commente.

Impression de continuité dans la tension dramatique qui pourrait être rompue par le changement de plan. Le chœur qui chante "Nous ne voulons pas être libérés par lui" finira convaincu par le miracle du serpent et le panoramique autour de Moïse et Aaron, l'un parle l'autre chante.

 

Du jour au lendemain (1996, 0h59).
Richard Salter et Christine Whittlesey dans Du jour au lendemain (1996, 0h59).

Le film démarre par un panoramique à 270° découvrant les musiciens répétant devant la scène vide puis balayant la salle de spectacle vide. Et puis au milieu du générique un plan fixe de près de deux minutes d'un mur avec ce graffiti : "Où gît votre sourire enfoui ?". Ensuite on ne quittera pas les trois pièces, salon, chambre et cuisine de l'appartement du couple sans un contre-champ pour la salle.

Cet opéra en un acte d'Arnold Schoenberg sur un livret de Max Blonda (1929) est un éloge de la difficulté à être moderne dans une époque qui semble avoir oublié que modernisme, raison, amour et fidélité marchent ensemble.

Ces exigences difficiles les Straub les font leur dans un cinéma sans afféterie jouant des seules échelles de plan et d'une lumière qui sculpte les visages et les décors.

Ciné-club de Caen

 
présentent
 
Coffret Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, volume 1