Jonah Reed, jeune professeur de sociologie à l’Université, assiste à la naissance de son fils. Il a oublié d'emporter le souper de sa jeune femme et s'en va en chercher dans les étages de l'hôpital. Il croise par hasard Erin, une jeune femme brune qui fut sa petite amie, venue assister sa mère dans ses derniers instants. Jonah, troublé, la laisse croire que sa femme est également mourante.
Gene Reed regarde le documentaire consacré à sa femme, la célèbre photographe de guerre, Isabelle Reed, morte il y a trois ans d'un accident d'automobile. Le documentaire servira d'introduction à la grande exposition qui lui est consacrée. A cette occasion, Richard, un collègue d'Isabelle, informe Gene qu'il révélera dans un article du New York Times, la vérité au sujet de la mort d'Isabelle, très déprimée d'avoir renoncé à son métier. Gene accepte bien qu'il sente dorénavant l'urgence de communiquer avec son plus jeune fils, Conrad, à ce sujet.
Mais les relations sont tendus entre le père et le fils. Ainsi, quand Gene surprend son fils sur un banc à la sortie de l'école, il aimerait engager la conversation par téléphone. Conrad, solitaire a quelques mètres de lui, lui répond pourtant qu'il est occupé avec des amis. Intrigué Gene suit son fils, le voit entrer dans une pâtisserie et en ressortir brutalement pour courir vers le cimetière et s'effondrer devant la tombe d'un certain Valdez. De retour chez lui, Conrad s'installe derrière son jeu vidéo et refuse de dialoguer avec son père.
C'est ainsi avec soulagement que Gene voit arriver Jonah qui veint l'aider à classer les dernières photos d'Isabelle que les responsables de l'exposition souhaitent examiner. Gene les a laissé en l'état dans le laboratoire. Jonah ne tarde pas à découvrir dans un reflet de l'une des photos qu'Isabelle avait un amant : il détruit ces photos. Jonah ne voit pas la nécessité de parler avec son frère au sujet de la mort de leur mère dont il n'est pas persuadé qu'elle soit due à sa dépression qui lui aurait fait lâcher prise sur la route. N'arrivant pas à classer les photos, Jonah se fait sermonner par sa femme, Amy, qui le presse de rentrer. Déjà sur la route, il s'arête pourtant chez la mère d'Erin où la jeune femme emballe les affaires de sa mère décédée. Jonah laisse perdurer le quiproquo sur l'état de santé de sa femme et fait l'amour avec Erin pour l'abandonner lâchement au petit matin.
De retour chez son père, Jonah surprend son frère à danser et, soudainement, celui se livre à lui. Il délaisse son jeu vidéo violent et lui montre un très beau texte où il exprime son intensité à vivre les moments les plus forts, les plus étranges ou les plus banals. Conrad lui révèle aussi être amoureux de Mélanie, une jeune pom-pom girl. Alors que Jonah ment à sa femme, il conseille à Conrad de rien révéler de cet amour à Mélanie qui vit dans un autre univers, bien plus futile et terre à terre que lui. Conrad n'en fait rien et dépose son texte devant le domicile de Mélanie.
L'article de Richard parait dans le New York Times et révèle la difficulté à vivre des reporters de guerre et leur inadaptation au monde qui les fait sans doute lâcher prise dans le quotidien. Jonah en est bouleversé et Gene plus encore, craignant la réaction de Conrad qui ne répond même plus au téléphone.
Conrad a pourtant lu l'article, qui l'a ému, mais a bien d'autres préoccupations. Il est courageusement allé dans une fête où il espérait retrouver Mélanie qui l'a ignoré jusqu'à ce qu'il la retrouve en fin de soirée. Elle partait, titubant de l'alcool absorbé. Elle ne savait pas même qu'il était le Conrad qui lui a déposé le texte étrange qu'elle e a lu sans le comprendre. Se laissant déboutonner son pantalon trop serré pour faire pipi, elle s'amuse puis respecte la réaction pudique de Conrad auquel elle parle alors en bonne camarade. Conrad accepte cet instant unique d'échange avec celle qu'il sait être son premier amour sans lendemain.
Conrad retrouve ensuite son père inquiet à la maison et comprend que la souffrance familiale passée était partagée et exempte de faute de part et d'autre. Conrad enlace son père et lui signale que Jonah est sans doute bien plus malheureux que lui. C'est ce que Gene constate en voyant son fils ayant trop bu dans le laboratoire d'Isabelle. Il lui conseille de rentrer chez sa femme avec la voiture que lui-même conduira. Au petit matin, ce sont ainsi le père et ses deux fils qui raccompagnent l'aîiné chez lui ; chacun ayant ses propres rêves et problèmes mais sans conflit avec les autres membres du noyau familial, enfin apaisé.
Un père, une mère et leurs deux enfants avec des problèmes de communication; un film en anglais tourné à New York avec un casting de stars internationales, voila qui ne laissait rien présager de bon chez un cinéaste qui avait prouvé son aptitude à saisir les joies et effrois existentiels de la jeunesse norvégienne. Joaquim Trier traque néanmoins toujours les fractures psychologies entre des êtres aux univers dissemblables tant chez lui l'amour, le rêve, la littérature ou la création artistique se partagent difficilement.
Univers étanches
Vivant pourtant côte à côte, les univers des individus sont très disjoints souvent étanches aux autres. Isabelle peut difficilement se réadapter à sa vie familiale. Bien que cet attachement soit "plus fort que les bombes", elle se sent toujours étrangère à la vie d'êtres chers qui grandissent sans elle. Même son mari pourtant très prévenant lui est devenu étranger; dans ses rêves, il assiste à son viol sans broncher. Très investis dans son métier elle constate dans la salle d'attente de l'aéroport que même la meilleure photo dans un journal sera regardée distraitement par un lecteur intéressé par bien d'autres choses.
Les efforts du père pour interroger l'univers de son fils, le suivre physiquement ou entrer dans son jeu vidéo sont en échec dès le départ comme le prouvent le reflet dans la glace et la destruction brutale du personnage virtuel du père par le fils.
L'amour semble une quête impossible : Jonah s'est laissé piéger dans un mariage trop rapide. Dupée, Erin se donne à Jonah en croyant que celui-ci perd sa femme. Conrad savoure le moment de grâce avec Mélanie, sachant très bien que les paroles prononcées ne l'engagent à rien pour l'avenir. Richard n'a qu'une liaison de travail avec Isabelle alors que celle-ci en dépit de ses efforts ne peut espérer au mieux que "ça marche "avec la famille
Cinéma, photographie et littérature
La mise en scène rend compte de ces univers différents par un montage permettant une narration fractionnée par des rêves ou les apparions spectrales Isabelle Huppert, revenue parmi les siens grâce à des flash-back. On note aussi des séquences vues sous des angles différents : par le père qui ne voit pas les juins filles qui provoque le départ du banc de Conrad et par le fils qui trompe son père aperçu dans un reflet en s'écroulant sur une tombe de hasard; la séquence de jeu vidéo racontée à Hannah puis par Conrad à son frère.
Ces problématiques du cadrage sont redoublées par la profession d'Isabelle. Les photographies montrées à l'écran proviennent d'agences prestigieuses et la plupart sont signées de la Française Alexandra Boulat connue pour son travail sur les zones de guerre en ex-Yougoslavie, en Irak, en Afghanistan et en Palestine. Isabelle est sensible à la position à adopter vis à vis de la douleur des gens que l'on photographie. L'empathie lui semble nécessaire pour obtenir au moins un acquiescement muet des personnes dans la peine. Mais surtout, Isabelle a enseigné à Conrad les pièges d'un cadrage modifié avec les photographies de Hitler tenant une fillette par la main et de La fille à la fleur lors de la manifestation pacifiste de 1967.
Même pour la pensée tout est affaire de cadrage, cette fois temporel. Pour affirmer l'hypothèse la plus vraisemblable de la mort d'Isabelle, la confession de Richard est redoublée par le même discours tenu en introspection par Isabelle. C'est moins la pensée profonde qui est exaltée que les flots des pensées qui définissent l'intensité du moment vécu. Il en va ainsi du texte littéraire lu en classe d'anglais par Mélanie où Conrad pense aux dernières secondes démesurément agrandies quand sa mère s'est vue mourir. Son propre texte s'en inspirera. La séquence onirique dans un sous-bois au clair de lune, traduit la passion conjointe de Conrad pour Mélanie associé au souvenir de sa mère. La jeune fille étendue ressemblant au dessin qu'il fit enfant de sa mère lorsqu'elle fut gravement blessée. L'émotion érotique narquoise mais assumée, liée aux chaussures du début du rêve, se retrouvera peut-être ensuite avec le jet d'urine de Mélanie qui descend sur sa chaussure.
Dans le final en voiture, Conrad mêle en rêve divers univers avec le vieux bébé de Jonah, clou de l'exposition de sa mère. Le père et les fils sont alors réunis apaisés dans la voiture. La grâce de la réconciliation n'empêche pas l'irrémédiable solitude des imaginaires individuels.
Jean-Luc Lacuve le 27/12/2015