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Hanezu, l'esprit des montagnes

2011

(Hanezu no tsuki) . Avec : Tôta Komizu (Takumi), Hako Ohshima (Kayoko), Tetsuya Akikawa (Tetsuya). 1h31.

Un hameau dans la région d'Asuka, berceau du Japon. Des pierres grimpent le long d'un tapis mécanique pour tomber au sommet d'un tas qu'elles viennent grossir. Des coups de balai soigneux sont donnés sur cette terre de fouilles archéologiques. Sur le générique cadrant un lent lever de lune se fait entendre en voix off un poème du recueil Manyoshu, le plus ancien de la littérature japonaise : "Le mont Kagu aimait le mont Unebi. Le Minimashi était son rival. C'était ainsi depuis le temps des dieux. Les hommes se disputent leurs femmes".

Takumi ramasse des herbes vertes qui lui serviront de condiments avec sa grand-mère. Il est convié à une fête d'anciens qui parlent des naissances, aujourd'hui bien moins nombreuses dans leurs deux hameaux qu'autrefois.

Kayoko malaxe un tissu blanc dans une teinture rouge de sa confection. En sortent des tissus teintés de rose. Son mari, Tetsuya, lui a préparé un bon repas à base de légumes biologiques cultivés dans le coin. Kayoko se rend en vélo près d'un sanctuaire. Takumi qui passait par là avec sa camionnette voit le vélo et grimpe tout en haut du sanctuaire pour y retrouver Kayoko. Ils prient ensemble et Takumi ramène Kayoko dans son atelier. Takumi est sculpteur sur bois et lui prépare un succulent repas de légumes dans un plat en forme de tronc d'arbre qu'il a confectionné. Kayoko remarque que des oiseaux ont fait leur nid au plafond du salon, en toute liberté alors que, chez elle, un canari avec une bague qui le blesse à la patte est enfermé dans une cage. Kayoko regarde Takumi sculpter dans du bois d'hêtre noir deux anneaux enlacés. En s'approchant trop près de l'outil, elle blesse légèrement Takumi au doigt. Elle lui suce le sang du doigt, leurs visages se rapprochent et ils s'embrassent. Kayoko s'en va en indiquant qu'elle est enceinte.

Takumi amène de bons légumes à ses parents qui l'invitent à prendre le thé. Sa mère en regardant un album de photos trouve qu'il ressemble de plus en plus à son grand-père. Celui-ci est mort jeune, avant l'âge de Takumi. Il était malheureux après son retour de la guerre car son mariage avait été arrangé. Takumi s'est rendu au cimetière pour honorer son grand-père. Il a la vision de celui-ci, en habit militaire, venant chercher la femme qu'il aime, portant un enfant en bas âge. Il lui avait déclaré qu'il avait attendu qu'elle soit libre mais que, maintenant, il devait partir à l'armée ayant reçu son ordre de mobilisation. Toujours dans le cimetière, Takumi voit un enfant venir vers lui et lui demander si cela est suffisant de seulement attendre. Le soir, Takumi a des visions de tombe entr'ouverte et d'araignée parcourant la chevelure d'un cadavre.

Kayoko, rentrée chez elle, s'est douchée et regarde sans envie son ventre qui n'a pas encore commencé à gonfler. Le matin dans un geste instinctif elle repousse Tetsuya qui voulait lui montrer un conditionnement de biscuits qu'il a préparé pour son agence de publicité. Il doit partir en déplacement durant quinze jours. Kayoko dit qu'elle ira chez sa mère.

Kayoko rend visite à sa mère qui lui dit qu'elle ressemble à sa grand-mère. Celle-ci avait vécu sans amour, mariée à un homme qu'elle n'aimait pas et alors qu'elle pensait à un autre habitant le village voisin. Kayoko revoie Takumi dans le collège où ils ont du étudier ensemble.

Lorsque Tetsuya revient de déplacement, il propose à Kayoko de faire une ballade en vélo jusqu'à la superette bio du coin. Au cours du déjeuner, Kayoko lui annonce qu'elle aime un autre homme ce qui le laisse sans voix.

Du temps a passé, Takumi s'est de nouveau laissé pousser la barbe puis l'a entretenue à sa taille normale. Un jour il visite le chantier de fouilles. L'archéologue responsable admirer ses anneaux sculptés dans le hêtre et lui propose de visiter le chantier. L'archéologue se souvient qu'étant enfant c'est à un jeune militaire, le grand père de Takumi, qui doit sa vocation.

Un jour de grandes pluies, Kayoko vient retrouver Takumi chez lui alors occupé à sculpter une déesse de bois. Il est heureux qu'elle vienne enfin et se dit prêt à les accueillir elle et l'enfant. Kayoko annonce qu'elle n'a plus l'enfant; qu'elle a avorté de crainte que cela ne puisse fonctionner entre eux. Takumi en hurle de désespoir et s'entaille profondément la main avec son outil de sculpteur. Kayoko s'enfuit et Takumi s'évanouit.

Kayoko, trempée rejoint la maison qu'elle a laissé à son mari. Celui-ci la sèche et lui fait l'amour sans qu'elle réagisse plus qu'une morte. Au matin, quand Kayoko se lève, elle se sait de nouveau enceinte. Elle ne peut l'annoncer à son mari : celui-ci s'est suicidé en s'ouvrant les veines dans la baignoire.

Takumi, chez lui, s'est remis à sculpter. Il sait qu'il doit se battre pour conquérir Kayoko et s'en va donc pour aller la prendre à Tetsuya. "Le mont Kagu aimait le mont Unebi. Le Minimashi était son rival. C'était ainsi depuis le temps des dieux. Les hommes se disputent leurs femmes" se souvient-il en passant par le chantier archéologique. Les pierres continuent de défiler sur le tapis mécanique.

Lier les légendes séculaires du Japon et les plus anciennes civilisations impériales de l'archipel, aux destins de deux amoureux malheureux du milieu du siècle et de trois jeunes gens d'aujourd'hui ; y inclure la minéralité des montagnes, la douceur des matières, les saveurs végétales, le chatoiement des couleurs, les battements d'aile d'un papillon, les lugubres déplacements des araignées et toutes les déclinaisons de la couleur rouge (Hanezu) tel est le fabuleux projet de Naomi Kawaze. Un tel pari pourrait paraitre fade et niaiseux si la cinéaste n'opérait de subtiles variations au sein de cette grande fable animiste prenant en compte les changements sociaux des différentes époques sans rompre le fil moral qui relient toutes ces générations auxquelles le film est dédié.

Un animisme menacé par les ruptures

"Hanezu" est un terme poétique ancestral qui désigne les différentes variations du rouge. Et c'est bien aux couleurs que le film s'intéresse d'abord : ocre de la terre, vert des herbes-condiments que ramasse Takumi, rouge de la teinture de Kayoko qui s'atténue en rose une fois les voiles teintés séchés au vent. Le rouge des tomates et des poivrons viendra ensuite se mêler au vert des salades lorsque le film amorcera l'une de ses nombreuses séquences de repas délicatement préparés. Et c'est bien cette douceur d'un art de vivre millénaire qu'exalte le film : sa liaison entre les anciens et les plus jeunes, la joie d'avoir des enfants " Sans enfant, tu ne pourras pas faire flotter des carpes dans le ciel" disent les vieillards se moquant du célibat de Takumi. Les personnages évoluent tranquillement. Ils se baladent à vélo, montent les marches d'un temple qu'on imagine millénaire, regardent les oiseaux faire leur nid. Les opposition existent pourtant : entre l'eau et le feu (on dit que l'on peut enfermer l'âme qui brûle comme un feu dans un sac) comme entre de l'oiseau en cage, jaune avec sa bague rouge, et les oiseaux libres de Takumi. Et même au sein du rouge, rien de comparable entre les délicates couleurs obtenues des fleurs et le rouge sang qui viendra colorer les dernières images.

Une subtilité sans artifice

Naomi Kawase met tranquillement en place son parallèle entre le destin des grands-parents de Takumi et Kayoko et celui de ces jeunes gens d'aujourd'hui. Il ne s'agit pas de surprendre le spectateur par ce parallèle mais de lui reposer comme une variation possible sur la liberté. Ce sont ainsi chaque fois les mères qui révèlent les amours malheureux des grands parents à leur enfant. De même le statu d'artiste de Takumi le rend sensible à la poésie du recueil Manyoshu. L'archéologue sert de fil conducteur entre la civilisation impériale, 1945 et aujourd'hui. C'est lui enfant qui lance le message d'avertissement à Takumi sur l'insuffisance de la seule vertu de la patience comme un remerciement de ce qu'il devait à son grand-père lui ayant révélé la présence des temps millénaires dans un simple caillou.

Car si les situations se répètent, leurs résolutions diffèrent. La résignation de l'après-guerre ne peut servir de prétexte à la pusillanimité des hommes se contentant de la seule vertu de la patience. Takumi ne retrouve le chemin du combat que par sa filiation à la poésie. A l'inverse, Tetsuya, le mari se révèle le plus fragile des trois. Voyant sans appel la fin de l'amour de sa femme, il se suicide. L'animisme est un fil fragile qui se rompt parfois, c'est à sa continutié comme à sa fragilité que rend hommage le film.

Jean-Luc Lacuve le 06/02/2012.

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