Dans une ville de province (jamais clairement identifiée mais qui doit être Valence), une nuit, Marc rencontre Sylvie alors qu’il a raté le train pour retourner à Paris. Ils errent dans les rues jusqu’au matin, parlant de tout sauf d’eux-mêmes, dans un accord rare. Quand Marc prend le premier train, il donne à Sylvie un rendez-vous, à Paris, au jardin des Tuileries le vendredi suivant à 18h00.
Sylvie est mariée mais en plein doute conjugal. Elle fait ses valises pour retourner vivre chez sa mère et Sophie, sa sœur chérie. Toutes trois forment une cellule familiale fusionnelle. Le mari de Sylvie interprète son départ comme un refus de le suivre pour sa mission aux Etats-Unis. Sylvie avoue à Sophie que c'est bien plus grave que cela. Elle est amoureuse et à l'intention de rompre pour cet homme rencontré dans la nuit. En attendant le vendredi, elle fait les salles des ventes et achète de manière impulsive un beau miroir que, Sophie toujours inquiète, pense ne jamais pouvoir vendre dans leur magasin d'antiquités qu'elles gèrent toutes deux à la suite de leur mère, madame Berger.
Marc est inspecteur des impôts. Facilement surmené, il a des bouffées d’angoisse qui l’amènent au bord de l’asphyxie. C'est le cas ce vendredi à 17 heures lorsqu'il reçoit deux commerçants chinois auxquels il veut signifier un contrôle fiscal mais qui ne parlent pas un mot de français. Il les congédie juste à temps pour se rendre aux Tuileries à 18 heures mais s'effondre dans sa voiture, victime d'un infarctus. Au jardin des Tuilerie, Sylvie est arrivée en avance, confiante et un peu déçue que Marc ne soit pas déjà là à 17 heures, inquiète de son absence à 18 heures et humiliée et désespérée de son retard dont elle ignore la raison. Quand Marc, remis de son infarctus arrive enfin aux tuileries, c'est trop tard : Sylvie est repartie en province.
Sylvie retrouve son mari et, en larmes, lui demande pardon, acceptant de le suivre aux Etats-Unis. Le jour du départ pour Minneapolis est particulièrement triste, notamment pour Sophie qui se désespère de l'échec amoureux de sa sœur et se résigne difficilement à la voir partir.
Marc, après être allé à l'hôpital où le médecin a confirmé l'infarctus et conseillé une vie plus saine, s'est empressé de revenir à Valence, mais trop tard. Il a beau errer dans la ville, il ne sait pas que Sylvie est déjà partie.
Au centre des impôts parisien, Marc est intrigué par la démarche d'une femme qu'il voit de dos. Lorsqu'il la dépasse, il constate qu'elle est en larmes : elle a mal remplie sa déclaration d’impôts et ne supporte pas d'être soupçonnée de fraude alors qu'elle est foncièrement honnête et gentille. Elle explique à Marc qu'avec le départ de sa sœur, elle a récupéré la partie comptable qu'elle ne maitrise pas. Marc propose de l’aider à établir un plan de refinancement de sa dette fiscale. A aucun moment, Marc ne se doute que Sophie est la sœur de la jeune femme abandonnée des Tuileries.
Marc et Sophie deviennent amants. Marc est reçu chez madame Berger et demande sa mutation à Valence. Le couple emménage et vit dans le plus parfait bonheur. Sophie constate même que Marc s'intègre très bien à son groupe d'amis et en conçoit une tristesse passagère qu'elle signifie à Marc avec le même geste du sourire relevé avec les doigts que celui-ci avait vu faire à Sylvie. Plus tard, Marc découvre dans un tiroir le briquet que Sylvie avait allumé tant de fois lors de leur première nuit. Cette fois s'en est trop et il grimpe l'escalier de madame Berger où sont exposées les photos de famille pour y reconnaitre les visages de Sophie et Sylvie.
Le mariage étant annoncé, Marc hésite à le rompre et désespérer Sophie qu'il aime sincèrement. Néanmoins en guise d'appel au secours, il montre son visage sur Skype à Sylvie à partir de l'ordinateur de Sophie. Sylvie est éberluée mais fait savoir dans un premier temps qu'elle ne viendra pas au mariage...pour finalement changer d'avis. Son avion est cependant retardé et Marc consent à épouser Sophie. Toute la journée, il guette l'arrivée de Sylvie mais boit trop et doit être conduit dans sa chambre avant l'arrivée de celle-ci. Sylvie découvre ainsi Marc endormi sur le lit et ils n'échangent pas un mot avant le départ de Sylvie qui aura appris de Sophie qu'elle attend un enfant.
Quatre ou cinq ans s'écoulent ainsi où Marc et Sophie vivent heureux avec leur jeune fils, Hector. Pourtant il manque quelque chose de plus intense dans la vie de Marc et le souvenir de Sylvie le torture. Probablement pour combler ce manque, il prend plus d'assurance dans son travail et prend là le risque de la vérité : il met en accusation la maire pour fraudes répétées alors qu'il se présente aux élections.
Sophie a décidé d'une grande fête pour les 60 ans de sa mère et les 40 de sa sœur. Là encore, Sylvie refuse de venir puis vient seule. Après avoir cherché à fuir Marc, elle se laisse approcher lorsqu'il la suit dans la remise puis dans une grotte lors d'une promenade. Leur passion mutuelle ne trouve pour exutoire que quelques baisers échangés furtivement et passionnément. La veille du départ, ils se donnent rendez-vous et font l'amour au bord de la route où s'est garée la voiture de Marc. Ils décident de partir ensemble en secret pour une semaine.
Au retour, le mari de Sylvie est là et menace de faire scandale. Sylvie accepte revenir avec lui s'il ne dit rien. Marc ne recevant plus de réponse à ses appels téléphoniques voit son cœur s'emballer de nouveau. Il rentre chez lui à bout de souffle et appelle Sylvie alors qu'il est victime d'un infarctus fatale. En ramassant le téléphone, Sophie entend Sylvie et comprend tout au grand désespoir de cette dernière. En mourant, Marc à la vision de ce qu'aurait dû être le rendez-vous avec Sylvie au jardin des Tuileries : le début d'une grande aventure amoureuse, simple, intense et joyeuse.
3 cœurs est un mélodrame avec ses multiples coups du sort qui échappent aux seuls déterminants psychologiques du drame sentimental. Mais, plus qu'un mélodrame de la passion, qu'il nous est demandé d'admettre dans les ellipses, il s'agit d'un mélodrame de l'insatisfaction d'une vie simplement heureuse alors qu'il s'en serait fallu de quelques riens pour vivre plus intensément.
Le mélodrame d'une passion hors champ
Les coups du sort se multiplient pour contrarier la passion de Marc et Sylvie : rencontre décisive une nuit liée au hasard d'un train raté, un rendez-vous empêché par une maladie, un départ pour les USA qui empêche une nouvelle rencontre à Valence, une déclaration d'impôt mal faite qui permet la rencontre de Marc et Sophie. Les occasions ratées de voir Sylvie sur Skype ou en photo sur l'escalier au début, l'avion raté qui empêche Sylvie d'être là pour que Marc renonce au mariage, l'annonce de l'enfant à naitre à Sylvie le jour du mariage.
Pris dans de tels coups du sort, l'amour de Marc et Sylvie n'a aucune chance de pouvoir se vivre de manière heureuse alors que les baisers passionnés échangés (dans la remise, dans la grotte, dans l'herbe après le premier rendez-vous le soir à Valence) en prouvent l'inaltérable présence. La musique, les bruits menaçants d'une voiture ou d'une moto ponctuent et soulignent ce jeu cruel de rapprochements et d'éloignements.
Benoît Jacquot dégraisse le mélodrame de son pathos, chacun des trois personnages restant très digne et ne voulant blesser personne. Mais c'est peut- être là ce qui empêche le film d'atteindre un plus haut niveau d'émotion. La femme d’à côté (François Truffaut, 1981) mettait en scène magistralement la passion amoureuse contrariée dès la première rencontre où Fanny Ardent surgissait de l'escalier derrière Gérard Depardieu qui devait se détourner pour la voir, l'évanouissement dans le parking et les rencontres dans la chambre d'hôtel cristallisaient cette passion aux yeux du spectateur. Elle était aussi comprise par madame Jouve, comme ici probablement par madame Berger qui masque derrière ses gigots d'agneaux et sa charlotte aux fraises du dimanche les traumatismes d'un mari qui l'a abandonnée avec ses enfants. Dans Elle et lui (Leo McCarey, 1957), second modèle relativement explicite du film, l’héroïne était aussi victime d'un accident qui empêchait le rendez-vous. Mais, il était précédé de bouleversantes séquences amoureuses, et néanmoins pleines d'humour, liant les amants.
En revanche, comme dans le mélodrame muet, les objets jouent ici un rôle prépondérant : le sourire relevé des deux sœurs qui intrigue Marc, le briquet de la nuit retrouvé dans un tiroir qui lui confirme le terrible imbroglio dans lequel il est pris, les photographies de l'escaliers d'abord ignorées puis révélatrices, le miroir auquel Sylve et Marc sont sensibles et devant lequel celui-ci ne cesse de se retrouver, l'écran de skype enfin, occasion ratée puis instrument de terrible révélations pour Sylvie qui y voit apparaitre le visage de Marc.
Un amour perdu dans les ellipses et les portes
Les plans sur les objets : briquet, photos, écran d'ordinateur et miroir, sont ainsi parmi les moments les plus intenses du film alors que la si belle rencontre dans la nuit qui est censée provoquer l'amour de Sylvie et Marc est en grande partie éludée et semble n'être finalement utile que pour mettre en scène le briquet allumé plusieurs fois au petit matin. Même ellipse pour le grand voyage amoureux entre Marc et Sylvie qui prend la forme d'un court texte off entre deux plans d'avion. Tant est si bien que l'on doit se contenter des regards intenses (en gros plan en fait) des acteurs pour croire à cet amour entre les deux personnages. On y croira si l'on trouve "merveilleux et sensible" le jeu de Charlotte Gainsbourg et de Benoît Poelvoorde ; un peu moins si l'on voit surtout l'habituel professionnalisme des acteurs.
Le film ne prend son envol que lorsque cet amour devient la part maudite de la vie un peu trop quotidienne de Marc. La soif d'une autre vie plus intense s'est d'abord incarnée dans la mise en examen du maire. S'il ne s'agit pas d'une haine particulière de Marc à son égard, ni d'une revanche sur sa vie conjugale comme ce dernier l'insinue, c'est en revanche une forme de volonté d'honnêteté avec soi-même qui ressort d'une façon inattendue dans la vie professionnelle quand elle est bloquée dans la vie personnelle.
Marc est coincé dans sa vie calme, mais un peu insipide de la bourgeoisie de province, rythmée par les gigots dominicaux et les gâteaux d’anniversaire. Ce seront donc les mises en scène des portes qui concentreront l'émotion : la porte ouverte de l'hôtel où ne surgit pas Sylvie ou la porte ouverte de la maison des Berger où Marc attend encore désespérément de voir surgir Sylvie. Ce seront ensuite la porte fermée de Sylvie dans sa chambre ou de Marc dans son bureau.
Portes ouvertes qui ne se remplissent pas de l'être aimé et portes fermées que l'on n'ose pas ouvrir à la passion conduiront au formidable gâchis final.. alors que les deux chaises vides dans l'espace ouvert du jardin des tuileries auraient pu amorcer un bonheur si simple, si plein.
Jean-Luc Lacuve le 22/09/2014